Le JDD. Patrick Martin, le patron du MEDEF juge ce budget « mauvais » du fait de l’alourdissement de la fiscalité sur les entreprises à hauteur de 13 milliards d’euros. Comment le qualifiez-vous ?
Amir Reza-Tofighi. Je ne saurais dire s’il s’agit d’un budget ou d’un projet de taxation des acteurs économiques. Ce n’est évidemment pas un bon budget pour les entreprises et particulièrement pour les TPE/PME. Il y a eu beaucoup de bruit autour de la surtaxe sur l’IS (impôt sur les sociétés) qui frappe les grands groupes, mais de nombreuses mesures vont toucher les petites entreprises, comme la hausse des charges, le versement mobilité ou la baisse du crédit d’impôt innovation. S’il est préférable d’avoir un budget plutôt que de ne pas en avoir, je tiens à dire qu’au moment où les institutions respirent, à cause de son adoption, les entreprises étouffent. Au lieu de soutenir l’économie, on augmente les impôts.
La CPME a-t-elle fait des projections sur l’impact de la diminution de 1,6 milliard d’allègements de charges sur les bas salaires ?
Ce qui est sûr, c’est que cela ne créera pas d’emplois ! L’impact sera forcément négatif sur l’activité et il faut raisonner globalement en intégrant les différentes mesures qui s’appliquent en même temps (mobilité, logement, apprentissage). On ne sait pas laquelle sera la plus pénalisante.
Les aides à l’apprentissage sont maintenues à hauteur de 5 000 euros par an pour les entreprises de moins de 250 salariés, est-ce un soulagement pour vous ?
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Nous avons limité la casse. Le fait d’avoir maintenu une aide de 5 000 euros pour les PME est un moindre mal. Mais rendre coûteux le fait d’embaucher un apprenti reste une mauvaise idée.
Comment concilier les aides sur les bas salaires, l’apprentissage et la progression salariale ?
Éviter les trappes à bas salaires en lissant les effets de seuil serait une bonne idée. Mais il ne peut s’agir d’un simple alibi pour rogner les allègements de charges ! Quoi qu’il en soit les chefs d’entreprise ont une réelle volonté de passer à autre chose. On sent monter une certaine exaspération et une impression de vivre dans deux mondes parallèles : d’un côté, certains politiques qui jouent avec notre économie, nos entreprises et donc avec l’emploi et les salariés ; de l’autre, nous, qui sommes dans le monde réel. Ce qui est frappant, pour notre part, c’est la volonté d’avancer et de relancer la machine. Et de ne pas se perdre dans des querelles de boutiquiers visant à récupérer de l’argent supplémentaire pour éviter de faire des économies sur la dépense publique.
Mais l’activité peut-elle redémarrer fortement compte tenu de ces mesures contraignantes ?
C’est difficile à prédire, vu le contexte. Il faut avoir en tête qu’il y a une hausse des défaillances d’entreprises, avec un niveau record au quatrième trimestre 2024. De plus, le chômage a beaucoup augmenté. Je crains une poursuite de la dégradation du fait de la pression fiscale supplémentaire, à laquelle vont succéder les arbitrages sur le budget 2026. Comment sera-t-il financé ? La surtaxe de l’IS est « provisoire », où ira-t-on chercher les huit milliards d’euros qu’elle génère en 2026 ? Tôt ou tard il faudra bien s’attaquer à la réforme de l’action publique. Et sur ce point pour l’instant, silence radio.
Même si vous n’êtes pas directement concerné, approuvez-vous Bernard Arnault lorsqu’il s’indigne de la contribution exceptionnelle infligée aux grands groupes ?
Je vous confirme que je suis indigné. Je refuse d’opposer les grandes et les petites entreprises. Pour que notre économie fonctionne, nous avons besoin de tous. J’entends les critiques sur Bernard Arnault lorsqu’il s’exprime publiquement, mais pour ma part, je suis heureux que l’on écoute enfin les chefs d’entreprise. Chaque fois que nous perdons en compétitivité, cela entraîne des délocalisations. Chaque fois que nous augmentons la fiscalité, cela pousse à l’expatriation. Alors oui, j’ai peur, pas que LVMH parte, mais que de nombreuses entreprises, à terme, finissent par partir ou par fermer, à mesure que nous perdons des parts de marché.
Constatez-vous des velléités de départ de certaines PME attirées par l’attractivité promise par Donald Trump ?
Les PME sont pour la majorité d’entre elles dans l’incapacité de délocaliser. Mais je souligne au passage que ce qui se passe aux États-Unis est éloquent. C’est un pays qui bouge vite et investit énormément dans ses entreprises : en un an, nous ne faisons même pas ce qu’ils réalisent en un jour. C’en est déprimant pour les chefs d’entreprise français. Je ne suis pas particulièrement fan des États-Unis mais ils ont compris une chose : mettre un entrepreneur à la tête d’un plan de réduction des dépenses n’est pas idiot. Si l’on veut réduire drastiquement les dépenses publiques sans baisser la qualité du service, la seule solution serait de mettre des entrepreneurs à la tête d’une commission.
