S’installer sur son fauteuil rouge au cinéma en 2025, c’est s’exposer à recevoir une dose de bien-pensance et de wokisme dégoulinant. La production audiovisuelle française déborde de films aux scénarios aussi prévisibles qu’éloignés de la réalité. Dans cet océan de propagande émergent des îlots de qui s’affranchissent de cette idéologie woke. En fanfare est de ceux-là. Le film met en scène deux hommes qu’a priori tout oppose, l’un est un chef d’orchestre mondialement reconnu qui passe sa vie dans les avions et l’autre est agent de restauration collective dans le bassin minier du nord de la France. On découvre dans le film que ces deux personnages ont en fait bien plus en commun qu’il n’y paraît : des liens de sang mais aussi une passion commune pour la musique.
Le film est très réussi avec un casting exceptionnel et il aborde magistralement les fractures géographiques et sociologiques de la France de 2025.
Jérôme Fourquet ne s’y est pas trompé ; il livre pour l’institut Terram une étude politique axée sur le long-métrage. Le politologue y dresse un parallèle entre le milieu favorisé du chef d’orchestre où on vote très largement pour Emmanuel Macron et les terres désindustrialisées du Nord où on vote pour Marine Le Pen. Un décor qui a son importance selon Victor Delage, le fondateur de l’institut Terram : « Le cinéma français a un temps privilégié des histoires ancrées à Paris et dans les grandes métropoles, mettant en scène une micro-société bohème et intellectuelle souvent déconnectée des réalités sociales et économiques vécues par la plus large partie de la population. […] Mais ces dernières années, le vent tourne. […] Ce changement traduit une prise de conscience autant politique que culturelle de la nécessité de raconter la diversité géographique et sociale du pays. »
En fanfare prend place dans une terre meurtrie par le déclassement
En fanfare prend place dans une région où la gauche a été en grande partie remplacée par le RN. Une terre meurtrie par le déclassement. Le film met en scène l’Harmonie des mineurs de Lallaing, une fanfare qui perdure et qui un peu à l’instar de l’orchestre du Titanic continue de jouer alors que tout s’effondre autour. Sauf qu’ici l’iceberg c’est la mondialisation et le naufrage, ce sont les usines qui ferment ou sont délocalisées.
Une région sinistrée du point de vue économique et dont les habitants ont vu d’un très bon œil la sortie de ce film. Dans les colonnes du Point, le réalisateur Emmanuel Courcol revient sur les séances en avant-premières organisées dans le Nord : « On a ressenti une énergie exceptionnelle. C’était majoritairement un public lepéniste et je dois avouer qu’il a modifié ma perception de cet électorat. Ils nous disaient qu’ils adoraient ce film parce qu’il parlait d’eux sans mépris. »
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La notion de mépris est fondamentale ici. Le Nord, comme d’autres territoires, est souvent mal considéré par les élites politico-médiatiques. Le PS avait par exemple organisé une table ronde lors de ses universités d’été en se posant cette question : « La France périphérique est-elle la France des beaufs ? » L’illustration d’une gauche centrée sur les villes et les banlieues après avoir suivi à la lettre les recommandations du rapport Terra Nova. Au début des années 2010, ce think tank recommandait au PS de se concentrer notamment sur ce nouvel électorat urbain et d’abandonner les ouvriers et les employés. À la rupture politique s’est donc ajoutée une couche de mépris géographique et sociologique.
« Le RN a su capitaliser sur cette frustration en articulant un discours de réhabilitation territoriale »
« Au-delà des difficultés matérielles, un ressentiment plus large s’est installé, nourri par un sentiment de mépris et de déconsidération de la part des élites politiques, économiques et culturelles », décrypte Victor Delage pour le JDD. « Ce discours a contribué à radicaliser un sentiment d’exaspération et le RN a su capitaliser sur cette frustration en articulant un discours de réhabilitation territoriale, où le vote devient un moyen d’exister politiquement face à un système jugé indifférent. »
La représentation de cette France-là est rare dans les œuvres. C’est pourquoi En fanfare a un rôle salutaire. Dans un pays fracturé, où la France périphérique est souvent oubliée, le film porte en haut de l’affiche un territoire, une histoire et une tradition.
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