À une dizaine de kilomètres des luxuriants jardins du Vatican, les imposants murs du centre pénitentiaire de Rebibbia, dans la périphérie de Rome, se dressent comme des murailles. Les dédales silencieux de cette prison austère sont labyrinthiques, et le contraste avec les fastes de la Ville éternelle est total. Derrière les murs de ce bâtiment gigantesque se trouve une section particulière : l’aile de haute sécurité du centre de Rebibbia, dédiée à l’incarcération des mafieux les plus dangereux de la péninsule italienne. C’est grâce à l’article 41 bis du Code pénitentiaire italien que cette section existe, à Rome et dans plusieurs autres villes italiennes.
Ici, les cellules peuvent être filmées, des patrouilles de gardes lourdement armés se succèdent dans les couloirs, prêtes à intervenir au moindre comportement suspect. Mais ce qui distingue cette prison anti-mafia, c’est le régime d’isolement auquel sont confrontés les détenus.
Privés de tout contact avec l’extérieur, les grands acteurs du crime organisé incarcérés à Rebibbia font l’objet de conditions de détention parmi les plus strictes d’Occident. Téléphones prohibés, impossibilité d’accéder à Internet, visites au parloir limitées à une par mois derrière une vitre blindée et sous écoute du personnel pénitentiaire… Un régime de détention ultra-ferme mis en place dans les années 1990 après l’assassinat des juges anti-mafia Giovanni Falcone et Paolo Borsellino. Avec un objectif : empêcher les grands mafieux de continuer à diriger leurs affaires criminelles depuis la prison, alors que l’Italie continue de faire face à de puissants réseaux comme la ’Ndrangheta ou la Cosa Nostra.
La visite de Rebibbia par Gérald Darmanin donne donc des idées au garde des Sceaux, quand bien même ce type de prison fait régulièrement l’objet de critiques par des ONG, comme Amnesty International qui dénonce la « torture psychologique » des détenus soumis à l’article 41 bis. « Attention, nous ne voulons pas calquer le modèle italien, mais nous en inspirer, tout en faisant conformer les futures prisons de haute sécurité au droit français », précise au JDNews le ministère de la Justice.
Mais certaines particularités du modèle italien pourraient être adoptées par l’administration pénitentiaire française, comme le cloisonnement des services de soins directement au sein de la prison. Un atout logistique qui éviterait les extractions à haut risque de délinquants du haut du spectre vers des centres hospitaliers. « On veut aussi généraliser la visioconférence entre les détenus mis en examen et les magistrats directement depuis la prison », précise la place Vendôme qui défend une « mesure de bon sens », notamment après le meurtre de deux agents pénitentiaires chargés d’escorter Mohamed Amra, en mai dernier, alors que le baron de la drogue, toujours en cavale depuis, sortait d’une comparution devant le tribunal de Rouen.
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L’administration pénitentiaire va recruter une cinquantaine de nouveaux agents dans les mois à venir
Les contours de la création de « super-prisons » par Gérald Darmanin, réservées aux narcotrafiquants les plus dangereux du pays, restent encore flous. Mais place Vendôme, les discussions vont bon train. « L’idée, c’est de faire en sorte que le régime de la détention ne soit pas le même pour le délinquant de droit commun que pour le narcotrafiquant qui possède un empire de la drogue, souffle une source ministérielle. Il s’agit donc de concentrer les efforts de l’administration pénitentiaire sur ces détenus-là ! »
Le garde des Sceaux a déjà annoncé débloquer 4 millions d’euros pour un premier établissement, dont ni le lieu d’implantation ni la date de début des travaux ne sont connus. « On aimerait que ce ne soit pas trop loin du prochain Parquet national anticriminalité organisée (Pnaco) », affirme-t-on dans l’entourage du ministre. D’après nos informations, Gérald Darmanin est également parvenu à gratter quelques millions d’euros pour renforcer les moyens du Service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) ; un service de renseignement faiblement doté en ressources humaines et directement rattaché au garde des Sceaux. Si la mission originelle du SNRP consiste à espionner les détenus radicalisés, les agents devraient redoubler d’efforts et de vigilance à l’égard des trafiquants incarcérés. L’administration pénitentiaire va, pour cela, recruter une cinquantaine de nouveaux agents dans les mois à venir.
« Le narcotrafic est devenu une menace pour l’intégrité de l’Etat »
Reste que plusieurs garde-fous pourraient limiter les projets de Darmanin. D’abord, la rigidité du droit français, qui ne dispose pas d’un texte spécifique comme l’article 41 bis du Code pénitentiaire italien. Ensuite, les obstructions possibles de certains magistrats. Car si l’administration pénitentiaire a la main sur les détenus définitivement condamnés, les narcotrafiquants en cours de jugement, même quand ils sont en détention provisoire, restent sous la coupe des juges d’instruction, qui peuvent s’opposer à leur transfert d’une prison à une autre. « L’État de droit sera respecté, répond-on au ministère de la Justice, mais il est important que tout le monde comprenne qu’on a changé de paradigme. Le narcotrafic est devenu une menace pour l’intégrité de l’État, et comme face au terrorisme qui a frappé notre pays, il faut agir en conséquence. »
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