Il s’habille comme un salafiste, parle comme un salafiste, mais n’est pas un salafiste. C’est ce que veulent nous faire croire ceux qui dénoncent les malveillants qui s’en sont pris à un Arabe au seul motif qu’il porte un bonnet et une barbe mal taillée. Benlazar ne serait qu’un hipster persécuté. À ceci près que l’intéressé concède que sa barbe revêt une dimension religieuse. Mais Benlazar n’est pas salafiste. C’est pourquoi il diffuse du contenu venant d’un site subtilement nommé « salafislam.fr ». Preuve que ce site incarne la modération, on y apprend, entre autres joyeusetés, que l’apostat doit être tué.
L’intéressé a répondu à la polémique en jouant sur l’ambiguïté qui naît de la consécration, par les courants intégristes de l’islam, de pratiques anodines lorsqu’elles sont prises isolément. Il a ironisé en publiant, sur les réseaux sociaux, une photo de son bonnet, en spécifiant qu’il venait de la « république islamique du Portugal ». Une manière de prendre à témoin un public novice et de ridiculiser les accusations qui pèsent sur lui.
L’humoriste raille dans ses sketchs la peur d’un islam radical qui compte à son actif d’innombrables victimes
Toutefois, le curieux qui arpente ses annonces publiques tombera sur une publication du 21 janvier 2023, où le comédien pose devant une bibliothèque qui contient quelques ouvrages dignes d’intérêt. Parmi eux figure le livre d’un cheikh saoudien appelé Saleh Al-Fawzan, qui s’est illustré par une défense de l’esclavage. Est-il besoin de préciser qu’il n’y a rien d’anodin à se renseigner sur l’islam à travers des prédicateurs saoudiens au détriment d’auteurs libéraux plus enclins à contextualiser les textes ?
Dans Les territoires perdus de l’islamisme publiés sous la direction de Bernard Rougier, la chercheuse Anne-Laure Zwiling alertait, après une analyse du marché éditorial musulman francophone, sur la « salafisation de la littérature » islamique. Les livres musulmans « constituent un terrain de bataille » où « les croyances particulières de l’islam saoudien ou des Frères musulmans sont largement diffusées ».
En l’occurrence, l’ouvrage en question est une explication, par Al-Fawsan, de l’unicité de Dieu de Mohammed ben Abdelwahhab. L’humoriste, qui fait de sa barbe un étendard, raille dans ses sketchs la peur d’un islam radical qui compte à son actif d’innombrables victimes, ne craint pas de s’afficher avec l’un des ouvrages fondateurs du wahhabisme, l’une des écoles de pensée les plus littéralistes et tyranniques de l’islam sunnite. Cette école a présidé à la fondation de ce royaume saoudien qui s’est imposé après deux tentatives ratées ainsi que plusieurs massacres, tombes profanées et femmes enceintes éventrées. Elle a eu une influence dévastatrice sur le monde arabe. Pour s’en convaincre, on se contentera de noter que Ibn Abdelwahhab est révéré par les fanatiques de Daesh, qui reprochent à l’Arabie saoudite de s’être écartée de ses enseignements par excès de libéralisme…
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Reste à expliquer pourquoi Benlazar feint de ne pas comprendre l’appréhension que suscite sa tenue, sa légitimation islamique, ses propos
Sur la même photo, à droite de ce livre se trouve un autre ouvrage reconnaissable et qui interpelle tout autant : Péchés et guérison, d’Ibn Qayyim. Ce juriste médiéval et disciple d’Ibn Taymiyya figure aussi, avec son maître, parmi les sources d’inspiration des mouvances salafistes. Dans ce livre, on apprend qu’Allah permet la destruction d’une ville quand la fornication et l’usure y apparaissent, que Mahomet a maudit les femmes qui se font tatouer, qu’« Allah a établi trois types de peines légales : l’exécution, l’amputation, et la flagellation » et que « l’exécution concerne la mécréance, ce qui en découle et s’en rapproche, comme la fornication et l’homosexualité, car cela corrompt la religion, la descendance et le genre ».
Aussi lisons-nous que « lorsqu’Allah voudra purifier la terre des injustes, dépravés et traîtres il suscitera un de ses serviteurs, issu de la famille de son prophète qui remplira la terre de justice comme elle a été remplie d’iniquité. Le Messie tuera les juifs et chrétiens, établira la religion avec laquelle Allah a envoyé son messager ».
D’aucuns plaideront que la possession d’ouvrages douteux peut être motivée par une approche critique. Reste à expliquer pourquoi Benlazar feint de ne pas comprendre l’appréhension que suscite sa tenue, sa légitimation islamique, ses propos, et le fait que ses piques contre le racisme réel ou supposé de la société française se doublent d’un traitement désinvolte des courants islamistes qui gangrènent le monde arabe. On a connu des hipsters mieux inspirés.
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