![Héritier de six générations, Julien Ouvre a dû fermer la sucrière de Souppes-sur-Loing (Seine-et-Marne).](https://www.lejdd.fr/lmnr/rcrop/375,250,FFFFFF,forcey,center-middle/img/var/jdd/public/styles/paysage/public/media/image/2025/02/10/11/sucrerie-1-c-eqp-1.jpg?VersionId=mUD_oJtrTgPgY6mdtOvPUY7lFCgi_BZc)
« C’est dur », soupire Gilles Thoizon. Comme cet agriculteur du Loiret, trois cents planteurs de betteraves ont appris la fermeture de la sucrerie Ouvré à Souppes-sur-Loing (Seine-et-Marne) mi-janvier. Fondée en 1873 par Félix Ouvré, cette usine était dirigée de père en fils depuis. Son PDG, Julien Ouvré, a pris la lourde décision de ne pas reprendre l’activité, laissant ses 109 salariés dans l’incertitude quant à leur avenir. Cette cessation d’activité est la conséquence d’« importantes difficultés techniques », écrit l’entreprise. Une panne de ses installations en pleine récolte avait mis à l’arrêt son activité.
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Pour financer la remise à niveau de son outil industriel, des dizaines de millions d’euros auraient été nécessaires. Mission impossible sans le soutien des établissements bancaires, dont la sucrerie est privée depuis une enquête administrative et judiciaire sur la pollution au saccharose du canal du Loing. Ce mercredi 5 février, la coopérative Cristal Union, deuxième groupe sucrier, annonçait le rachat de la sucrerie Lesaffre, à Nangis. « Cette entreprise était dans une bonne situation. Mais l’incertitude qui pèse sur le secteur a eu raison de la dernière sucrerie familiale de France », constate, amer, Franck Sander, président des éleveurs de betteraves.
Le président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) voit dans cette restructuration du secteur betteravier la traduction d’un manque de confiance dans l’avenir. Il déplore une filière sous pression qui conduit les sucreries à mettre la clé sous la porte. Depuis 2019, six d’entre elles ont cessé leur activité en France, premier producteur européen. « Tout cela est le résultat de choix politiques dont les conséquences affectent durablement la filière betteravière, et plus largement le monde agricole », fustige Franck Sander. Entre concurrence déloyale et contraintes techniques toujours plus paralysantes, les agriculteurs sont à la peine.
La suppression des quotas, en 2017, a d’abord signé la fin de la stabilité financière des betteraviers, ne leur garantissant plus un revenu suffisant. Ce système qui perdurait depuis 1968 limitait la production des betteraviers européens, tout en gardant les prix sous contrôle. Depuis 2022, le marché européen est déséquilibré par les importations massives de sucre venues d’Ukraine. « Les importations étaient de 20 000 tonnes par an jusqu’en 2022, mais elles sont montées jusqu’à 700 000 tonnes en 2023-2024. Non seulement cela déstabilise les prix du marché, mais en plus il s’agit de sucre produit par des exploitations parfois mille fois plus grandes que les nôtres, qui utilisent des phytosanitaires interdits en UE », relève Franck Sander. Cette situation pourrait empirer avec l’accord UE-Mercosur, qui permettrait l’importation de 190 000 tonnes de sucre issues de cultures OGM utilisant une quarantaine de phytosanitaires interdits en France.
La filière française est lésée par rapport à ses voisins européens
La filière française est aussi lésée dans la protection de ses cultures par rapport à ses voisins européens. Elle ne dispose à ce jour d’aucune solution contre la jaunisse : alors que l’UE autorise l’usage de l’acétamipride (un insticide) jusqu’en 2033, le législateur français l’a interdit en 2018. Fin janvier, le Sénat a voté un amendement pour sa réintroduction « à titre dérogatoire et exceptionnel ». Un signal positif et un premier pas pour la filière, reconnaît Franck Sander. Mais qui ne sera pas suffisant. « On essaie de rester optimistes. Le législateur peut nous aider. Mais il faut donner du souffle aux agriculteurs. Sinon, on va droit à la catastrophe. »
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