L’homme a la force de conviction qui traverse l’histoire de sa terre d’origine. « J’ai des racines profondes, je ne suis pas venu à la politique par un parti, j’y suis venu par ma petite patrie charnelle, comme dirait Péguy, la Vendée, mes racines. » À l’image de son illustre compatriote François Athanase Charette de La Contrie, qui combattit à la tête d’une armée de paysans les troupes de la Convention au lendemain de la Révolution française, Bruno Retailleau ne bat jamais en retraite. Indéfectible second de François Fillon quand tous les barons de la droite le lâchaient dans la campagne dévastatrice de 2017 ; montant à bord du frêle esquif gouvernemental au lendemain de la dissolution quand Laurent Wauquiez refusait d’y rentrer. Le ministre de l’Intérieur ne contourne jamais l’obstacle – « Je ne pense jamais au coup d’après » –, il l’affronte. Par conviction. Par devoir.
Sur l’immigration, la fin de vie, la lutte contre la drogue, le ministre de l’Intérieur tient sa ligne, sans jamais en rabattre, au risque de donner des arguments à ses opposants qui voient en lui un réactionnaire, un conservateur dont les valeurs humaines et politiques seraient d’un autre temps. Lui en est convaincu, ses actes politiques résonnent dans l’opinion et redonnent espoir au peuple de droite. Faire plutôt que paraître. Dans l’immense bureau où il reçoit le JDD pour un long entretien, la sobriété saute aux yeux, quand la plupart des ministres y exposent photos et témoignages retraçant le récit de leur éclatant parcours. Encore peu identifié par l’opinion publique il y a à peine six mois, Bruno Retailleau s’impose dans toutes les enquêtes d’opinion comme l’incarnation politique la plus respectée à droite, mais aussi auprès d’une partie du peuple de gauche. De quoi nourrir des ambitions à la veille du duel qui se profile avec Laurent Wauquiez pour présider aux destinées des Républicains.
Le JDD. L’influenceur Doualemn, qui appelait à « tuer » et à « faire souffrir » les opposants du régime d’Alger, a été libéré par la justice. Est-ce un désaveu pour le ministre de l’Intérieur que vous êtes ?
Bruno Retailleau. C’est une leçon de choses. Regardons les faits, que les Français perçoivent bien. Voilà un individu qui a tenté à deux reprises d’entrer illégalement en France, violant nos lois et nos frontières. Voilà un récidiviste condamné six fois, dont deux fois pour trafic de stupéfiants, et qui cumule un total de onze ans et onze mois de prison. Quand on sait qu’il est difficile d’être incarcéré en France, on mesure la gravité de son parcours. Mais ce n’est pas tout : il a également proféré des menaces explicites sur Internet, appelant à « tuer » et à « faire souffrir ». Autrement dit, il a incité à la torture. Cette affaire révèle une chose essentielle : le droit, tel qu’il est appliqué aujourd’hui, met en échec la volonté de l’État de protéger le Français et de faire respecter l’ordre républicain. Elle illustre parfaitement ce que je dis depuis longtemps : l’État de droit a été dévoyé au point que la règle de droit ne protège plus la société française, mais désarme l’État régalien. Quand une règle ne protège plus les Français, il faut la changer.
« L’Etat de droit a été dévoyé. La règle de droit ne protège plus la société »
Comment comptez-vous la changer ? Avez-vous aujourd’hui les moyens de le faire ?
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Notre capacité d’action est évidemment contrainte par une arithmétique désespérante à l’Assemblée nationale. Mais cette affaire a au moins un immense mérite : elle montre, de façon très concrète, qu’on ne pourra pas changer les règles sans passer par un référendum. Je l’ai toujours dit : il faut redonner la parole aux Français, pour deux raisons. D’abord, parce que l’immigration est sans doute le phénomène qui a le plus bouleversé la société française depuis un demi-siècle, sans que les Français aient jamais été consultés. Ensuite, parce que seul un référendum a la puissance nécessaire pour modifier durablement le droit et s’imposer face à certaines jurisprudences.
N’est-ce pas désespérant de voir l’État tenter de l’expulser, l’Algérie refuser, la justice casser l’arrêté, le placer en centre de rétention administrative (CRA) sous OQTF, puis l’annuler et le libérer… avec 1 200 euros en prime ?
