Au Parc OL,
Une poignée de minutes après le coup de sifflet final d’un OL-Besiktas (0-1) jusque-là limite paisible, deux énormes détonations ont retenti depuis le parvis du stade de Décines. Il était 23h10 et ce choc de Ligue Europa classé à « un très haut niveau de risque », 5/5 selon la Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), venait de basculer dans la dimension redoutée.
Quel a été le déclencheur de ces tensions, quand on sait que l’avant-match tout comme la rencontre avaient été bien contrôlés, avec un énorme dispositif de plus de 700 personnes de la police nationale et de la gendarmerie déployées entre le centre-ville de Lyon et les abords du Parc OL ? A l’image de la défaite contre l’OM (2-3) un mois plus tôt, le but turc (Gedson Fernandes, 71e) et le coup de sifflet final ont poussé une centaine de fans de Besiktas à célébrer ce succès en latérale ouest, en mode mini-kop surprise derrière le banc de touche turc.
« Bouge de là avant que je te matraque »
Or les supporteurs turcs étant interdits de déplacement, des groupes de Lyonnais ont vite filé sur le parvis afin d’en découdre avec eux à leur sortie de la tribune. Identifiant ce scénario de guet-apens, comme cela avait été le cas entre différents groupes de supporteurs de l’OL lors du précédent match à domicile face à Nantes (2-0), les nombreux CRS présents usent vite de gaz lacrymogènes afin de disperser tout le monde. « Ça défonce la gorge », se lamente alors un adolescent ayant assisté à la rencontre avec ses coéquipiers et éducateurs de l’académie de l’OL, tout en cherchant à enfouir son visage dans son sweat-shirt en sortant du stade.
Au même moment sur le parvis au niveau de la porte C, on est durant quelques minutes face à un chaos opposant des supporteurs lyonnais (et leurs projectiles) aux forces de l’ordre (et leur lacrymo). Une scène rappelant presque cet angoissant 13 avril 2017, lorsque de violentes rixes avaient éclaté un peu partout à Décines, en marge du quart de finale aller de Ligue Europa OL-Besiktas (2-1). Abonné du virage nord, Christopher (25 ans) raconte la confusion qu’il a vécue, en cherchant à retrouver son frère et sa belle-sœur.
« Je me trouvais porte Z lorsque mon frère m’a prévenu au téléphone que ça partait en cacahuète sur le parvis au niveau de la porte C. Il m’a donc conseillé de rester dans la tribune. L’usage de bombes lacrymo a fait pleurer beaucoup de monde. Mon frère et ma belle-sœur voulaient simplement récupérer leur voiture sur le parking et ils se sont retrouvés coincés sur le parvis. Ils ont de nouveau été gazés comme pas possible et ils ont subi une charge de la foule plus des CRS. De mon côté, j’ai demandé à un CRS si je pouvais sortir de la tribune pour rejoindre mes proches. Il m’a répondu : « Bouge de là avant que je te matraque ». »
« J’ai vu un supporteur être traîné au sol par des CRS »
Lorsque Christopher les retrouve, il constate que son frère est légèrement blessé au coude et au genou, et surtout que sa belle-sœur Andrea, « percutée à la hanche dans cette charge », est entourée par deux secouristes sur le parvis, et « incapable de se relever seule ». « J’ai aussi vu un supporteur lyonnais être traîné au sol par des CRS », soupire Christopher.
Non loin de là, un autre fan de l’OL confirme son impression : « Les policiers ont vraiment chargé de manière disproportionnée ». Secoué après avoir « pris un coup de bouclier involontaire d’un policier » en voulant traverser cette zone de tension, un ado lyonnais assure : « Je ne regrette pas d’être venu à ce match malgré tout. Ça montre juste qu’il y a malheureusement toujours quelques abrutis voulant se battre au stade ».
« Il n’y a pas eu plus de fouilles que d’habitude »
Les ultras lyonnais n’auraient pas trouvé face à eux leurs homologues turcs mais de simples membres de la tribune VIP du Parc OL, soit les familles de joueurs soit des partenaires du club, comme le prévoit le règlement de l’UEFA (200 places maximum pour le club adverse). Ceux-ci ont simplement eu le tort de fêter de manière un peu trop passionnée leur premier succès dans cette Ligue Europa 2024-2025. Protégés/surveillés dans leur emplacement en bas de la tribune ouest, ils ont attendu 0h05 pour être sereinement raccompagnés par la sécurité en dehors de l’enceinte.
« Des investigations sont en cours pour identifier les responsables de ces troubles, qui feront l’objet de poursuites », a précisé la préfète du Rhône Fabienne Buccio dans un message posté sur le réseau social X. Celle-ci a ajouté jeudi soir que huit interpellations avaient été effectuées « pour non-respect de l’arrêté préfectoral » visant les supporteurs turcs.
Dans ce sens, la vingtaine de fans de l’OL que nous avons interrogés jeudi soir s’étonnaient qu’il n’y ait « pas eu plus de fouilles que d’habitude » à l’entrée du stade, ni « le moindre contrôle d’identité » comme cela avait été communiqué par la direction du club. Si ces échauffourées a priori sans blessé grave n’ont duré qu’une quinzaine de minutes, elles tranchaient avec la quiétude qui régnait sur le parvis, tout autour du Parc OL, à une heure du coup d’envoi.
« Si on a peur de tout, on ne fait plus rien »
« On en a vu d’autres depuis tout ce temps, confiaient ainsi Marlène (53 ans) et Caroline (56 ans), deux sœurs abonnées à l’OL depuis plus d’une trentaine d’années. Pour nous, c’est un match comme un autre, on n’a pas du tout hésité à venir. On ne serait juste pas venu avec un enfant contre Besiktas. » A 34 ans, Kévin a franchi ce cap-là en profitant des vacances scolaires pour emmener son fiston de 9 ans.
« Avec la jauge à 30.000 spectateurs [environ 28.000 personnes présentes finalement] et la sécurité renforcée, je n’ai pas de crainte spécifique, assurait-il. Beaucoup de monde m’a dit de faire gaffe mais il faut être confiant. Si on a peur de tout, on ne fait plus rien. » Il n’empêche, les après-matchs de Nantes et de Besiktas (avant OL-Auxerre dimanche à 15 heures) viennent de rappeler coup sur coup qu’il n’était actuellement guère safe de venir en famille admirer les arabesques de Rayan Cherki et Malick Fofana.