Il n’y a pas grand-chose qui puisse réellement relancer l’emploi
Si François Bayrou cherche son Elon Musk, éventuellement, on l’a sous les yeux ?
Je ne suis pas Elon Musk et François Bayrou n’est pas Donald Trump. Mais, en tant que président de la CPME je propose de créer une commission dirigée par un entrepreneur, composée de chefs d’entreprise et qui aurait pour mission d’élaborer un plan de réduction drastique des dépenses publiques. Tout cela, bien sûr, avec un cahier des charges clair : faire des économies sans réduire la qualité du service. Vous verrez qu’on dépensera moins en faisant mieux, en appliquant les méthodes des entreprises. Ce n’est pas la méthode Musk, plutôt la French solution.
Tablez-vous sur une poursuite de la dégradation de l’emploi en France ? Le chômage a augmenté de 3,7 % en un an et touche particulièrement les jeunes.
Je le crains, oui. Rien n’est prévu en 2025 pour que la situation s’améliore. On limite la casse, certes, mais je ne vois pas comment on pourrait faire baisser le chômage. Les aides à l’apprentissage ont diminué, le coût du travail a augmenté… et il n’y a pas de perspectives de réformes. Il n’y a pas grand-chose qui puisse réellement relancer l’emploi.
Dans quel état d’esprit abordez-vous les négociations sur la réforme des retraites, voyez-vous des points de consensus se dégager ?
Il me paraît compliqué de revenir sur l’âge. Toucher aux 64 ans sans impacter l’équilibre financier et sans taxer les entreprises, cela relève de la magie. En revanche, on pourrait revoir la question de l’usure professionnelle et certains effets des carrières longues. Au-delà, cette réforme des retraites nous fait gagner trois, quatre, cinq ans mais elle ne fonctionnera plus à long terme. Il faut envisager un modèle différent. Ce que nous proposons, c’est une retraite basée sur une épargne populaire, collective et obligatoire. Une sorte de capitalisation. Par exemple, on pourrait supprimer trois jours fériés par an, pendant lesquels les salariés travailleraient et le fruit de ce travail serait versé sur leur compte de capitalisation.
Considérez-vous que les retraités sont surprotégés et qu’ils devraient davantage être mis à contribution, par exemple avec la suppression de l’abattement de 10 % pour frais professionnels ?
Il faut en effet un peu de cohérence. Un salarié a forcément des frais pour aller travailler, on peut se demander s’il est logique d’accorder l’équivalent aux retraités. De même, la différence de taux de CSG soulève aussi une question de cohérence. Mais il ne s’agit pas simplement de réfléchir à taxer plus les uns que les autres mais à refonder un système de retraite pour l’avenir.
Un projet de loi sur la simplification administrative arrive à l’Assemblée. Concrètement, en attendez-vous des effets massifs ? Lesquels ?
Notre priorité, c’est « le test PME » qui consiste à tester une loi avant sa mise en place pour vérifier qu’elle est bénéfique. Cela permettrait de limiter le flux de nouvelles réglementations qui s’accumulent.
Avez-vous l’assurance que ça va être mis en place ?
C’est en tout cas prévu dans la loi de simplification à venir, pour une mise en place cet été. Le deuxième sujet concerne le stock de normes. Nous proposons d’identifier chaque mois dix mesures très concrètes que nous soumettons au gouvernement, en pointant celles qui ne nous protègent pas. C’est un vrai projet d’amélioration, en collaboration avec toutes les entreprises et les différentes branches.
Approuvez-vous le durcissement de la circulaire Valls par Bruno Retailleau visant à durcir les conditions d’accès à la régularisation des immigrés qui travaillent en France ?
Je pense que le travail est le meilleur vecteur d’intégration dans une société. Certains secteurs souffrent aujourd’hui d’un manque criant de salariés et il est impossible d’y répondre sans recours à la main-d’œuvre étrangère. C’est dommage de pénaliser des secteurs d’activité qui recrutent, d’autant plus que cette immigration est avant tout une immigration de travail et d’intégration à la société.
« Le travail est le meilleur vecteur d’intégration dans une société »
Vous avez 40 ans. Fils de réfugiés politiques iraniens, vous avez grandi à Grigny, avant de créer votre entreprise. Votre parcours est-il une exception ?
Mon parcours démontre l’importance du travail et de cela je suis fier. Ce qui est dommage aujourd’hui, c’est la dévalorisation permanente du travail. C’est pourtant le plus beau vecteur d’intégration, d’émancipation et d’estime de soi. On en arrive presque à en faire une insulte. Je vois pourtant de plus en plus de profils comme le mien. Il est urgent de sortir du schéma actuel dans lequel on instille l’idée qu’il faut toujours travailler moins. C’est un danger pour notre société.
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