Entre appareils de détection à la pointe de la technologie, moyens de consommation de plus en plus globalisés, les dossiers de dopage se multiplient après des détections de substances qui ne l’auraient pas été il y a vingt ans dans ce niveau de détail. Les athlètes plaident souvent la contamination ces derniers temps. Mais comment le monde de l’antidopage s’adapte à ces évolutions, et au nouveau comportement des sportifs ?
C’est une tendance qui s’installe depuis de nombreux mois. Les dossiers de dopage où l’athlète mis en cause plaide la contamination se multiplient. Dans certains dossiers récents à l’écho important, les conclusions de l’enquête ont amené à cette thèse. Ce fut le cas d’Iga Swiatek, dont l’Agence mondiale antidopage ne fera appel de sa relaxe, de Simona Halep, ou encore la championne du monde d’escrime 2022 Ysaora Thibus (appel en cours). Mais les investigations parfois aussi confirment les prélèvements positifs.
Cette problématique de contamination est-elle devenue une contrainte liée aux modes de consommation actuels à laquelle doivent s’adapter institutions et sportifs? Ou un prétexte pour certains sportifs qui enfreignent les règles? Quoiqu’il en soit, cela pose aussi le débat des seuils. En clair, cette ligne rouge en dessous de laquelle les traces de certaines substances sont autorisées (comme le salbutamol pour l’asthme, NDLR) et au-dessus de laquelle un athlète est confondu pour dopage.
“Il faut arrêter d’aller chercher du picogramme par millilitre dans les urines”, clame le professeur Jean-Claude Alvarez, directeur du service de toxicologie de l’hôpital Raymond-Poincaré AP-HP de Garches. La raison pour ce toxicologue : l’évolution technologique qui permet de trouver des traces de substances avec une précision beaucoup plus poussée qu’il y a dix ans.
Faudrait-il alors relever certains seuils en corrélation avec les progrès technologiques pour une liste définie de substances? “La situation est un peu au cas par cas. Vous prenez par exemple le Turinabol utilisé par les anciens athlètes de l’Allemagne de l’Est. À l’époque, on pouvait analyser le Turinabol pendant 24/36 heures, c’était extrêmement court. Le gain en sensibilité nous a permis d’analyser de nouvelles substances et d’élargir la fenêtre de détection. Aujourd’hui, on peut détecter le Turinabol oral parfois jusqu’à 4 à 6 mois après utilisation”, abonde Olivier Rabin, directeur science et médecine de l’Agence mondiale antidopage, avant d’ajouter: “Le plus difficile c’est l’interprétation d’une exposition. Si on parle de substances plus communes comme la cocaïne, placée comme stimulant et interdite en compétition, le problème c’est que les contaminations à la cocaïne peuvent exister. On peut tous être exposés à des quantités extrêmement faibles de cocaïne dans des manipulations quasi quotidiennes. On peut avoir parfois des niveaux résiduels dans l’urine extrêmement faibles. C’est là que l’on se doit d’avoir un raisonnement pragmatique et dire : en deçà de certaines valeurs, il n’y a pas de sens à rendre ces résultats, on doit avoir un discernement car cela peut être une exposition courante en touchant un billet de banque, un endroit ou un produit alimentaire par exemple.”
C’est là que la thèse de contamination entre en jeu. De plus en plus fréquente dans les dossiers de dopage récents. “Par exemple la jeune patineuse russe Kamila Valieva (suspendue pour quatre ans en 2024 suite à un contrôle positif à la trimétazidine, NDLR). Son explication n’a pas été retenue. Il y a des cas sur lesquels on fait appel, et d’autres sur lesquels les éléments sont suffisamment probants et étayés. Ce n’est pas une justice aveugle, mais guidée par des éléments scientifiques, contextuels, et aussi par ce que l’on sait sur les niveaux de contamination dans le monde”, détaille Olivier Rabin.
Dans ces cas de contamination, l’analyse capillaire pourrait être une solution complémentaire des analyses sanguines et urinaires pour le professeur Alvarez: “Cela va permettre de faire la distinction entre quelqu’un qui est contaminé et une personne dopée. Elle ne doit pas remplacer les analyses de sang et d’urine. Une microdose ne fait rien. Elle ne modifie pas la performance. L’affaire Swiatek, elle n’avait rien dans ses cheveux, on a une microdose dans ses urines”. De son côté, l’Agence mondiale antidopage tempère ce raisonnement: “Les analyses capillaires ne sont pas interdites dans le contexte antidopage. Il faut retirer ce mythe. Elles peuvent être utilisées et sont parfois utilisés en complément. Mais dans les textes, des analyses capillaires ne peuvent pas venir invalider des tests urinaires, ou sanguins. Elles peuvent toutefois être utiles et sont parfois acceptées par les tribunaux comme le Tribunal arbitral du Sport. Les analyses capillaires ont leur utilité mais penser que cela peut être utile dans tous les cas antidopage est une erreur scientifique”, défend Olivier Rabin.
