Le JDD. Pourquoi avez-vous choisi de relancer « Libres ! » avec un colloque cette semaine ? Quel message souhaitez-vous faire passer ?
Valérie Pécresse. Le débat d’idées me paraît totalement atrophié, on tourne en rond, on entend des diagnostics posés mille fois et jamais aucune solution concrète, cela m’exaspère. Je voulais relancer le débat d’idées avec des propositions un peu « cash », mais qui peuvent être des solutions à la fois à l’apocalypse bureaucratique que nous vivons, mais aussi à la submersion de la dette, puisqu’il paraît qu’il faut parler de submersion maintenant.
Quelles propositions concrètes souhaitez-vous mettre sur la table pour revitaliser le débat d’idées ?
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Aujourd’hui, ce qu’on ne dit pas, c’est qu’on paye trop d’impôts et des impôts injustes, on est champion du monde des impôts mais pas des services publics. C’est notre pacte de cohésion nationale qui est en jeu. Une idée simple : les doublons, c’est interdit ! On arrête tout cofinancement public : une compétence, une collectivité. À un moment donné, on décide : l’État prend 100 % ou alors il délègue 100 %.
L’accélération du temps administratif, là aussi, j’ai lancé un grand signal d’alarme. Quand est-ce qu’on va se réveiller sur les délais de procédure qui coûtent des milliards d’euros à la France, à tous les porteurs de projets, à nos chercheurs, à nos entrepreneurs, à nos maires, à tous les projets ? Il suffit d’une loi toute simple : tous les délais qui existent aujourd’hui dans les décrets, les lois, tous les délais sont divisés par deux, et lorsque l’administration se tait au bout du délai, cela vaut acceptation du projet.
Quelle est votre vision pour une réforme des retraites durable et sans crise récurrente ?
On s’écharpe tous les 4 ans, parce que tous les 4 ans, on constate un allongement de l’espérance de vie des Français. Il y a des pays qui sont plus intelligents que nous : ils font l’indexation automatique de l’âge de départ à la retraite sur l’espérance de vie. Vous gagnez un an, vous travaillez un trimestre de plus. La réforme des retraites, elle n’est pas idéologique mais purement arithmétique et démographique. Si nous faisions l’indexation automatique sur l’espérance de vie, nous n’aurions pas tous les 4 ans ce psychodrame national, qui est le recul de l’âge de la retraite.
Vous défendez l’idée d’accélérer les projets d’intérêt majeur. Comment comptez-vous concrètement lever les blocages ?
Je veux qu’on arrête de bloquer les projets qui sont des projets qui créent de l’emploi massivement dans le pays, qui sont des projets d’intérêt majeur, je veux qu’ils puissent déroger aux procédures sous la responsabilité des ministres, des préfets de région et des présidents de région.
Quand on a un projet qui apporte de l’emploi, qui apporte de la qualité de service public, qui apporte des bénéfices, on peut déroger à toutes les procédures, sauf celles qui concernent la santé des personnes. Et là, on accélère tout d’un seul coup. On donne un énorme coup d’oxygène à la France. J’ai envie de pousser un grand cri d’alarme, parce qu’on ne sait pas se réinventer.
Quand j’entends Marine Le Pen dire “le nombre de fonctionnaires, ce n’est pas le sujet », ou quand j’entends le ministre des Finances dire “non, on ne va pas supprimer les agences », je dis “mais dans quel monde vivons-nous ? » Est-ce qu’on veut finir avec le FMI, la Troïka, qui vient chez nous comme elle est venue au Portugal, comme elle est venue en Irlande, comme elle est venue en Grèce ?
Je veux mettre fin au boniment de ceux qui prétendent défendre un État fort, je pense au Rassemblement national, à Reconquête, ou ceux qui prétendent défendre des services publics forts, la gauche, et qui croient qu’on peut avoir des beaux services publics qui fonctionnent et un État fort en laissant filer complètement cette utopie de l’argent magique.
C’est faux, ils mentent aux Français. Pour avoir un État fort, il faut avoir un État bien géré. Pourquoi aujourd’hui, plus personne ne nous écoute sur la scène internationale ? Pourquoi plus personne ne nous respecte ? C’est parce qu’on n’a plus d’argent.
Vous dénoncez le poids des normes, un sujet de plus en plus mis en avant par les responsables politiques. Quelles mesures concrètes proposez-vous pour y remédier ?
En 2022, j’avais parlé de « comité de la hache ». Tout le monde a dit, “je veux hacher menu les services publics.” C’est l’inverse. Je veux hacher menu les normes qui empêchent aujourd’hui nos fonctionnaires et notre pays d’entreprendre et de faire leur travail. Je pense qu’on devrait donner une deuxième mission au Parlement aujourd’hui : dénormer, défaire les lois. Je ferais un comité de la « hache » conjoint Assemblée nationale-Sénat pour hacher menu les surtranspositions. On leur donne un an. J’ai envie de pousser un cri, mais pas seulement un cri d’alarme. Je veux arriver avec des idées très concrètes, très simples et qui changent la donne.
