Mercredi 5 février, Les Républicains réunissent leur bureau politique à la maison de la Chimie, dans le 7e arrondissement de Paris, pour lancer en grande pompe la « refondation » du parti. Laurent Wauquiez, patron du groupe Droite républicaine à l’Assemblée, entouré des poids lourds du mouvement, pilote les débats sur l’avenir d’une famille en quête de renaissance. Au milieu de la pièce, un revenant suscite la curiosité : le chiraquien historique, Christian Jacob. L’ex-président du parti (2019-2022) avait pourtant juré ses grands dieux qu’il ne reviendrait pas. Retiré dans le privé, lorsqu’il croisait des journalistes politiques, impossible de lui arracher le moindre commentaire sur les uns et les autres. Plus un mot, sur rien ni personne : « Vous ne me ferez rien dire », congédiait-il récemment un éditorialiste avenue George-V, qui lui proposait de déjeuner. Et pourtant, ce mercredi 5 février, le voilà de retour, notes en main, pour apporter sa pierre à la refondation politique du mouvement gaulliste, deux ans après l’avoir quitté. Dans quel but ? « Il est venu filer un dernier coup de main à Wauquiez », assure un participant. La scène qui suit s’avère aussi cocasse que révélatrice.
Wauquiez veut programmer l’élection à la présidence du parti en juin. Son calcul : que d’ici là, le gouvernement ait été renversé par la censure, entraînant dans sa chute son rival Retailleau. Mais au fil des échanges, un consensus se dégage pour une échéance plus rapprochée : fin avril ou début mai. Jacob prend alors la parole pour plaider avec force en faveur d’une élection plus tardive. En juin, par exemple… Tout le monde comprend que le jeune retraité est sorti de sa réserve pour lancer les grandes manœuvres.
Un parti moribond
L’enjeu ? Remettre la main sur un parti moribond après le départ d’Éric Ciotti, mais qui depuis septembre, avec la présence de plusieurs de ses représentants au gouvernement, retrouve du souffle, de l’espace. Les bons scores des candidats LR lors de plusieurs élections partielles en attestent. Dans le même temps, une figure nouvelle s’est dressée au-dessus de la mêlée, le ministre de l’Intérieur, pilier des gouvernements Barnier et Bayrou. Au point d’apparaître comme le champion naturel capable d’ouvrir une nouvelle page du parti, quand Laurent Wauquiez se considérait comme le seul chef légitime. Battu par Éric Ciotti à l’hiver 2022 à l’élection de la présidence de LR, Retailleau, replié au Sénat, s’est d’abord imposé comme le patron de la droite au Parlement, notamment à l’occasion de la loi immigration, avant de prendre le risque d’intégrer l’exécutif d’Emmanuel Macron. Pari gagnant. « En septembre, il est un quasi inconnu. En décembre, il devient le poids lourd du gouvernement. En février, il est le patron de la droite. On se demande ce qu’il sera en avril », s’enflamme un ministre de droite devenu un inconditionnel du Vendéen.
Bruno Retailleau est prêt à son tour à prendre la place du pilote
Un ancien dirigeant du parti lui a glissé récemment : « Pendant que tu as le vent en poupe, tu dois être candidat à tout. » Retailleau en a bien l’intention. Lui qui s’est toujours tenu à sa place, soutien loyal des différents leaders désignés par la famille, est prêt à son tour à prendre la place du pilote. Son entourage le dit « très déterminé », lui assume « de prendre toute sa place » dans la période qui s’ouvre.
