De nettes avancées, mais encore de nombreuses zones d’ombre. Près d’un an après la disparition en Alsace de Lina, 15 ans, les enquêteurs tentent encore de répondre aux multiples questions qui entourent ce crime. « Des questions risquent de rester sans réponse », a toutefois prévenu, ce jeudi, le procureur de la République de Strasbourg par intérim.
Alexandre Chevrier est néanmoins longuement revenu sur le travail de fourmis mené par une cellule « mobilisant au quotidien vingt enquêteurs » pour identifier le principal suspect : Samuel Gonin, un père de famille marginalisé, qui s’est suicidé cet été, avant d’avoir été identifié. Au total, les gendarmes ont mené « plus de 400 auditions », analysées « plus de 300 véhicules » et « couvert 20.000 km de vidéosurveillance », a rappelé Jean-François De Decker, le commandant de la section de recherches de Strasbourg.
« Des moyens conséquents restent mobilisés »
Pour quel résultat donc ? La jeune fille reste, encore aujourd’hui, introuvable. Les fouilles menées cet été dans les Vosges et en Haute-Saône n’ont rien donné. « Mais l’enquête se poursuit, il n’est pas question d’abandonner. Des moyens conséquents restent mobilisés pour retrouver Lina », a prévenu le procureur en annonçant que d’autres recherches allaient avoir lieu. « Elles sont planifiées mais vous comprendrez que je n’en dirai pas plus à ce stade. »
En attendant, le magistrat a largement détaillé le scénario du drame. Le jour des faits, l’adolescente, qui se rendait à la gare de Saint-Blaise-la-Roche, a croisé la route d’une Ford Puma. Samuel Gonin, 43 ans, résidant à Besançon, était au volant. Que faisait-il là à cet instant précis ? « Cette D350 n’est pas un axe de passage. Cette question demeure sans réponse. Il n’a été trouvé aucune trace d’un contact ou lien avec Lina ou son entourage. Ni avec des membres du secteur ou d’un précédent passage », a détaillé le magistrat.
Une vie d’errance
Samuel Gonin était « lancé dans une vie d’errance ». A l’été 2023, il quitte sa famille, son travail, commence à consommer de fortes quantités de cannabis, cocaïne, crack. « Il était très solitaire et voyageait beaucoup », précise le procureur.
Le matin de la disparition de Lina, son véhicule a été géolocalisé « à Audincourt (Doubs) à 4h49, au sud de Montbéliard à 5h50, puis il avait franchi la frontière allemande avant de revenir en France ». Pour être repéré « à 11h20 et 11h26 à proximité très immédiate du lieu de disparition », précise encore le procureur en s’appuyant ici sur les données du « système multimédia embarqué » du véhicule. Ce fut une des difficultés de l’enquête : le suspect « a pris soin de désactiver » le GPS du véhicule. De même, il n’a pas utilisé de téléphone portable pendant quelques mois, impossible donc de travailler sur le « bornage » de sa ligne. « Gonin a tout fait pour se rendre indétectable », résume Alexandre Chevrier.
L’ADN de Lina isolé dans sa voiture
Pour le confondre, les enquêteurs ont remonté une à une les pistes de tous les véhicules apparus sur la vidéosurveillance proche du lieu de la disparition. Dont cette Ford Puma « filmée à 11h13 dans le tunnel de Schirmeck, entrant dans la vallée (de la Bruche). » « Les vérifications ont permis d’établir qu’elle avait été volée le 24 août à Fribourg, en Allemagne. Le véhicule a été saisi à Narbonne le 6 janvier 2024 après des faits de refus d’obtempérer et transféré le 26 juin à l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN). »
C’est dans ces locaux, à Rosny-sous-Bois, que l’ADN de Lina a été retrouvé dans différents endroits. « Sur les sièges arrière, la ceinture de sécurité arrière centrale et la partie rouge de la boîte du rétracteur ». La boîte a gants de la citadine contenait, elle, le sac à main de la jeune fille. « Avec un miroir, des faux cils, de la colle à faux cils, la coque de son téléphone, des écouteurs. » Et, dans le coffre, « deux cordes avec l’ADN de Lina et de Samuel Gonin mais nulle part la moindre trace de sang », détaille encore le procureur avant d’avancer que « Lina a été ligotée à un moment ou à un autre ».
« Il n’était pas au courant »
Ces analyses sont tombées « le 26 juillet », soit un peu plus de deux semaines après le suicide du meurtrier présumé. Avait-il connaissance des lourds soupçons qui pesaient sur lui ? « Au jour de sa mort, il n’était pas au courant que la Ford Puma avait été saisie par les enquêteurs », a assuré Alexandre Chevrier en rappelant que le quadragénaire devait en revanche comparaître « en juillet à Besançon pour deux vols avec violence ».
Samuel Gonin a bien laissé des mots mais « aucun ne fait référence expressément à la disparition de Lina ». Ou alors il faut lire entre les lignes. « J’ai perdu mon honneur, ma dignité, mon humanité, je dois partir. Je ne sais pas me contrôler, ça va trop vite », a-t-il écrit.