C’est une querelle sempiternelle. Depuis le meurtre de la petite Louise dans l’Essonne, ce 7 février, la question d’un supposé lien entre violence et pratique des jeux vidéo agite une nouvelle fois le débat public. Et pour cause : le principal suspect, Owen L., a lui-même tenté de justifier son acte par une grosse colère ayant éclaté après une défaite sur Fortnite (Epic Games), licence aux millions de fans dans le monde entier – dont le principal mode consiste en une « Battle royale » entre 100 joueurs qui doivent s’entretuer.
Mais la thèse selon laquelle cette brutalité en ligne se répercuterait dans la vraie vie est loin d’être partagée par tout le monde… Selon le député Ensemble pour la République (EPR) Denis Masséglia, à la tête – depuis 2017 – d’un groupe d’études au Palais-Bourbon dédié à la première industrie culturelle de la planète, il est urgent d’en finir avec ce discours qui tend à « déresponsabiliser » les personnes afin de s’attaquer au vrai problème : la pratique excessive des jeux vidéo.
Le JDD. Quelle a été votre réaction quand vous avez appris que « Fortnite » était cité dans l’enquête du meurtre de Louise ?
Denis Masséglia. Ma première pensée a bien sûr été pour la famille et les proches de la victime. Aujourd’hui, s’ils sont endeuillés, s’ils souffrent, c’est à cause d’une personne qui a commis un acte inqualifiable. Alors, quand j’ai vu que certains ont commencé à pointer Fortnite comme le responsable de ce drame, j’avoue avoir été très surpris. C’est un raccourci hasardeux, qui tend à déresponsabiliser l’auteur des faits.
Et puis, il faut dire que Fortnite n’est pas un jeu caractérisé par sa violence. Certes, l’objectif est de tuer d’autres joueurs, mais cela reste une licence aux graphismes cartoonesques, seulement PEGI 12 [déconseillé aux moins de 12 ans, NDLR], dans lequel on ne voit pas de sang, par exemple. En réalité, ceux qui disent le contraire ne savent pas de quoi ils parlent.
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Le débat autour de la violence qui découlerait de la pratique des jeux vidéo chez les jeunes n’est pas nouveau. Quelle est votre position ?
Il convient de rappeler, tout d’abord, que plus de 90 % des moins de 18 ans jouent aux jeux vidéo. Fort heureusement, il me semble qu’ils ne deviennent pas tous des meurtriers. C’est pourquoi il est urgent et indispensable d’en finir avec les faux débats sur la question. Aucune étude sérieuse n’atteste d’une corrélation entre jeux vidéo et comportements violents dans la vie réelle.
Le vrai sujet, ce n’est pas le jeu vidéo en lui-même, mais sa pratique excessive qui peut se révéler nocive, comme c’est d’ailleurs le cas des écrans de façon générale. Ce phénomène fonctionne comme un thermomètre : derrière un jeune qui a une pratique excessive des consoles se cachent souvent d’autres problèmes. Dans le cas du meurtre de Louise, les enquêteurs devront déterminer si le degré de pratique du suspect a effectivement pu avoir une influence. Mais, quoi qu’il arrive, il restera le premier responsable de son acte, et ne pourra pas simplement se défausser sur Fortnite…
Dans un entretien en marge de la Paris Games Week 2024, vous nous confiez être vous-même adepte de jeux vidéo depuis votre enfance. Ce qui vous vaut d’ailleurs le surnom de « député-gamer »…
C’est vrai, je suis très actif sur la plateforme de streaming Twitch, où je fais le plus souvent de la pédagogie sur la vie parlementaire, mais aussi de temps à autre un peu de gaming. Même si je suis député, je continue à jouer aux jeux vidéo dans un cadre familial. Le soir, certaines familles se mettent devant la télévision. Eh bien moi, il m’arrive fréquemment, à la place, de faire une partie avec mon fils, y compris de Fortnite. C’est le genre d’activité qui, quand elle est encadrée, permet de renforcer les liens. Il faut sortir de cette vision manichéenne, arrêter de percevoir cette pratique comme diabolique par essence.
Que peuvent faire les pouvoirs publics pour répondre au problème ?
Sur ce sujet, les pouvoirs publics, à travers l’Éducation nationale, ont vocation à donner des outils aux enfants dans un cadre scolaire et, également, de fournir des clés aux parents pour qu’ils puissent prévenir le mieux possible toute pratique excessive. Non pas d’ailleurs du jeu vidéo, mais des écrans, de façon générale.
Parce qu’aujourd’hui, on incrimine les jeux vidéo, mais demain, à l’occasion d’une autre affaire, cela pourrait être les réseaux sociaux ou autre. Et puis, il faut souligner que ce phénomène est loin de concerner uniquement les jeunes.
Les salariés du secteur, dont les syndicats n’ont pas tardé à condamner ces « fausses » attaques, menaient en parallèle une grève historique ce jeudi 13 février pour dénoncer leurs conditions de travail et les destructions d’emplois. Cette polémique risque-t-elle d’invisibiliser leur situation ?
Ce qui est sûr, c’est que cela n’apporte rien de jeter toute une industrie en pâture, qui plus est alors que celle-ci traverse une période difficile depuis plusieurs mois. Il y a malheureusement encore des personnes qui tiennent de tels discours et qui, sans doute, sont persuadées de la bien-pensance de leurs propos. Elles ont tort. Mais, comme toujours, la polémique va s’éteindre toute seule, aussi vite qu’elle est arrivée…
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