L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ne déçoit jamais. Avec un sens aigu des priorités, l’Ademe nous a gratifiés de nouveaux conseils en matière de sobriété énergétique pour expliquer comment espacer la lessive de nos sous-vêtements. Cette leçon frelatée de scoutisme recèle une nouvelle fois la volonté infantilisante de contrôler l’intimité de nos vies quotidiennes.
On ne compte plus les injonctions moralisantes qui, de l’hygiénisme du XIXe siècle au « Dry January », veulent dicter les conduites des Français. Conséquence de la Chute, le vêtement protecteur et parure s’est prêté à toutes les annexions idéologiques. Hier, les féministes appelaient à brûler les soutiens-gorges, aujourd’hui, les décroissants ne veulent plus les laver. En exigeant des comportements vestimentaires « vertueux », les pouvoirs publics privent l’individu de son désir de singularité. Mais surtout, ce contrôle du corps chargé d’ordonner l’économie des apparences risque d’ôter davantage notre part de responsabilité.
Dès la Renaissance, les pouvoirs publics s’intéressent à la manière de s’habiller. Catherine de Médicis impose la culotte, appelée calecone, aux dames de sa cour. Mais il se trouve des pudibonds pour voir dans cet instrument, pourtant de décence, un travestissement masculin ! Au moment où les femmes sont sommées de dissimuler leur intimité, les hommes sont d’ailleurs invités à exhiber leur virilité par la braguette. Les protestants répugnent à cette étoffe triangulaire « papiste » et « ébraguettent » ceux qui osent la porter.
Au XVIe siècle, l’Ademe aurait sans doute applaudi à l’obligation de toilette sèche, l’eau étant réputée nocive en ce qu’elle rendrait le corps vulnérable aux miasmes. L’agence se serait aussi délectée de l’ode de Ronsard à la transpiration, « vrai parfum d’un roi », signe du courage physique. Elle aurait en revanche moins apprécié la nécessité de changer fréquemment de linge pour ne paraître pingre à la cour des Valois.
L’injonction à la sobriété énergétique a remplacé la dénonciation du luxe vestimentaire
Dans la société du regard, les lois somptuaires rappellent à chacun son rang. Chaque catégorie se voit reconnue par l’acquisition d’habits qui lui sont dédiés. En 1576, Henri III récrimine ces « parvenus » qui usurpent les habits des gentilshommes et leur interdit le cramoisi, le velours et nombre de pierreries. À la cour de Louis le Grand, gare à celle qui ne respecterait pas la longueur de sa traîne comme à celui qui excéderait le nombre de boutons autorisés à son gilet.
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Le bourgeois ne peut afficher ni couleur vive, ni plumets. Les édits se multiplient pour obliger à acheter des textiles « français » interdisant les « passements milanais » (Richelieu), la dentelle (Mazarin) ou encore la perruque étrangères (Colbert). La manière de se vêtir et de se parer rend lisibles les distinctions d’estime. Des instructions publiques autorisent le fard rouge en public mais le déconseillent dans la sphère privée.
L’État n’arrive pas à faire respecter les lois somptuaires. Au XVIIIe siècle, les maîtres, qui ne lavent pas leurs habits, en font don à leurs domestiques brouillant ainsi les repères sociaux. Cette confusion des codes vestimentaires fait le charme des intrigues de Marivaux. La volonté régénératrice des Lumières force les résistances de l’intime pour conformer l’Homme nouveau à ses normes, y compris dans son habillement. En 1772, dans ses Recherches sur les habillements des femmes et des enfants, ou examen de la manière dont il faut vêtir l’un et l’autre sexe, le médecin Alphonse Leroy prétend faire de l’État le prescripteur des tenues « pratiques » plus en lien avec la « nature ». Hostile à l’ostentation vestimentaire, Fénelon dénonce « le luxe empoisonne toute une nation ». Sa critique moraliste prendra corps dans le « Monsieur en noir » triomphant au XIXe siècle.
La Révolution fait du vêtement le signe extérieur d’adhésion au régime républicain. Des députés du Tiers États refusent en 1789 de souscrire au règlement qui leur interdit d’arborer des couleurs ou de la dentelle mais sous la Terreur, des cheveux poudrés ou teint blanchi sont perçus comme des indices contre-révolutionnaires. Le Sans-culotte devient la figure esthétique du nouveau monde. David édictera même un habit « révolutionnaire » sans réellement convaincre l’opinion.
Héritiers à sous-munition des Jacobins, les Insoumis ont cru faire preuve de transgression en refusant de porter à l’Assemblée la cravate « bourgeoise ». Le port de signes extérieurs est performatif : les revêtir, c’est dire autant son appartenance qu’agir. Les islamistes l’ont bien compris en instaurant un rapport de force vestimentaire avec l’abaya comme, avant eux, les Black Panther incitaient la communauté noire américaine à manifester dans une tenue endimanchée spécifique.
L’injonction à la sobriété énergétique a remplacé la dénonciation du luxe vestimentaire. La litanie confondante de recommandations « écoresponsables » accélère en réalité notre irresponsabilité. Il est sans doute plus facile à l’État de contrôler nos vies que les frontières. Mais à vouloir corriger nos vices, pour notre « bien », il fait courir le risque de nous faire perdre simplement l’effort d’autonomie et le goût de la liberté.
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