Non, je ne ressens pas de désespoir. Je suis là pour me battre. Dès mon arrivée, j’ai compris que notre système juridique avait été façonné de telle manière qu’il protège désormais davantage ce type d’individus que la société française. Il y a un déséquilibre profond dans notre droit : l’État est désarmé, il ne parvient plus à protéger suffisamment la société, tandis que les droits individuels sont poussés à l’extrême. Et cette affaire en est une parfaite illustration. C’est une leçon de choses, une démonstration limpide de ce qui ne fonctionne plus. J’aimerais qu’on demande aux Français ce qu’ils en pensent. Mais je connais déjà leur réponse.
Sur ce sujet, vous savez qu’il faudra probablement attendre l’élection présidentielle…
Sans doute. Mais ne perdons pas de temps. Gagnons d’abord la bataille de l’opinion. En démocratie, c’est une étape essentielle.
François Bayrou réclame un « débat public approfondi » sur le droit du sol. Un vote a eu lieu cette semaine sur Mayotte. Faut-il abroger le droit du sol dans toute la métropole ?
Le Premier ministre a raison de souligner l’importance de cette question. C’est typiquement un débat qui sera tranché lors de l’élection présidentielle, car sans majorité, rien ne bougera. Je préfère donc agir là où j’ai des leviers, même si les obstacles sont nombreux, pour être utile tout de suite aux Français. Cela dit, je veux rappeler qu’au moment du vote de la loi sur l’immigration, nous avions fait adopter au Sénat un amendement durcissant le droit du sol. Il reprenait la disposition prise par Charles Pasqua en 1993, supprimant l’automaticité : un enfant né en France de parents étrangers ne deviendrait plus automatiquement Français sans le savoir, mais par un acte civique volontaire et explicite. Car notre modèle républicain est avant tout un modèle d’adhésion : on choisit d’entrer dans la communauté nationale, d’en partager les principes et les valeurs. Pour moi, c’est fondamental.
Vous avez récemment dîné avec le président de la République, qui a lui-même évoqué l’idée de consulter les Français par référendum. Avez-vous abordé avec lui la possibilité d’y soumettre certains de ces sujets ?
Non, la discussion n’a pas porté sur ce point précis. Mais j’ai pu lui exposer les différentes possibilités de recourir au référendum, si tel devait être le cas. Et je le souhaite. Je suis gaulliste et je crois qu’il faut mieux articuler démocratie représentative et démocratie directe, ne pas attendre tous les cinq ans pour interroger les Français. C’était d’ailleurs une revendication majeure des Gilets jaunes, à l’origine. Aujourd’hui, pour bousculer le conformisme et ce que j’appelle « l’impossibilisme » – ces blocages juridiques qui entravent l’action –, il faut redonner la parole aux Français. C’est la démocratie qui doit trancher.
Les chiffres de l’immigration sont tombés. Que faut-il retenir ? Les 336 700 titres de séjour délivrés, en hausse de 1,8 %, ou les 21 601 expulsions, en hausse de 26,7 % ?
Le sujet migratoire, c’est la capacité à réduire les entrées et à accélérer les sorties. Mais la priorité, ce sont d’abord les entrées. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des normes juridiques qui nous entravent et à la réticence de certains États à coopérer sur les expulsions. L’exécution des OQTF ne dépend pas seulement de nous, mais surtout des pays d’origine, qui doivent délivrer des laissez-passer consulaires. Avant même d’accélérer les expulsions, il faut donc réduire les flux entrants. Cela passe notamment par une politique de visas plus restrictive. Or la France est le pays qui en délivre le plus avec un quart des visas accordés par l’ensemble des 27 pays de l’Union européenne. L’an dernier, nous avons accordé 2,4 millions de visas, contre 1,5 million pour l’Allemagne, soit un écart de près d’un million. Certes, nous sommes un pays touristique, mais la politique migratoire doit être cohérente.
Les 336 700 titres de séjour délivrés, en hausse de 1,8 %, vous conviennent-ils ?
Depuis mon arrivée au ministère fin septembre, nous avons délivré deux fois moins de titres de séjour en primo-délivrance chaque mois que ce qui avait été délivré en moyenne sur les neuf premiers mois de l’année. Ce n’est pas rien. Le nombre de régularisations a diminué de 10 % sur l’année, et la circulaire que j’ai adressée aux préfets pose désormais un cadre encore plus exigeant. Quant aux éloignements, ils ont augmenté de 26,7 %, avec une accélération nette depuis mon arrivée. Malgré les nombreux obstacles, la volonté politique peut ouvrir un passage. Mais soyons lucides : on ne résoudra durablement le problème que par une approche globale.