Les négociations autour du budget sont en cours. Selon vous, les partis agissent-ils dans l’intérêt général ou cherchent-ils avant tout à défendre leurs intérêts partisans ?
Il y a une irresponsabilité généralisée au sommet, au Parlement, qui est très inquiétante. Le budget, je pense que, un, il n’est pas à la hauteur pour vraiment engager ce processus de réduction de la dépense et de la dette. Mais, deux, je pense qu’il faut le retenir. Et je pense qu’on ne doit pas avoir la moindre hésitation. Il nous faut un budget, sinon c’est le pire qui va se passer, c’est la hausse des taux d’intérêt, donc tous les ménages qui vont se retrouver avec l’impossibilité d’acheter, les entreprises qui ne vont pas pouvoir investir. Il faut voter ce budget.
Ce que je condamne, c’est la surenchère absolument inacceptable et démagogique du RN et du NFP pour obtenir davantage de dépenses dans ce budget. C’est totalement démagogique et irresponsable. Moi, j’aurais fait un autre budget, je n’aurais pas augmenté les impôts, j’aurais baissé les dépenses.
La ligne de votre parti semble floue : certains ministres de droite sont restés dans un gouvernement dirigé par un centriste qui négocie avec la gauche. Quelle est votre position ?
Les Français attendent de nous une posture de responsabilité. Rien ne leur fait plus peur que l’instabilité et ils ont raison. Donc nous sommes là pour essayer de donner une forme de stabilité à la France. Évidemment, si le président de la République, au lieu de dissoudre, avait fait un accord politique avec la droite en juin, nous serions en train de faire une politique de droite qui est celle que les Français attendent et nous serions en train de remettre de l’ordre aux frontières, de l’ordre dans la rue et de l’ordre dans les comptes. C’est quand même une sacrée occasion ratée. Mes amis parlementaires me disent que c’est une immense frustration.
Alors, la deuxième frustration que nous avons, évidemment, c’est que nous avions pensé, avec Michel Barnier, pouvoir mener une politique qui soit la bonne pour le pays. Rétrospectivement, l’honnêteté me pousse à dire que déjà, Michel Barnier était poussé à des concessions par cette situation absolument ubuesque que nous vivons.
Le Premier ministre a évoqué un « sentiment de submersion migratoire ». Partagez-vous ce diagnostic et quelles solutions préconisez-vous ?
La vérité, c’est qu’aujourd’hui, la situation de l’immigration est hors de contrôle. Nous ne contrôlons plus qui nous accueillons et nous sommes incapables de renvoyer chez eux les clandestins. Donc ce sujet, c’est un sujet réel. Maintenant, comme tous les Français, je crois, je suis un peu lasse des grands mots qui ne sont pas suivis de grands remèdes. Si on veut mettre le sujet de l’immigration sur la table, comment résout-on ce problème ?
Avec Bruno Retailleau, nous avions fait un texte en 2022 pendant la campagne présidentielle qui est sur la table, qui est un texte constitutionnel. Tous les grands pays du monde, tous les grands pays d’immigration mettent en place une stratégie d’immigration choisie. Ils choisissent, ils accueillent mieux et intègrent beaucoup mieux. Cela nécessite une réforme constitutionnelle, de pouvoir réduire l’immigration que nous ne souhaitons pas et de faire des quotas par pays, et de mettre de la réciprocité. Si un pays refuse qu’on lui renvoie ses clandestins, il n’aura plus de visa.
Bruno Retailleau affiche une ligne ferme sur l’immigration, mais l’expulsion de l’influenceur algérien Doualemn a été suspendue par la justice. Les responsables politiques ont-ils vraiment les moyens d’appliquer leur politique migratoire ?
Il faut que nos lois soient à la hauteur des menaces qui pèsent sur le pays. Il faut absolument, soit qu’on mette dans la Constitution, soit que le Conseil constitutionnel adapte sa jurisprudence à l’ampleur de la menace qui pèse aujourd’hui sur la France. Je note que le Conseil constitutionnel va être renouvelé bientôt. Ses membres détiennent dans leurs mains la possibilité de faire évoluer une jurisprudence qui est devenue une jurisprudence excessivement tatillonne. Y compris pour barrer la loi à des amendements parlementaires alors qu’aujourd’hui on n’a plus de majorité au Parlement. Donc c’est un lieu où il faut négocier des amendements.
Après le meurtre d’Elias, la mairie de Paris lance une campagne #StopCouteaux. La droite parisienne dénonce une mesure déconnectée de la réalité. Êtes-vous du même avis ?
