En sept jours, le prodige tricolore de la natation Léon Marchand a complètement changé de dimension, devenant l’idole de tout un peuple. À 22 ans, il compte désormais quatre titres olympiques, une médaille de bronze et une cote de sympathie illimitée.
Face à un micro tendu, toujours le même sourire, presque enfantin, toujours la même simplicité. Et dans sa bouche, la même humilité, les mêmes mots. À longueur d’interview, quand on lui demande de commenter la course qu’il vient d’enquiller, Léon Marchand pioche dans le champ lexical du bonheur, à coups de “fun”, de “cool”. L’héritage, peut-être, de trois années passées dans les eaux chlorées américaines.
Sous l’égide de Bob Bowman, l’enfant de Toulouse a englouti les yards et accumulé les progrès. Au Japon, l’an passé, il s’est signalé aux yeux du monde en détrônant Michael Phelps de son record sur 400m 4 nages en 4’02″50. Fort de ce chrono, Léon Marchand, 22 ans, se savait plus qu’attendu aux JO de Paris.
Et Léon Marchand ne s’est pas manqué. En l’espace d’une semaine, le visage de l’avenir de la natation française s’est mué en légende de l’olympisme tricolore. Sept petits jours, une durée suffisante pour glâner quatre titres olympiques et une médaille de bronze.
- Dimanche 28 juillet – 400m 4 nages
C’est en double champion du 400m 4 nages que Léon Marchand s’approche de la ligne d’eau numéro 4 dans une Paris La Défense Arena incandescente. Auréolé de séries solides, il fait figure de grand favori de cette finale. Mais son expérience olympique est encore maigre. Il n’est pas question de fanfaronner avant d’entrer dans l’eau.
Léon Marchand plonge et, dès les 50 premiers mètres, prend la tête avant d’attaquer sa coulée. Il en ressort devant Daiya Seto et ne sera jamais rattrapé.
Le petit prince de la natation tricolore conclut la course en 4’02″95 et signe un nouveau record olympique. La concurrence est laissée à des années lumières, avec une avance de quelque six secondes devant le Japonais Tomoyuki Matushita et l’Américain Carson Foster.
Léon Marchand monte sur la première marche du podium et fait résonner La Marseillaise dans la Paris La Défense Arena. Dans la soirée, il est félicité par Gabriel Attal, Premier ministre démissionnaire, venu assister à la course. Emmanuel Macron, lui, l’appelle pour le féliciter. Presque étrangement, Léon Marchand semble malgré tout garder les pieds sur Terre. Sa moisson ne fait que débuter.
- Mercredi 31 juillet, 20h37 – 200m papillon
Le “Roi Léon” sait que la tâche qu’il a en ligne de mire est plus qu’ardue. Il est parvenu à convaincre Bob Bowman de le laisser viser deux titres olympiques en l’espace d’une seule et même soirée. Personne ne l’a fait jusqu’ici et la tâche est immense.
Le menu commence par un 200m papillon. La nouvelle vedette se sait attendue et doit défier un cador de la catégorie, à savoir Kristof Milak. Cette fois encore, c’est poussé par tout un stade qu’il s’élance.
Les 100 premiers mètres sont pour le Hongrois, bien parti pour aller décrocher l’or olympique. Mais à mi-parcours, Léon Marchand s’offre une coulée exceptionnelle et entame son effort dans les 50 derniers mètres.
À ce moment-là, le temps s’arrête sur la capitale, sur la France. La Paris La Défense Arena redouble de décibels. La folie se propage aux autres sites olympiques. Ça et là, les arbitres sont obligés d’interrompre des épreuves tant la clameur qui pousse dans les tribunes pour Léon Marchand est forte.
Il ne reste plus que quelques mètres. Les deux nageurs sont au coude-à-coude, Kristof Milak jette un bref coup d’œil à la ligne d’eau d’à côté et aperçoit le Français prendre le dessus. Il réalise à cet instant qu’il ne pourra rien faire face à Léon Marchand.
En 1’51″21, le Toulousain s’offre une nouvelle médaille d’or assortie d’un record olympique. Le nageur peut cependant à peine le savourer, contrairement à ses fans. Le compte à rebours avant la finale du 200m brasse est lancé. Il faut encore tester ses lactates, absorber du gel et prendre part au protocole de remise de médaille. Cela fait peu de temps pour savourer.
- Mercredi 31 juillet, 22h31 – 200m brasse
Moins de deux heures s’écoulent entre le moment où Léon Marchand fend l’eau lors de la finale de 200m papillon et celui où il remet le couvert en 200m brasse.
Dans une salle en furie, aux cris synchronisés sur ses respirations, le Français de 22 ans boucle la distance en 2’05″85 et s’offre un nouveau record olympique. L’Australien Zac Stubblety-Cook (2’06″79) et le Néerlandais Caspar Corbeau (2’07″90) finissent respectivement deuxième et troisième mais aucun d’eux ne pouvait rivaliser avec Léon Marchand à Paris.
À l’inverse de sa finale de 200m papillon, où il a repris le recordman du monde hongrois Kristof Milak dans la dernière longueur, Léon Marchand a pris la tête dès le début du 200m brasse pour ne jamais la lâcher.
Un exploit majuscule que celui d’enchaîner deux courses à haute intensité en un laps de temps aussi restreint. Dans les travées, Bob Bowman est admiratif.
