Dix millions d’armes à feu au minimum circuleraient illégalement en France. Un chiffre spectaculaire, auquel il faut ajouter les cinq millions d’armes détenues légalement. Il y aurait donc environ une arme pour trois Français majeurs. Pourtant, la France est l’un des pays les plus restrictifs au monde sur la détention et le port d’armes à feu. « Je suis opposé à la légitime défense. Donc ça, c’est très clair et c’est intraitable parce que sinon, ça devient le Far West. Et je ne veux pas d’un pays où prolifèrent les armes et où l’on considère que c’est aux citoyens de se défendre », déclarait le président de la République, Emmanuel Macron, en mars 2022. Des propos fermes, qui ne font cependant pas consensus.
Alors que l’insécurité ne cesse d’augmenter, que les faits divers meurtriers se suivent et se ressemblent, l’idée du retour du port d’armes citoyen en France fait peu à peu son chemin. C’est le combat mené depuis 2015 par l’Association pour le port d’arme citoyen (Arpac), qui regroupe plusieurs milliers d’adhérents et de sympathisants.
« Ce n’est pas avec des bougies qu’on lutte contre les kalachnikovs »
« L’objectif de l’Arpac est le rétablissement d’un permis de port d’armes, sur le même modèle que le permis de conduire, nous explique Mitch, président de l’association. Un port discret, qui serait soumis aux conditions suivantes : un casier judiciaire vierge, un examen médical, ainsi que la passation d’un permis théorique et pratique. » À travers le port d’armes, l’objectif pour l’Arpac est de donner aux Français les moyens de se défendre, face à une insécurité en hausse. « Ce n’est pas avec des bougies qu’on lutte contre les kalachnikovs. Est-ce que vous voulez des marches blanches à l’infini ? Qu’est-ce qui est le plus insupportable : que Philippine ait pu se faire violer et tuer parce qu’elle était désarmée, ou que votre voisin puisse porter une arme sur lui ? », assène le patron de l’Arpac.
Crainte d’une révolte
C’est en 1939, quelques mois après le début la seconde guerre mondiale, que l’État français décide d’interdire le port d’armes. Une décision motivée, entre autres, par la peur d’une insurrection populaire face à la mobilisation générale. « Aujourd’hui on est plus sur la crainte d’une insurrection vis-à-vis du matraquage fiscal. Un citoyen armé est plus difficile à plumer. Lors de la révolte des Gilets jaunes, si le peuple avait été armé, l’idée d’une hausse du prix de l’essence n’aurait même pas traversé l’esprit des dirigeants politiques », affirme Mitch, sans l’ombre d’une hésitation.
« Le port d’armes permet le vivre ensemble. Chacun respecte tout le monde, parce que si ce n’est pas le cas, cela pourrait avoir des conséquences »
Divers pays du monde autorisent leurs citoyens à posséder une arme à feu. Le cas le plus célèbre est bien sûr celui des États-Unis, où les tueries de masse à répétition ont cependant renforcé l’opposition au 2e amendement, garantissant à tout citoyen américain le droit de détenir des armes. 393 millions d’armes à feu sont en circulation au pays de l’oncle Sam, soit un ratio d’1,2 par habitant. Une situation qui n’est pas sans conséquence : plus de 40 000 personnes trouvent la mort chaque année par arme à feu. Un pourcentage par nombre d’habitants bien plus élevé que chez d’autre pays, comme la France, où « seulement » 1 594 morts par armes à feu ont été recensés en 2014.
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L’exemple de la République tchèque
Pas de quoi ébranler les convictions de Mitch, qui balaie d’un revers de main les critiques formulées sur le sujet de la sécurité et des dérives possibles du port d’armes : « L’interdiction du port d’armes n’a pas empêché la tenue des attentats du Bataclan, de Nice, la décapitation de Samuel Paty, ni les centaines d’agressions, de viols et de meurtres qui ont lieu dans notre pays. Le port d’armes permet le vivre ensemble. Chacun respecte tout le monde, parce que si ce n’est pas le cas, cela pourrait avoir des conséquences. » Le détenteur d’une licence de tir s’appuie notamment sur l’exemple de la République tchèque, où le port d’armes est légal, et le taux de criminalité très faible.
Moyens légaux
« En France, détenir une arme est totalement interdit, excepté dans trois contextes : la chasse, le tir sportif et la collection », nous explique Jean Pierre Bastié, Président de l’Union Française des Amateurs d’armes (UFA). Cette association, créée en 1979, a pour objectif de défendre les usagers d’armes à feu, ainsi que de protéger le patrimoine historique et militaire.
« La France est l’un des pays les plus restrictifs en matière d’armement »
Aujourd’hui, il existe en effet deux principaux moyens légaux de détenir une arme : être titulaire d’un permis de chasse ou d’une licence dans un club de tir. Dans les deux cas, il est impératif de ne pas avoir son nom inscrit dans le (très rempli) Fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes (FNIADA).
« La France est l’un des pays les plus restrictifs en matière d’armement, déplore le président de l’UFA. Cela est notamment dû à un amalgame entre les armes légales et le marché illégal de l’armement ». Pour le collectionneur, l’État s’attaque aux mauvaises personnes : « On interdit aux femmes de se promener dans la rue avec un spray lacrymogène, c’est un effet pervers de la législation. On a supprimé des moyens simples et non létaux de se défendre ».
La chasse et le tir
Louise, 24 ans, fait partie de ces Français disposant d’armes à feu en toute légalité ; elle possède deux carabines de chasse dans sa maison. « De manière abstraite, je me sens plus en sécurité parce que j’ai une arme chez moi », reconnaît la détentrice du permis de chasse. La jeune femme est bien conscience de la responsabilité qu’implique la possession d’une arme à feu. « On est responsable de l’arme, de son entretien, et de son rangement en toute sécurité. Les personnes possédant des armes à feu sont parfois vues comme un danger. À nous de rassurer en agissant correctement, et en faisant de la pédagogie, lâche la chasseuse, qui est cependant opposée au port général d’arme en France. Cela rajouterait de la violence ».
Perte de confiance dans l’État
La France pourrait-elle autoriser le port d’armes dans les années qui viennent ? « J’ai bon espoir, répond Mitch, la situation évolue sans cesse, et c’est le contexte qui pousse à légitimer le port d’armes ». En attendant une hypothétique législation, la France connaît actuellement un phénomène massif d’armement. Le nombre de tireurs sportifs a explosé ces dernières années. 145 000 en 2011, ils sont aujourd’hui plus de 240 000 pratiquants. La principale raison avancée est simple : de nombreux citoyens ne font plus confiance à l’État pour les protéger.
« Aucun pays n’est plus paisible et n’offre une meilleure police que ceux où la nation est armée »
Face aux 120 attaques au couteau par jour (chiffre pour l’année 2020), les campagnes publiques, telles que les tract anti-agressions distribués par la mairie de Paris, ne suffisent pas à rassurer les Français. Selon un sondage de 2024 pour le Figaro, 74 % des Français affirment ne pas avoir confiance dans le gouvernement pour assurer leur sécurité. Une fragilisation du contrat social, qui remet en question le principe du monopole de la violence légitime par l’État, tel que théorisé par le sociologue Max Weber. Et ouvre la porte à un retour du port d’armes en France, tel qu’il était légitimé par les rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen 1789 : « Aucun pays n’est plus paisible et n’offre une meilleure police que ceux où la nation est armée ».
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