Qu’on fasse des campagnes de prévention c’est absolument indispensable mais les campagnes de prévention ne suffisent pas. Mais ce n’est pas ça qu’il faut, mais des polices municipales qui soient des vraies polices de proximité et des vraies auxiliaires de la Police nationale. Mais il faut qu’elles aient les outils pour être vraiment dissuasives. Ce que nous ont montré toutes les études qu’on a faites en matière de sécurité c’est qu’une police municipale armée est beaucoup plus efficace qu’une police municipale qui n’est pas armée. On a besoin d’armer la police municipale à Paris et c’est un préalable. Si on n’a pas une police municipale armée, comment voulez-vous qu’ils fassent pour désarmer un porteur de couteau ?
Les maires qui refusent la vidéosurveillance et l’armement des polices municipales portent-ils une part de responsabilité dans la montée de l’insécurité ?
À Villeneuve-Saint-Georges, il y a un candidat qui est aujourd’hui soutenu par l’ensemble des forces de gauche, y compris le Parti socialiste, qui se veut un parti de gouvernement. Ce candidat s’appelle M. Boyard. M. Boyard, il revendique d’avoir été dealer quand il était étudiant, il a mis des élus terroristes sur sa liste, voire même des gens qui ont été recherchés par la justice. Et cette personne-là dit “mon programme pour Villeneuve-Saint-Georges, c’est on arrête les caméras de vidéoprotection, on désarme la police municipale.” Tout cela montre une forme de collusion avec toute une économie parallèle dont nous ne voulons plus.
Un bureau politique consacré à la refondation de votre parti se tiendra mercredi. Qu’en attendez-vous concrètement ?
Il faut qu’ils soient clairs sur leur ligne politique. Pour moi, elle se résume en 3 mots. De l’ordre aux frontières, de l’ordre dans la rue, de l’ordre dans les comptes. Nous sommes le seul parti qui propose cette offre politique. Nous sommes le parti de l’ordre et nous sommes aussi le parti du progrès scientifique parce qu’aujourd’hui, la gauche a abandonné toute notion de progrès scientifique et social au profit d’une idéologie de la décroissance.
En 2022, vous défendiez une ligne indépendante, « ni Macron ni Le Pen ». Pourtant, votre camp s’est rapproché du macronisme. Pourquoi ce revirement ?
Je crois en réalité que les lignes des partis ont été brouillées. Pour moi, Edouard Philippe est un homme de droite. Jean Castex est un homme de droite. Gérald Darmanin aussi. Ils ont travaillé avec Emmanuel Macron et certains éléments de la politique d’Emmanuel Macron ont été des éléments de droite. La politique pro-entreprise d’Emmanuel Macron, pro-business, était très clairement là pour créer de la richesse. Le seul problème, c’est que sur toute une série d’autres sujets, sa politique n’a pas été bonne.
Bruno Retailleau veut peser dans l’avenir de votre mouvement. Faut-il s’attendre à une guerre des chefs avec Laurent Wauquiez ?
Les ambitions en politique sont légitimes. On ne fait pas de la politique sans ambition pour son pays ni sans envie de défendre soi-même ses idées. Mais, la guerre des égos ne peut conduire à la droite qu’à la catastrophe et elle l’a déjà conduite à la catastrophe à plusieurs reprises. On a besoin aujourd’hui d’un candidat unique qui défende les idées de la droite et qui sont les bonnes pour le pays et celles que les Français attendent. Cette refondation doit avoir lieu vite et on doit se doter d’un chef de parti. Il faudra ensuite qu’on s’élargisse à tous ceux qui défendent peu ou prou des idées de droite dans le pays.
La situation actuelle rappelle la primaire de 2021 : Xavier Bertrand est déjà candidat et David Lisnard réclame une primaire. L’histoire est-elle en train de se répéter ?
Arrivons déjà avec un corpus d’idées très identifiées, très claires, c’est pour cela que j’ai relancé « Libres ! ». Des idées qui parlent aux Français et dont ils pensent qu’elles résoudront leurs problèmes. Mettons les idées avant les égos et ensuite, il faudra qu’on ait un processus de désignation. Il doit être le plus ouvert possible, il doit associer le plus de Français possible et le plus de potentiels candidats de la droite possible.
Quel rôle souhaitez-vous jouer dans ce processus de refondation ? Avez-vous l’intention de vous impliquer activement ?
Moi, je ferai tout pour sauver mon pays. J’ai l’expérience d’une femme qui a vécu une présidentielle. Certes, nous avons perdu ces élections, mais je n’ai pas perdu mes convictions. Ce que je veux, c’est faire gagner la France. Si je suis restée en politique, c’est parce que j’ai cette expérience d’une présidentielle, je sais que cette expérience sera précieuse et j’espère qu’elle nous permettra d’éviter une catastrophe à la prochaine présidentielle.
Jusqu’où êtes-vous prête à aller ? Envisagez-vous de vous représenter à la présidentielle ou écartez-vous définitivement cette option ?
La seule certitude, c’est que je ne contribuerai pas à la division de la droite. Mon seul objectif est son unification.
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