Sur scène dans L’Injuste, Élodie Navarre et Jacques Weber s’opposent lors d’une confrontation menaçante. Lui, François Genoud, le « banquier des nazis », face à une jeune femme israélienne venue l’interviewer. À ce jeu trouble du chat et de la souris, la tension est à son comble, mais en coulisses, la complicité entre les deux partenaires est frappante.
Le JDD. Qui était François Genoud ?
Jacques Weber. Un personnage presque trop effroyable pour être vrai. Pourtant, ce banquier suisse pronazi a bien existé. Après la guerre, il est devenu l’éditeur de Mein Kampf, profitant d’une faille sur les droits d’auteur. Il a aussi édité les mémoires de Göring ou de Goebbels. Puis on retrouve sa trace dans des financements de l’attentat de Munich. C’est aussi lui qui paie Vergès dans le procès de Klaus Barbie à Lyon. Ensuite, il s’est inscrit dans les mouvances du Printemps arabe, avec le djihad ou le FLN en Algérie. Il a même été reçu à l’Élysée au moment de l’accord d’Évian. Il incarne la banalité du mal à un niveau monstrueux.
Jacques m’inspire beaucoup
Élodie Navarre
Élodie Navarre. Comment ce type, avec sa carrière de nazi et son implication dans autant d’attentats, n’a-t-il jamais été condamné ? Alexandre Amiel, l’auteur de la pièce, a eu envie d’imaginer une réponse tout à fait probable à cette question. C’est là où j’interviens. Il a inventé un personnage fictif, une journaliste israélienne venue l’interviewer pour se confronter à lui.
J. W. Ce qui est très troublant, c’est que François Genoud parle des problèmes israélo-palestiniens de façon très intelligente. Que ce soit abordé par un nazi pose d’énormes problèmes. Le sujet est sensible, d’autant plus qu’on observe aujourd’hui une radicalisation de la pensée. Les gens sont tellement effrayés par le malheur que tout est devenu pulsionnel et émotif. La pièce se passe au moment des accords d’Oslo, lorsque l’idée de la paix pouvait encore exister.
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Comment aborder une telle pièce ?
J. W. J’ai beaucoup réfléchi avant de l’accepter. J’ai d’abord trouvé le sujet très difficile à manier. Mais il existe, alors il faut y aller : le théâtre est là pour cela. La dimension de ce personnage est absolument invraisemblable : il m’évoque un génie du mal, à l’exemple des grands maudits shakespeariens. C’est très intéressant à jouer car il faut trouver la part humaine, quoi qu’il arrive.
É. N. J’ai pensé à Hannibal Lecter dans Le Silence des agneaux : comme Jodie Foster dans le film, je suis confrontée au mal. C’est fascinant de faire face à un tel monstre, d’essayer de rentrer dans ses pensées. Le contexte politique m’inquiétait un peu. Avoir un acteur comme Jacques à mes côtés est très rassurant : l’échange entre nous est autant théâtral qu’intellectuel.
Qui est le plus impressionné par l’autre ?
É. N. Jacques m’inspire beaucoup. Je suis très émue d’en parler mais je viens de perdre mon père. Quand il a su que j’allais jouer avec Jacques, il m’a dit : « Avec cet homme-là, tu auras un dialogue qui va t’intéresser. » Mon père, c’était l’homme de ma vie. Il savait à quel point il est important pour moi d’échanger spirituellement : moi, je me moque de parler de ce que l’on va faire dans une heure ou manger le lendemain. Partager la scène avec Jacques est le plus beau cadeau qu’on ait pu m’offrir. Je me sens protégée.
J. W. Je vais vous raconter une chose. Au moment où j’incarnais un chef d’entreprise dont le frère s’était suicidé dans la deuxième saison d’En thérapie, mon propre frère qui comptait plus que tout pour moi se battait contre un cancer. Il est mort pendant le tournage. Alors je sais ce dont parle Élodie. Moi, je me suis moins bien tenu : à un moment, j’ai craqué. La façon dont elle a fait face, je trouve cela d’une élégance et d’une force incroyables. Ces épreuves lient les individus secrètement. J’ai un défaut : si je n’aime pas mon partenaire, c’est terrible parce que ça se voit tout de suite. Dans cette pièce, tout est à la bonne place.
Jacques, vous avez joué davantage de classiques, et Élodie, de pièces contemporaines. C’est générationnel ?
J. W. Pour qu’un arbre bourgeonne, il faut des racines, donc une reprise nécessaire des grands classiques. Je crois que je suis l’un des acteurs à avoir joué le plus de rôles du répertoire, à part les comédiens du Français. Par goût et aussi en raison du désir que je provoque chez les metteurs en scène. J’ai eu la chance formidable de travailler avec les plus grands : Peter Stein, Georges Lavaudant, Jean-Pierre Vincent et tant d’autres. Mon seul regret est de n’avoir pas été mis en scène par Patrice Chéreau. On s’est rencontrés, je peux vous dire qu’on s’appréciait, mais ça ne s’est hélas jamais réalisé.
É. N. J’ai fait mes débuts dans Les Fausses Confidences, mis en scène par Gildas Bourdet. J’ai malheureusement eu un accident et je n’ai pas pu honorer toutes les représentations. Ladislas Chollat, qui était son assistant, m’a dit : « Si un jour je deviens metteur en scène, je t’engage. » Sept ans plus tard, je reçois un coup de fil : il monte pour quatre soirs Médée et me demande de le suivre. Je ne savais pas si j’allais continuer à boiter toute ma vie, il m’a remise sur pied. J’ai une gratitude infinie envers lui.
Qu’est-ce qui vous surprend le plus l’un chez l’autre ?
É. N. Son look ! J’adore Jacques avec ses petits pulls marins, le jean retourné et les chaussettes rouges !
J. W. Alors celle-là, je ne m’y attendais vraiment pas ! Si ma femme t’entendait, elle dirait : « Mais cette fille est totalement folle ! » Elle pense que je suis le type le plus je-m’en-foutiste qui soit. Elle m’engueule tout le temps à ce sujet. Pourtant, ce n’est rien à côté de mon grand copain Francis Huster. Et lui, c’est de pire en pire !
É. N. L’autre jour, Jacques est arrivé en jean basket, avec un t-shirt de la Castafiore. Si ce n’est pas génial dans le style décontracté cool !
Si je n’aime pas mon partenaire, ça se voit tout de suite
Jacques Weber
Qui a la plus belle loge ?
J. W. Je suis sûrement celui qui a la plus mal rangée. Je n’en ai rien à faire. Pour moi, c’est un vestiaire : je baisse mon pantalon et je le laisse par terre, mon slip traîne partout… À chaque fois, je demande pardon aux habilleuses d’être un bordel ambulant.
É. N. Pour moi, c’est comme une chambre, un refuge avant d’aller m’exposer. Je ramène mes livres, mes mots, mes tableaux et mes tissus.
J. W. Je ne sais pas si tu es comme moi, mais une fois que j’ai fini, je salue, vlam le slip, et hop, c’est terminé ! Au revoir, je suis au bistrot.
É. N. Ah non, moi j’ai besoin d’un peu de temps dans ma loge. Je te rejoindrai au bistrot après.
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