Le JDNews. Les parcours délinquants des meurtriers présumés d’Elias mettent encore en lumière une réponse pénale qui indigne. Le comprenez-vous ?
Stéphanie Gasnier. Le juge des enfants, comme tout magistrat, rend ses décisions en fonction de la loi. Dans cette dernière, l’éducatif a toujours primé sur le répressif en matière de justice des mineurs. C’est le législateur qui a repris, dans le code de la justice pénale des mineurs (CJPM) de 2021, les principes de l’ordonnance de 1945. Ils réclament de prendre en compte l’« atténuation de cette responsabilité en fonction de leur âge et la nécessité de rechercher leur relèvement éducatif et moral par des mesures adaptées à leur âge et leur personnalité ».
Cette réforme est critiquée, notamment en raison de la césure qui existe entre l’audience qui reconnaît la culpabilité et celle qui prononce la peine. Quel est votre regard ?
Avant, les délais de jugement pouvaient être extrêmement longs. Cette réforme a permis de les diviser par trois. Ensuite, la justice pénale est d’une grande fermeté à l’égard des mineurs commettant des actes criminels, avec bien souvent de la détention provisoire avant le prononcé de lourdes peines – l’excuse de minorité pouvant être écartée. Pour les faits délictuels les plus graves et les mineurs multi-réitérants, le CJPM permet une audience unique (culpabilité et sanction) dans un délai d’un mois. Les autres mineurs, enfin, suivront le parcours classique de la césure du procès afin de travailler l’éducatif et les capacités d’évolution du mineur avant le prononcé d’une sanction. Cette césure permet de comprendre pourquoi le mineur en est arrivé à commettre ces actes. L’objectif étant qu’il ne recommence pas.
Vous refusez donc l’accusation de laxisme ?
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Oui. L’arsenal pénal est important et, pour les mineurs réitérants ou les faits graves, la justice peut déjà apporter une réponse rapide et ferme. Mais nous avons un manque de moyens qui pousse à l’inexécution de nos décisions. L’autorité s’en trouve considérablement affaiblie. Dans l’affaire d’Elias, les mis en cause avaient déjà eu affaire à la justice pénale, avec divers accompagnements éducatifs, tel que le souhaite la loi. Mais combien de fois ont-ils rencontré leur éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ?
« Des mineurs délinquants se retrouvent donc sans suivi, rendant inexécutées les décisions de justice »
Une fois par mois, en moyenne, quand les services ne sont pas saturés. Moins encore quand ils le sont. C’est un non-sens ! Les services de la PJJ sont débordés et en sous-effectif. Malgré cela, 500 postes ont été supprimés dans l’indifférence générale l’été dernier. Des mineurs délinquants se retrouvent donc sans suivi, rendant inexécutées les décisions de justice. Forcément, c’est un échec. L’état et les politiques publiques ne sont-ils pas les principaux responsables ?
Avez-vous constaté une évolution de la violence des mineurs ?
Le nombre de mineurs mis en cause dans une procédure pénale est en baisse depuis plusieurs années. En revanche, les peines prononcées sont de plus en plus sévères et fréquentes, induisant une augmentation du nombre de mineurs incarcérés. Il n’y a donc pas d’augmentation mais un changement de nature et de gravité des faits : davantage d’atteintes aux personnes, de violences graves, parfois gratuites, ou d’agressions sexuelles. Des rapports récents ont relevé une explosion des délits ou crimes sexuels commis par des mineurs sur d’autres mineurs, de plus en plus jeunes. À cet égard, un rapport du Sénat, publié en septembre 2022, concluait à l’urgence de mettre en place des statistiques fiables et régulières sur la délinquance des mineurs. Où en est-on ?
Certains pédopsychiatres décrivent des enfants dépourvus d’empathie…
La question n’est pas tant l’absence d’empathie que le pourquoi. Un nombre croissant de mineurs est en proie à des addictions, notamment aux produits stupéfiants, qui nécessitent une véritable politique de santé mais aussi une lutte acharnée contre le narcotrafic. Cette consommation impacte l’empathie, mais aussi le développement du cerveau des adolescents. Un autre phénomène inquiétant est celui de la dégradation de l’état mental et psychique des mineurs, particulièrement chez ceux suivis par la PJJ. Les suicides ou tentatives, scarifications, dépendances addictives, prostitution sont en forte hausse.
« La réponse globale ne saurait être uniquement répressive »
Des situations aggravées par l’insuffisance criante des services de pédopsychiatrie – constatée par la Cour des comptes en mars 2023. De nombreux mineurs délinquants sont par ailleurs suivis par des juges des enfants en assistance éducative, ce qui signifie qu’ils sont considérés comme « mineurs en danger ». Si, pour des faits graves ou réitérés, une réponse pénale est indispensable, la réponse globale ne saurait être uniquement répressive. Il faut s’attaquer aux multiples causes : perte de repères dans une société sans valeurs communes, crise de l’autorité, familles fragiles, explosion des conduites addictives, impact des écrans (ultra-violence ou pornographie)…
Le répressif ne fait-il pas partie de l’éducatif ?
Une réponse adaptée nécessite du discernement, les mineurs délinquants ne sont pas interchangeables. Pour certains, laisser du temps avant de prononcer une peine les oblige à l’introspection, un travail sur l’acte et ses conséquences, ce qui peut être salutaire, à la condition d’un bon suivi. Pour d’autres, déjà bien connus, une justice rapide apporte une réponse concrète et la sanction prend son sens parce qu’elle est instantanée. Pour une minorité enfin, remettre à plus tard le verdict d’une peine n’a pas de sens, car ils n’appréhendent pas le futur. La célérité de la réponse peut alors stopper une trajectoire « délinquantielle », chez des mineurs pour qui l’arsenal éducatif sera rejeté ou perçu comme une faiblesse face aux diktats de leur environnement. Mais pour la majorité, le temps de l’éducatif reste indispensable.La prévention n’est pas une sensiblerie « laxiste » ni une attitude compatissante qui s’opposerait à la ferme répression. Les temporalités sont différentes : la répression gère l’instant, la prévention cherche à préparer l’avenir – ce qui fait d’elle une véritable politique.
On évoque souvent les parents également. Et l’absence des pères…
Dans bon nombre de cas, la famille est monoparentale avec la mère, le père étant absent, démissionnaire, voire délinquant et incarcéré. On pourrait envisager de sanctionner financièrement des parents régulièrement convoqués en vain aux audiences concernant leur enfant. Mais cela suffirait-il à les « contraindre » à s’intéresser au sort de leur enfant ? Souvent, les parents de mineurs délinquants sont démunis et acceptent le soutien éducatif de la Protection de l’enfance… Mais les décisions ne sont pas exécutées, faute de moyens. L’État doit reprendre sa part, car les départements n’arrivent plus à faire face.
Que changer ?
La comparution immédiate peut être nécessaire dans certains cas, et l’excuse de minorité pourrait devenir l’exception à partir de 16 ans. Mais « prendre le mal à la racine », comme l’évoquait Gabriel Attal, nécessite d’avoir le courage d’examiner la face cachée de l’iceberg : tout notre système de prise en charge de la jeunesse, de manière globale.
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