- Vendredi 2 août: 200m 4 nages
On retrouve Léon Marchand à la Paris La Défense Arena pour sa traditionnelle communion avec le public. La fatigue commence à peser mais la quête de l’or est plus forte que tout.
Galvanisé, le “Roi Léon” se détache de la concurrence au bout de 100 mètres avant d’enchaîner sur la brasse et sur le crawl. Il conclut sa dernière course individuelle en 1’54″06 et s’adjuge le record olympique, à six centièmes seulement du record du monde. Le Britannique Duncan Scott (1’55″31) et le Chinois Wang Shun (1’56″00) ne peuvent qu’applaudir le Français, qui paraît presque frustré de ne pas avoir fait encore mieux.
À 22 ans seulement, Léon Marchand se fraye une place au soleil aux côtés de l’Est-Allemande Kristin Otto et des Américains Mark Spitz et Michael Phelps dans le gotha des nageurs quatre fois titrés en individuel dans une même édition des Jeux.
“C’est un truc de fou”, s’enthousiasme-t-il au micro de RMC. “Je vais mettre beaucoup de temps à réaliser. Je ne sais pas comment j’ai fait. Je sais que c’est beaucoup de travail. Il y a beaucoup de monde derrière moi.”
Pour encaisser la pression, la nageur français s’appuie beaucoup sur son préparateur mental, Thomas Sammut. Avoir su la gérer, “c’est peut-être ma plus grosse fierté. Je suis arrivé direct avec le sourire. (…) La Marseillaise c’était dingue”.
- Samedi 3 août – 4x100m 4 nages mixte
Léon Marchand n’est pas du genre individualiste. La natation, il l’envisage aussi en équipe et se faisait une joie de concourir avec ses compatriotes, hommes et femmes. En finale du 4x100m 4 nages mixte, à Léon Marchand la brasse, à Yohann Ndoye-Brouard le dos, à Marie Wattel le papillon et à Béryl Gastaldello le crawl.
Rapidement, l’or s’échappe mais une place sur la boîte semble longtemps envisageable. Hélas, c’est à la 4e place qu’échoue le relais français (3’37″43), à bonne distance du podium (2″20).
Malgré tout, c’est de la bonne humeur qui s’échappe des lèvres de Léon Marchand. “C’était cool, on a bien kiffé, c’était une belle finale, très rapide. On a fait une belle course parce qu’on se concentre sur notre ligne et pas sur les autres. Et on a bien fait, car il y a eu trois records. On a tous bien nagé et je suis content de cette équipe. On fait le record de France, de beaucoup en plus, donc c’est une belle course, je suis content.”
Cela reste une ombre au tableau si parfait jusqu’ici de Léon Marchand. Ce sera la seule.
- Dimanche 4 août – 4x100m 4 nages par équipe
Les Jeux de Paris touchent à leur fin pour les nageurs. C’est le dernier jour pour s’illustrer dans le bassin. C’est aussi la quatorzième course de la quinzaine pour Léon Marchand, rien que ça.
En finale, Yohann Ndoye-Brouard ouvre le bal et cède le relais à son compère toulousain. La France est troisième et tutoie même la première place grâce au papillon de David Grousset. Florent Manaudou doit conclure le travail mais la distance n’est pas celle qu’il préfère. Le nageur ne peut résister au retour de l’Américain Hunter Armstrong et surtout au Chinois Pan Zhanle, et bloque le chrono français à 3’28″38.
Léon Marchand découvre le goût du bronze et celui-ci semble le ravir. “Cette médaille de bronze a la même saveur que mes autres médailles. Sauf que là, l’émotion est partagée, donc c’est même un peu multiplié”, se réjouit-il, ravi d’avoir nagé avec Florent Manaudou, dont il admirait les exploits à la télévision quand il était plus jeune.
“Aux 300m, on s’est pris dans les bras avec Yohann (Ndoye-Brouard) car on s’est vus premiers. Et là, je vois Flo qui part, sur l’une de ses dernières courses à la maison. Ça m’a fait quelque chose, c’était énorme. Cette soirée, je vais m’en souvenir. On était en famille, entre potes, on a profité du moment. Partager ce truc avec ces gars-là, c’est trop cool.”
C’est ainsi que le rideau se baisse sur les Jeux olympiques de Paris de Léon Marchand. Lui qui ne visait qu’une médaille en repart avec cinq. “Si je dois garder un souvenir de ces JO? Je dirais la matinée du 400m 4 nages, quand je suis sorti au bord du bassin et que mes oreilles ont explosé, que tout le monde m’encourageait en brasse. La finale du 400m 4 nages aussi, quand je touche devant et que je nage en 4’02″. Toute ma famille était venue ici, même mes potes, qui venaient des US, de Toulouse. C’était une émotion assez folle.”
Léon Marchand se considère-t-il désormais comme une légende? “Non, je ne m’en rends pas compte, je n’ai pas regardé les réseaux sociaux. La suite? Il y a les relais et puis je vais essayer d’aller voir d’autres sports. Mais l’objectif c’est bien sûr LA (Los Angeles en 2028, NDLR).”
Bientôt, le bassin de la Paris La Défense Arena sera démonté pour permettre à la salle de retrouver son utilité première: accueillir les matchs de rugby et les concerts. Les souvenirs qui y sont nés, eux, resteront gravés.
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