Comment agir autrement que par la voie réglementaire ? Quand passerez-vous à l’acte sur la loi ?
Je sais qu’on ne peut pas avoir de grande loi. C’est un constat que j’avais déjà établi avec Michel Barnier, et il n’a pas changé. La stratégie, donc, est d’avancer par des textes plus ciblés, notamment par le biais de propositions de loi portées par des députés ou des sénateurs, comme cela a été le cas pour Mayotte. D’autres initiatives doivent suivre : sur les centres de rétention administrative (CRA), sur la durée de rétention, sur le délit de séjour irrégulier, sur le pouvoir des préfets qui devraient être en mesure de suspendre une décision de remise en liberté prise par un juge des libertés lorsqu’elle concerne un individu dangereux. Il faut aussi revoir la question des prestations sociales. Ce sont ces leviers qu’il faut actionner.
Il y a 500 000 entrées par an, sans compter les régularisations et les naturalisations. Cela ne correspond-il pas, de fait, à une submersion ?
Un demi-million d’entrées par an, c’est trop. La question migratoire est d’abord une question de nombre. Comme l’a dit le Premier ministre, tout est une question de proportion : dans un village des Pyrénées ou de Vendée, une famille de plus, ce n’est pas un problème. Trente, c’est un bouleversement. Aujourd’hui, nous ne maîtrisons plus les flux. C’est pour cela que j’ai durci la circulaire sur l’admission exceptionnelle au séjour. Car si nous envoyons le signal que l’irrégularité – qu’il s’agisse d’une entrée illégale ou d’un maintien sur le territoire – peut, à terme, donner des droits à rester et à être régularisé, alors nous créons un appel d’air. En matière migratoire, l’annonce d’une mesure compte parfois plus que son contenu. Nous devons envoyer un signal clair aux filières de trafiquants d’êtres humains et à tous les candidats à l’immigration illégale : il n’y a pas de droit à la régularisation.
Depuis 1945, on n’a jamais autant accueilli d’étrangers. Et depuis 1945, on n’a jamais fait aussi peu d’enfants. À tel point que les courbes vont finir par se croiser. Cela vous inquiète-t-il ?
Nous ne sommes pas encore dans la situation de l’Allemagne, de l’Italie ou de l’Espagne, où le déclin démographique est déjà une réalité très préoccupante. Mais la tendance est là, et si nous n’agissons pas, nous suivrons le même chemin. En France, nous avons encore une marge de manœuvre, notamment en mobilisant mieux notre force de travail. Aujourd’hui, notre taux d’emploi est bien trop faible : 20 points de moins que le Danemark chez les seniors, 16 points de moins que l’Allemagne en moyenne. Nous avons encore un chômage de masse. Il faut encourager davantage de Français à travailler plutôt que de considérer l’immigration comme une solution de facilité. Mais vous avez raison, un basculement est en cours : une Europe vieillissante, où la natalité s’effondre, face à une Afrique qui continue de croître démographiquement. Cette polarisation bouleversera l’équilibre mondial. Il est donc urgent de relancer une véritable politique nataliste, car sans enfants, une nation s’éteint.
Un tiers de nos dépenses sociales finance les retraites. Ne faudrait-il pas plutôt les rééquilibrer en faveur de la natalité et du soutien aux familles ?
La question ne se pose pas en ces termes. Lorsque j’étais président du groupe LR, j’ai soutenu la réforme des retraites, convaincu – et je le suis toujours – qu’il fallait sauver notre régime par répartition. Mais je pense aussi qu’il faut aller plus loin en ajoutant un troisième étage à notre système. Aujourd’hui, nous avons deux niveaux : un régime de base et un régime complémentaire. Il est temps d’y ajouter un régime par capitalisation. Sauver la répartition, c’est préserver un lien de solidarité entre les générations, mais cela ne doit pas nous empêcher d’innover pour garantir l’avenir de notre système.
Il y a quelques jours, Jean-Luc Mélenchon s’est félicité du « grand remplacement » à l’œuvre en France. Que vous inspire cette sortie ?
