Avec un peu plus de 4 millions d’entreprises répertoriées en France, certaines pépites industrielles ne passent pas inaperçues. Intelligence artificielle, technologies pharmaceutiques ou production agricole, les innovations « made in France » sont scrutées par de nombreux acteurs étrangers, prêts à en dérober les secrets soit pour les recopier, soit pour mieux les anticiper. Longtemps resté passif face aux menaces d’ingérences économiques, l’État français peine encore à se doter d’un arsenal de contre-mesures efficaces.
Dans un rapport d’information fait au nom de la commission des affaires économiques en 2023, les sénateurs Marie-Noëlle Lienemann et Jean-Baptiste Lemoyne pointent du doigt des dispositifs « erratiques et insuffisants » en matière d’intelligence économique. Les Sages appellent ainsi à un véritable sursaut en instaurant, entre autres, une « stratégie nationale d’intelligence économique » et en dotant le pays d’un « secrétariat général à l’intelligence économique » ; rattaché à Matignon et garantissant une bonne coordination interministérielle ainsi qu’une meilleure réactivité face aux menaces et prédations. Des préconisations sénatoriales restées lettre morte jusqu’alors.
Dans un contexte de guerre économique qui risque de s’aggraver, notamment avec la politique agressive du nouveau président américain, Donald Trump, certains veulent accélérer la riposte. « La France a déjà perdu 15 milliards d’euros à cause de l’extraterritorialité du droit américain, souligne Frédéric Pierucci. Et rien n’est fait pour contrer ces ingérences économiques pourtant ultra agressives ! » Ancien patron de la division chaudière du groupe Alstom, Frédéric Pierucci a passé 25 mois dans une prison américaine. Accusé de corruption en 2013, le Français a été « lâché » par Alstom. Dans un livre paru quelques années plus tard, Pierucci dénoncera cette affaire comme un cas d’école d’ingérence économique venue des États-Unis ; le géant américain General Electric cherchant à racheter, à l’époque, la branche énergie d’Alstom.
Depuis, Pierucci a fondé son propre cabinet d’intelligence économique, « Ikarian ». L’ancien cadre d’Alstom intervient régulièrement auprès du ministère des Armées et des services de renseignement sur les questions d’intelligence économique. « C’est toujours un peu frustrant de ne former qu’une cinquantaine de personnes sur une question qui en concerne des milliers », assure l’intéressé au JDNews. C’est ainsi qu’il a décidé, en partenariat avec la Gendarmerie nationale et l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Sorbonne université, la création d’un MOOC dédié à l’intelligence économique.
« Nous cherchons donc d’abord à sensibiliser des étudiants ou des cadres »
« L’idée est de rassembler les plus grands experts français de l’intelligence économique en France, comme Édith Cresson ou Louis Gallois, l’ancien patron d’Airbus, afin d’insuffler des bases d’intelligence économique aux futurs cadres et dirigeants d’entreprises françaises », poursuit Frédéric Pierucci. Réparti en 41 vidéos de 10 à 20 minutes chacune, le MOOC, certifiant et tamponné par l’IAE de la Sorbonne et la gendarmerie, promet d’aborder les sujets de cybersécurité, de contre-influence ou de prévention d’actions de lobbying étranger.
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« Dans un contexte d’instabilité géopolitique croissante, les États cherchent à affaiblir les économies d’autres États », explique Éric Lamarque, directeur de l’IAE de la Sorbonne et président du MOOC sur l’intelligence économique. Pour ce professeur de finances, le sujet a trop longtemps été ignoré par la recherche universitaire et la question des ingérences économiques n’est pas suffisamment intégrée dans les études supérieures. « Beaucoup de jeunes entrepreneurs qui développent des entreprises de bon niveau n’ont tout simplement pas conscience qu’ils s’exposent à des actions de déstabilisation extérieure », poursuit Eric Lamarque. « Nous cherchons donc d’abord à sensibiliser des étudiants ou des cadres, à leur apprendre à percevoir les premiers signes, les premières approches sur leurs entreprises, afin de leur donner ensuite les clés pour se défendre, voire contre-attaquer », assure l’enseignant.
Car les méthodes de déstabilisation sont nombreuses et usent parfois de la législation française pour tourner la situation à leur avantage. « Prenez la RSE [responsabilité sociale des entreprises NDLR], toutes ces contraintes écologiques qui s’imposent progressivement aux entreprises françaises. Beaucoup d’entre elles sont le résultat du lobbying de certaines ONG internationales. J’ai l’intime conviction que ce type de mesures est aussi la résultante d’ingérences économiques venues de l’étranger… », conclut le président de l’IAE de la Sorbonne.
Alors que l’intelligence artificielle devient un sujet de souveraineté, que la France cherche à se réarmer, la menace des ingérences économiques plane plus que jamais sur le pays. Contrairement à la Chine ou aux États-Unis, qui ont fait de l’intelligence économique un enjeu de politique publique, la France accuse un sérieux retard sur la question, et le réveil pourrait s’avérer brutal.
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