L’affaire a suscité un torrent de moqueries sur les réseaux sociaux. Anne, décoratrice d’intérieur de 53 ans, a vu ses comptes bancaires vidés de 830 000 euros, après qu’elle a cru venir en aide à une célébrité, avec laquelle elle pensait vivre une romance par messages interposés. La retentissante escroquerie dite au « faux Brad Pitt », révélée par l’émission Sept à huit, illustre pourtant une inquiétante réalité : les arnaques sentimentales sont en forte augmentation en France. 1 200 cas auraient été recensés pour la seule année 2023, concernant majoritairement des femmes de plus de cinquante ans, dotées d’un certain niveau de revenus, souvent isolées ou fragilisées par les épreuves de la vie.
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Ce chiffre est probablement en deçà de la réalité. Car les victimes hésitent à déposer plainte. Elles éprouvent honte et culpabilité, redoutent de ne pas être prises au sérieux, peinent à croire à l’efficacité de la réponse judiciaire et s’inquiètent des représailles dont elles pourraient faire l’objet en cas de saisine de la Justice ; les messages, informations personnelles et autres clichés intimes échangés avec leurs escrocs, auraient en effet tôt fait, craignent-elles, d’être rendus publics ou adressés à leur entourage.
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Des brouteurs opérant depuis l’Afrique de l’Ouest
La détermination des « brouteurs » ne doit pas être prise à la légère, pas plus que les conséquences de leurs méfaits pour les victimes. Ces individus sévissent depuis l’Afrique de l’Ouest et cherchent à arnaquer les Français sur des sites de rencontre ou via les réseaux sociaux. Grâce à de faux profils créés à partir de photos récupérées sur Internet, ils hameçonnent leurs proies, les inondent de messages, se relayant jour et nuit pour les séduire, entrer par effraction dans leur quotidien et leur demander des sommes parfois considérables sous des prétextes fallacieux. Au fait des techniques d’emprise et de manipulation, ces malfaiteurs utilisent de faux numéros de téléphone français, des montages sonores ou vidéos pour inspirer confiance. Les dommages ne sont pas seulement financiers. Des vies peuvent être dévastées.
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Les victimes hésitent à déposer plainte
Dans le cas révélé par TF1, la victime a, par trois fois, tenté de mettre fin à ses jours. Elle est désormais hospitalisée pour dépression. En novembre 2015, Anthony, 18 ans, se suicidait après avoir été piégé par le faux profil Facebook d’une coiffeuse à domicile dijonnaise, en réalité piloté depuis la Côte d’Ivoire.
Une réponse judiciaire souvent inefficace
Les auteurs de l’arnaque au « faux Brad Pitt » auraient été identifiés grâce à un hacker repenti qui propose désormais ses services aux victimes de cyber malveillance. Trois hommes d’une trentaine d’années auraient été localisés au Nigeria et une enquête est ouverte. Il n’en demeure pas moins que dans la quasi-totalité des cas, la réponse judiciaire s’avère trop souvent inefficace. Sur le plan pénal, les outils existent pourtant : les délits d’escroquerie et d’abus de faiblesse permettent de réprimer la majeure partie des arnaques sentimentales. Inutile donc de réagir à chaud en proposant un nouveau délit, notre code pénal étant déjà lourd de 3 300 pages…
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Comment parvenir à juger des individus qui agissent loin de l’Hexagone, depuis des pays qui ne font pas toujours montre d’un grand intérêt pour la chose ?
Sans surprise, d’un point de vue répressif, la principale difficulté est pratique : comment parvenir à juger des individus qui agissent loin de l’Hexagone, depuis des pays qui ne font pas toujours montre d’un grand intérêt pour la chose ? Ajoutons qu’à supposer que les auteurs de ces arnaques puissent être condamnés, rien ne dit qu’Anne et les centaines d’autres victimes de ce type d’abus pourront un jour retrouver leur argent.
En France, aucune assurance ne couvre ce genre de sinistres. Les outils permettant aux juridictions pénales de s’assurer de l’indemnisation des victimes par les condamnés, qu’il s’agisse du sursis probatoire ou du suivi socio-judiciaire, s’avèrent inefficaces car leurs revenus, y compris ceux tirés de leur travail en détention, sont sans comparaison avec les sommes dont elles se font déposséder. Sombres perspectives donc pour les victimes des « arnacoeurs ».
Un fonds pour les victimes ?
Outre la question de la responsabilité des banques au titre d’un défaut de vigilance vis-à-vis de transactions qui devraient interroger, notamment quant à leurs montants et leurs pays de destination, la lumière pourrait venir d’une réforme du Fonds de garantie des victimes. Cet organisme, créé en 1986 après une vague d’attentats qui frappa l’Hexagone, se substitue aux auteurs d’infractions pour régler l’indemnisation due à leurs victimes, lesquelles n’ont plus à se soucier de son recouvrement, face à des individus généralement insolvables.
Initialement dédié à la réparation du préjudice lié aux actes de terrorisme, le Fonds a vu ses attributions élargies aux victimes d’infractions de droit commun présentant une atteinte suffisamment grave à leur intégrité physique.
Indemnisation : des montants dérisoires en comparaison des enjeux de ce type d’affaires
Jusqu’à réparer le préjudice de certains cas d’escroquerie, d’abus de faiblesse ou encore d’extorsion de fonds, mais sous de strictes conditions, qui rendent en réalité illusoire toute réparation intégrale du préjudice consécutif à ce type d’infraction. En l’état actuel du droit, l’article 706-14 du code de procédure pénale impose en effet à la victime de démontrer que ses revenus sont inférieurs au barème de l’aide juridictionnelle (12 712 euros annuels pour une personne seule) et de prouver qu’elle est placée « dans une situation matérielle ou psychologique grave du fait de l’infraction ». De surcroît, au terme de plusieurs mois de procédure, la victime ne pourra prétendre qu’à une indemnisation limitée à seulement 4 767 euros… Un montant dérisoire en comparaison des enjeux de ce type d’affaires.
Solidarité nationale
Le budget du Fonds de garantie des victimes n’est certes pas illimité. L’organisme est principalement financé par une contribution perçue sur les polices d’assurance et par le recouvrement des sommes dues par les personnes condamnées. Pour autant, on comprend mal pourquoi Anne et la cohorte de nos concitoyens ainsi dépouillés devraient pâtir des exigences de l’article 706-14 de notre code de procédure pénale.
Le législateur pourrait lever certaines de ces contraintes, tout en conservant le garde-fou de la démonstration par la victime, via une expertise judiciaire, de ce qu’elle a été placée dans une « situation matérielle ou psychologique grave ». La solidarité nationale gagnerait à s’exercer pleinement pour ces victimes qui font face à des escrocs qui pillent leurs économies, bafouent sans le moindre scrupule leur vie intime et qui s’avèrent souvent motivés par un ressentiment anti-français.
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