J’y vois un simple calcul électoral. Jean-Luc Mélenchon s’imagine pouvoir gagner la présidentielle en s’adressant à une clientèle confessionnelle, notamment musulmane. C’est dangereux et irresponsable. Mais les électeurs ne sont pas dupes. La preuve : une majorité de Français, y compris à gauche, soutient les mesures que je défends. L’extrême gauche méprise l’attachement des Français à des réalités immatérielles : le patrimoine culturel, un mode de vie. Chaque peuple a droit à une continuité historique, à préserver son être. Si l’immigration zéro n’existe pas, il faut trouver aujourd’hui un juste équilibre pour permettre aux nouveaux venus de s’assimiler. Et j’emploie ce terme à dessein : on n’intègre pas des valeurs ou des principes, on les assimile. La liberté de conscience, l’égalité entre les hommes et les femmes, la fraternité civique ne sont pas négociables.
Croyez-vous au « grand remplacement » ?
Je n’ai jamais cru à l’idée d’un plan organisé visant à substituer une population à une autre. Mais cela ne doit pas nous empêcher de voir certaines dynamiques à l’œuvre, notamment la concentration de populations dans certains territoires. Les évolutions démographiques sont désormais documentées et il existe des enclaves où l’islamisme progresse, où les femmes sont invisibilisées. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur cette réalité.
« Le temps est venu pour les réformes profondes »
Pendant que l’on débat du budget, de la fin de vie et de la loi PLM, une guerre commerciale fait rage et l’ordre mondial se redessine. Ne risque-t-on pas de passer à côté des véritables enjeux ?
Depuis la dissolution, l’instabilité politique nourrit une forme d’immobilisme, mais le temps viendra pour les réformes profondes. Il y a aussi des motifs d’espérance. Je suis convaincu que les Français sont prêts à assumer une rupture. Il existe dans le pays ce que j’appelle une majorité nationale, qui se retrouve autour de trois grands piliers : le retour de l’ordre, un travail qui paie, une école qui transmet. Le temps est venu de réformes profondes.
Le Sénat a voté à l’unanimité une loi contre le narcotrafic. Vous parlez d’un « texte fondateur ». En quoi marque-t-il un tournant décisif ?
Parce qu’elle marque deux ruptures majeures. D’abord, elle place la lutte contre les narcotrafiquants au même niveau que le combat contre le terrorisme. Cela implique une refonte complète de l’organisation des services compétents : une chaîne pénale spécialisée, un parquet national anticriminalité, la mise en place d’un état-major de lutte contre le crime organisé, avec comme chef de file la direction nationale de la Police judiciaire (DNPJ), qui regroupe tous les services de renseignement et d’enquête. Ensuite, elle dote l’État de nouveaux outils : des pouvoirs renforcés pour les préfets, notamment la possibilité de se substituer aux bailleurs pour expulser un trafiquant d’un logement social, un arsenal accru contre le blanchiment et la corruption, ainsi que des techniques spéciales d’enquête, indispensables pour pénétrer et confondre les organisations mafieuses. Parmi elles, la création d’un dossier « coffre-fort » empêchant la divulgation de certaines méthodes sensibles ou encore l’identité de ceux qui ont aidé à l’enquête.
Les avocats pénalistes risquent de ruer dans les brancards…
Pas la grande majorité d’entre eux. Je rappelle qu’il s’agit de narcotrafic… Par ailleurs, nous avons juridiquement sécurisé le texte.
Dans le même temps, vous avez diffusé un clip d’information pour culpabiliser les consommateurs de drogue. Est-ce vraiment efficace ?
C’est effectivement une campagne de culpabilisation des consommateurs, car derrière les paradis artificiels qu’ils s’achètent, il y a l’enfer bien réel du narcotrafic. Chacun doit comprendre qu’en fumant un joint ou en prenant un rail de coke, il alimente un écosystème criminel et violent. Or, cette violence touche des jeunes de plus en plus tôt, et la corruption qu’elle engendre menace nos institutions. Cette campagne, financée par les saisies des avoirs des narcotrafiquants, a coûté deux millions d’euros. C’est de l’argent criminel utilisé pour faire prendre conscience aux Français des ravages de la drogue.
