Il est interdit de prétendre que l’euthanasie et le suicide assisté pourraient être une source d’économies. « Si on prononce le mot, les partisans de l’euthanasie vont protester avec indignation, la main sur le cœur, non non pas du tout, l’économie, ils n’y ont nullement songé, pas une seconde », avait prévenu Michel Houellebecq dans le JDD en mai dernier. Peut-être est-ce le cas. Et quand bien même certains y songeraient, l’argument serait inavouable.
Le député socialiste Jérôme Guedj, pourtant favorable à l’euthanasie, l’avait toutefois suggéré dans le magazine La Vie en 2022 : « Il y a quelque chose de terrible et de terrifiant à accélérer la reconnaissance du “droit à mourir dans la dignité” tout en procrastinant sur le droit à vieillir dans la dignité. » L’an passé, la question s’est clairement invitée dans le débat lorsque, dans une lettre adressée aux parlementaires, la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN) avait milité en faveur d’une « évolution de la loi qui permette une fin de vie libre et choisie ». Face aux critiques pointant un conflit d’intérêts, l’organisme avait assuré que son action visait uniquement à mieux accompagner ses adhérents, sans arrière-pensées financières.
Auteur d’une étude sur « les non-dits économiques et sociaux du débat sur la fin de vie » publiée en janvier 2025 pour le think tank libéral Fondapol, Yves-Marie Doublet juge illusoire de croire que la dimension financière ne jouera aucun rôle dans les décisions liées à l’euthanasie et au suicide assisté. « La légalisation de la mort assistée dépasse les seules considérations philosophiques et médicales. Les facteurs économiques sont inévitablement amenés à jouer un rôle, comme le montrent plusieurs pays étrangers où l’aide à mourir est déjà légale. En 2020, un rapport parlementaire canadien n’a pas hésité à calculer le gain total de l’aide médicale à mourir, qui a été estimé à 149 millions de dollars canadiens », indique au JDD cet ancien chargé d’enseignement à l’Espace éthique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).
Dans ce document accessible en ligne, on peut lire avec étonnement que « ce rapport ne suggère en aucun cas que l’aide médicale à mourir soit utilisée afin de réduire les coûts en santé », alors qu’il précise par ailleurs que « de nombreuses études révèlent que les coûts des soins pendant la dernière année de vie (spécialement le dernier mois) sont hors de proportion : ils représentent entre 10 et 20 % du coût total des dépenses de santé, alors que les personnes qui reçoivent ces soins ne forment qu’environ 1 % de la population ».
« L’idée que le développement de la mort provoquée peut être une source d’économies fera nécessairement son chemin »
Les Canadiens seraient-ils les seuls à faire ce type de calcul ? « Compte tenu de l’état préoccupant de notre système de santé et du déficit des finances publiques et de nos régimes sociaux, l’idée que le développement de la mort provoquée peut être une source d’économies fera nécessairement son chemin », estime Yves-Marie Doublet. À cet égard, une étude récente de l’université de Cambridge (juillet 2023) sur l’aide médicale à mourir au Canada met en garde : « Tout pays confronté à des pressions financières devrait se préoccuper des incitations perverses à la réduction des coûts qui sont intégrées dans un système de soins de santé. »
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Autre aspect notable : l’augmentation continue de la proportion de personnes seules et défavorisées demandant l’aide à mourir dans les pays qui l’ont légalisée. « Curieusement, peu d’études ont été menées sur le profil socio-économique des personnes qui optent pour l’euthanasie ou le suicide assisté. Cependant, quelques recherches en Amérique du Nord révèlent des tendances préoccupantes : dans l’Oregon, 8 % des suicides assistés sont motivés par des préoccupations financières contre 1 % en 2000. De même, plusieurs études au Canada montrent que les difficultés économiques, notamment des problèmes de logement, sont souvent à l’origine de demandes croissantes “d’aide médicale à mourir” chez des personnes qui, au surplus, ne sont pas en phase terminale », souligne Yves-Marie Doublet.
« La légalisation de l’aide à mourir est une demande de riches qui se retournera contre les plus pauvres », abonde Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), opposée à cette législation. Pour le professeur Louis Puybasset, chef de service du département d’anesthésie-réanimation de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, cette loi touchera même un cercle plus large : « Cela va concerner beaucoup de monde étant donné le coût exorbitant des maisons de retraite. Certains patients vont préférer partir pour laisser un patrimoine à leurs enfants. Les partisans de l’aide à mourir qui invoquent l’autodétermination et la liberté doivent reconnaître que certains se sentiront acculés, ce qui est l’inverse de la liberté. »
En Angleterre, où la légalisation de l’euthanasie est actuellement examinée par les parlementaires, des experts en fiscalité ont soulevé des préoccupations similaires, pointant du doigt une disposition prévoyant un abattement fiscal si le défunt décède avant l’âge de 75 ans. Cela pourrait l’inciter à choisir l’euthanasie pour alléger les charges fiscales de ses héritiers, ont-ils alerté. Ou ses enfants à l’y encourager ?
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