À côté de cette évolution technologique, arme importante de la lutte antidopage, un autre phénomène est apparu ces dernières années: les compléments alimentaires. En vente libre sur Internet, en magasin, ou en pharmacie, ils sont désormais largement utilisés par les athlètes de haut-niveau mais pas toujours avec les bonnes préconisations quant à leur composition.
Lors de notre venue dans le service de toxicologie de l’hôpital Raymond Poincaré AP-HP de Garches, le professeur Jean-Claude Alvarez venait de recevoir le dossier d’un athlète contrôlé positif à neuf substances anabolisantes retrouvées dans la poudre de son complément alimentaire. “Une poudre que l’on a analysée dans laquelle on a trouvé de la testostérone et de la nandrolone. J’avoue que neuf produits contaminants, c’est ahurissant. J’ai eu des doutes. Je me suis dit que le sportif les avait rajoutés. J’ai acheté une autre boite neuve, et j’avais toujours les mêmes contaminants. Ne serait-ce pas le fournisseur qui ajoute un peu d’anabolisants dans ses protéines de manière à être plus efficaces que la concurrence? Malgré tout le sportif n’y est pour rien et ne peut pas le savoir. Rien n’est marqué sur la boîte. Il a été pourtant positif à la testostérone et à la nandrolone”.
À l’AMA, le message est clair: “Cela fait plus de 20 ans que l’agence informe les athlètes sur les risques des compléments alimentaires. Même si le risque a diminué, il existe. Attention vous commandez des substances sur Internet, ou même vous achetez en magasin des compléments alimentaires qui peuvent contenir des substances interdites, et ce n’est pas forcément marqué sur la boîte. C’est là qu’est le problème. Et là on parle de rajouter des substances interdites de telle façon à ce que l’on vous vende un produit ayant des effets bénéfiques mais en réalité ce n’est pas un extrait de plante qui a ces propriétés, et il contient des substances interdites qui sont masquées. Malheureusement les fabricants de ces produits ont très peu de législations devant lesquelles ils doivent rendre des comptes. Dans un certain nombre de pays le suivi de ces règles est relativement laxiste, il faut le reconnaître”, explique Olivier Rabin. À l’heure actuelle, de nombreux programmes existent, mis en place par les fédérations internationales ou des agences antidopage nationales, pour identifier les compléments alimentaires et s’assurer qu’ils ne contiennent aucune substance interdite. En France la norme “AFNOR” permet de limiter les risques de contamination.
Dans le cadre de la révision du code mondial antidopage, l’AMA a mis en place plusieurs groupes de travail dont un qui doit plancher sur les seuils. Et la liste des substances interdites qui doivent comprendre un seuil en dessous duquel si l’athlète est contrôle positif à cette dite substance, cela sera considéré comme de la contamination. “Ce groupe de travail sur les contaminants regroupe des experts scientifiques et juridiques qui réfléchit aux conditions qui pourraient mener à des contaminations substance par substance. Aujourd’hui, ce groupe a déjà identifié un certain nombre de substances, et d’ores et déjà apporté des solutions ces dernières années, dans le but que certaines substances puissent être reconnues, dans certaines conditions, comme étant plus probablement liées à une contamination ou plus probablement liées à du dopage. Il y a des territoires comme l’Europe où les réglementations sont strictes et strictement appliquées mais ce n’est pas le cas partout dans le monde”, analyse Olivier Rabin.
Mais pour autant une liste de contaminants pourrait-elle voir le jour avec une réelle efficacité? “L’idée peut paraitre intéressante mais difficile à mettre en œuvre. Qu’est-ce qui empêcherait un fabricant d’aller chercher d’autres produits? Si on prend les stimulants, on peut estimer de 300 à 400 stimulants identifiés et pharmacologiquement reconnus. Il existe en parallèle deux autres catégories: tout ce qui a été publié dans la littérature scientifique mais jamais traduit dans des médicaments ou produits, et des nouvelles substances psychoactives (700 à 800 identifiés, il en sort un toutes les deux ou trois semaines environ dans le monde)”. La révision du code mondial antidopage sera approuvée en fin d’année lors de la 6e conférence mondiale sur le dopage dans le sport. Avec une entrée en vigueur le 1er janvier 2027. Avec de nouveaux défis d’ici là.
Source : Lire Plus