Le maire de Grenoble, Éric Piolle, plaide pour des compromis avec les dealers sur les points de vente. Qu’en pensez-vous ?
Il veut un modus vivendi avec les dealers, je plaide à l’inverse un modus operandi clair : des poursuites, et la prison ! Aucun accommodement n’est possible avec des individus capables de blesser ou de tuer des enfants, d’abattre leurs concurrents à bout portant ou de les brûler vifs. Quant à l’idée que la légalisation mettrait fin au trafic, elle est fausse. J’étais récemment aux côtés de la Police aux frontières : le commerce clandestin de cigarettes n’a jamais été aussi florissant, alors même que ce produit est légal.
L’État, notamment via le ministère de la Santé, finance des associations d’aide aux toxicomanes, dont certaines militent pour les salles de shoot ou la légalisation des drogues. N’est-ce pas contradictoire avec votre politique de fermeté ?
Je ne suis pas ministre de la Santé, je suis ministre de l’Intérieur. Il faut donc aborder cette question sous un double angle. D’un côté, je sais qu’il y a des toxicomanes qui doivent être pris en charge médicalement. Cela ne se discute pas. De l’autre, ce que je constate, c’est qu’il est parfois paradoxal de voir l’État subventionner des associations qui militent pour une politique contraire à celle qu’il porte. Chaque association a évidemment le droit d’exister, c’est la liberté d’association, et je la respecte pleinement. Mais lorsqu’une association est délégataire d’une mission de service public, elle doit s’inscrire dans un cadre juridique et contribuer à la mise en œuvre d’une politique publique décidée démocratiquement. Si elle souhaite la contester, elle en a parfaitement le droit. Mais alors, elle ne peut pas le faire avec l’argent de l’État.
Sur la fin de vie, vous fixiez comme ligne rouge un projet de loi gouvernemental. Il n’y en aura pas a priori. Cela vous convient-il ?
Le Premier ministre a fait preuve de courage. J’ai toujours plaidé pour deux textes distincts : l’un sur les soins palliatifs, qui relève de l’État car il engage des moyens publics, l’autre sur la fin de vie, laissé à l’initiative parlementaire. Ne pas instrumentaliser les soins palliatifs pour imposer l’euthanasie était essentiel. Chaque jour en France, 500 personnes meurent dans la souffrance faute d’unités adaptées dans une vingtaine de départements. La priorité est de les soulager. C’est un devoir d’humanité.
Pourquoi restez-vous opposé à une loi sur la fin de vie ?
Partout où elle a été adoptée, les garde-fous ont fini par tomber un à un. Une fois la porte entrouverte, elle finit grande ouverte ! En commission à l’Assemblée nationale, toutes les protections ont d’ailleurs sauté en quelques heures. Mais surtout, ce n’est pas un texte de fraternité. Dès lors que l’euthanasie ou le suicide assisté sont légalisés, chacun peut se demander : « Suis-je une charge pour mes proches ou pour la société ? » Ce doute brise le lien entre celui qui va mourir et ceux qui l’entourent. Or, les soignants en témoignent : des demandes de mort existent, mais quand l’accompagnement est digne, elles disparaissent dans une immense majorité de cas. Voilà pourquoi je n’ai pas changé d’avis.
Vous vous êtes entretenu cette semaine avec Laurent Wauquiez dans ce bureau. Envisagez-vous de vous porter candidat à la présidence de votre parti ?
Ma conviction est que les Françaises et les Français attendent des solutions, des propositions formulées par la droite. Nous voyons bien qu’il y a un espoir à l’issue des différentes élections partielles à Boulogne, à Villeneuve-Saint-Georges, dans les Ardennes, en Isère. Partout nos candidats progressent, gagnent.
Vous faites un lien entre ces bons résultats et votre retour aux responsabilités ?
Bien sûr. Parce que les Français veulent nous voir dans l’action. C’est l’action qui réhabilite nos convictions. À Beauvau, je prouve qu’une volonté politique, même face aux résistances, peut briser les immobilismes et renverser les fatalités. Exercer le pouvoir permet à la droite d’appliquer ses principes sans les renier. Les Français le perçoivent. Cela me conforte dans l’idée qu’il y a un espace pour un grand parti de droite. Serai-je candidat à sa présidence ? Je l’ignore encore. Ce qui est certain, c’est que je prendrai une part active à la reconstruction du grand projet de droite dont le pays a besoin et que les Français attendent.