Une irrésistible montée en puissance qui déstabilise le système Wauquiez et rapproche les deux hommes de la fracture, après des semaines d’affrontement larvé. Retailleau s’est battu bec et ongles pour que la droite conserve des postes au gouvernement. Wauquiez, lui, a toujours été partisan de se tenir dans l’opposition résolue à Emmanuel Macron. Une divergence qui a provoqué une première cassure au moment des négociations qui précédèrent la nomination du gouvernement Bayrou. Soucieux de rappeler à tous « qui commande », Laurent Wauquiez interdit à Bruno Retailleau de l’accompagner à l’élysée, le 6 décembre, pour négocier le soutien et la participation des Républicains à la nouvelle équipe. Un acte d’autoritarisme auquel Bruno Retailleau oppose quelques jours plus tard une riposte cinglante : à peine investi à Matignon, François Bayrou fait venir le ministre de l’Intérieur dans son bureau pour un tête-à-tête de deux heures. Une façon de souligner que si Wauquiez a les titres, Retailleau a la force.
La suite après cette publicité
Le duel est inévitable, mais les deux hommes ont en tête les épisodes de la longue histoire de la guerre des chefs qui mine la famille depuis le départ de Nicolas Sarkozy. à défaut de contourner la confrontation, au moins faut-il éviter que cela ne finisse dans une lutte à mort. C’est l’objet de leur dîner, mardi dernier, derrière la grille de Beauvau. Une heure d’échange feutré, qui n’a pas fait baisser la tension. En témoigne, le lendemain, cette mise en garde d’un proche de Wauquiez dans Le Figaro : si Retailleau se prépare à l’affronter, il doit savoir que «Wauquiez est une bête féroce, un tueur ». Le ministre de l’Intérieur n’en doutait pas. La famille élargie est prévenue.
Lors d’un récent coup de fil, Nicolas Sarkozy a encouragé Retailleau à se lancer
Éviter une longue bataille
L’atmosphère est si lourde à la maison de la Chimie, au lendemain du dîner, que Jean-François Copé se fend d’un appel au calme, non sans ironie, en se présentant comme « spécialiste reconnu en matière de guerre des chefs ». Une sortie qui détend brièvement une assemblée crispée, rapportent des témoins. Gérard Larcher et Michel Barnier, barons du parti expriment ouvertement leur agacement à l’endroit de la gestion « en solo » de Laurent Wauquiez, jugée pudiquement « peu collégiale ». La majorité des responsables du parti, soucieux d’éviter une bataille longue et mortifère, plaident pour un calendrier resserré, avant qu’une éventuelle dissolution ne vienne tout bouleverser, au-delà de la vie interne du parti. Les positions sont connues, un bureau politique est prévu d’ici à quinze jours pour arrêter la date de l’élection, l’adoption de nouveaux statuts et un éventuel changement de nom du parti.
D’ici là, le combat se poursuivra, à fleurets plus ou moins mouchetés, par médias interposés. Une danse que Nicolas Sarkozy suit de près et dans laquelle il a choisi son camp. Lors d’un récent coup de fil, il a encouragé Retailleau à se lancer. Un message lourd de sens, venant du dernier dirigeant politique à avoir cumulé ministère de l’Intérieur et présidence du parti, appliquant méthodiquement le triptyque sacré de la droite : un chef, un parti, un projet. à ce soutien s’ajoute celui de la majorité des cadres et d’une majorité des sympathisants de droite – mesurée par les sondages. « Même chez moi, dans la région de Wauquiez, les militants ne parlent que de Retailleau », confie un président de fédération d’Auvergne-Rhône-Alpes, façon d’illustrer la fragilité du leader sortant.
L’issue finale n’est pas pour autant jouée, et ce serait mal connaître Laurent Wauquiez que de laisser penser qu’il a perdu confiance en la victoire. Qui peut prévoir qui sortirait vainqueur d’un combat fratricide qui ouvrirait une profonde crise au sein d’un parti convalescent ? Qu’adviendrait-il si, comme on l’évoque dans l’entourage de Wauquiez, « une censure du RN [survenait] plus tôt qu’on ne le pense » ? Quel levier enfin l’actuel patron des Républicains, qui a l’appareil à sa main – les fichiers notamment –, pourrait-il activer sans que l’on s’y attende ? Les couteaux sont tirés. La duel commence.
Source : Lire Plus