Je n’ai jamais raisonné en termes de « coup d’après »
Vous ne savez vraiment pas si vous serez candidat ?
Non.
Votre entourage assure pourtant que vous êtes « très déterminé »…
Je ne connais qu’un seul entourage : mon tribunal intérieur.
Il y a un an, auriez-vous imaginé être aujourd’hui ministre d’Emmanuel Macron dans un gouvernement Bayrou ?
Franchement, non !
Mais ne le regrettez-vous pas ?
Que s’est-il passé entre décembre 2023 et septembre 2024 ? Un événement totalement imprévisible : la dissolution. À partir de là, quel choix avions-nous à droite ? Si nous avions claqué la porte au nez d’Emmanuel Macron, la gauche prenait les rênes. Et surtout, le pays était au bord du chaos. Or, lorsqu’on est gaulliste, le chaos n’est pas une option. C’est pour cela que nous avons choisi de participer au gouvernement.
De la même façon que vous n’auriez jamais imaginé être ministre, pourriez-vous envisager, dans un peu plus de deux ans, d’être à l’Élysée ?
Je n’ai jamais raisonné en termes de « coup d’après ». Dans toute ma trajectoire politique, je ne me suis jamais demandé jusqu’où je pouvais monter. La seule question qui me guide est : où puis-je être utile ? J’ai grandi avec le sentiment profond d’avoir une dette envers mon pays. Mes grands-pères ont fait la guerre, mon père aussi. J’appartiens à une génération qui a bénéficié des fruits de leurs combats : notre culture, notre liberté. Depuis toujours, je vis avec cette idée de rendre à la France ce qu’elle m’a donné. C’est cela, ma liberté : agir sans calculer l’étape suivante. Contrairement à d’autres, je ne rêvais pas d’être président de la République quand j’avais cinq ans.
Redoutez-vous que la droite traverse une nouvelle guerre des chefs pour la présidentielle ?
Je m’oppose à cette idée qu’une élection interne est forcément un bain de sang. La démocratie, ce n’est pas la guerre, et les élections sont l’essence même de la politique. Ce n’est pas à quelques « chapeaux à plumes » mais aux militants de choisir, par le vote, qui est le mieux à même de porter nos idées.
Depuis votre arrivée à Beauvau, vous avez gagné en notoriété et en popularité dans les sondages. À quoi l’attribuez-vous ?
J’ai beaucoup de distance avec cette popularité. Les sondages montent vite, mais ils peuvent redescendre tout aussi rapidement. Ce que j’en retiens, c’est que les Français attendent de la sincérité et de l’action. Dès mon arrivée, j’ai voulu parler vrai et agir vite, sans me laisser engourdir par l’exercice du pouvoir. J’ai affronté l’immobilisme et ce que j’appelle « l’impossibilisme ». En assumant mes convictions et en tenant un discours clair, j’ai suscité des polémiques qui ont permis de faire passer des messages. Les Français m’ont entendu, ils m’ont cru et ils m’ont suivi. En politique, quand il y a un alignement entre la conviction intime, les mots et l’action, alors c’est déjà de l’action.
Vous sentez-vous capable de parler à toute la droite, de Renaissance aux électeurs du Rassemblement national ?
Ma famille politique a perdu 10 millions d’électeurs en quinze ans parce qu’elle a déçu, parce qu’elle n’a pas assumé ses convictions. Beaucoup de ceux qui votent aujourd’hui Rassemblement national votaient jadis pour nous, et beaucoup d’électeurs d’Emmanuel Macron en 2017, emportés par un vent de liberté que la droite doit absolument faire à nouveau souffler sur le pays. Mais au-delà des partis, il existe une majorité nationale qui veut trois choses : plus d’autorité sur le régalien, la valorisation du travail face à l’assistanat et la transmission des savoirs et des valeurs à l’école. Nous devons bâtir une maison commune autour de convictions fortes. Lors du Congrès des maires, en novembre, j’ai été frappé par le nombre d’élus me disant : « Je suis à gauche, mais je soutiens ce que vous faites. » Les frontières partisanes sont secondaires. Plus de 70 % des Français adhèrent à mes politiques de fermeté, y compris à gauche. Un socle existe. Il peut rassembler le pays, par les convictions, pas par les étiquettes.
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