En plus de dix ans, Carole Benaroya et son amie d’enfance Stéphanie Eriksson ont réussi à faire d’une idée un peu folle une marque incontournable de la mode et du cachemire « made in France ». La saga commence en 2012, par une reconversion.
Après la crise des subprimes, Carole Benaroya, cadre chez Goldman Sachs, décide de tout plaquer pour se lancer dans le textile, précisément le cachemire, avec la conviction qu’il y a un marché à réveiller. Comme l’incontournable petite robe noire que toute femme range dans sa garde-robe, la pièce de cachemire doit avoir sa place dans toutes les commodes et tous les dressings de France et de Navarre. Elle propose à Stéphanie Eriksson, chef de produit chez Joseph, de se lancer dans l’aventure. « J’ai toujours aimé cette matière, mais en tant que consommatrice, je ne trouvais pas ce que je voulais exactement », raconte Carole Benaroya.
Entre les cachemires haut de gamme Éric Bompard et ceux plus abordables de Monoprix, il existe peu, voire pas, d’entre-deux de milieu de gamme, chics et abordables. « Notre créneau réside dans ce qu’on appelle le ‘‘casual luxury’’, du luxe à porter tous les jours. Pas seulement le joli pull que l’on porte le dimanche pour aller voir sa grand-mère. » Kujten décline ainsi des collections dont les prix vont de 95 euros pour un foulard à 1 500 euros pour un manteau. Le luxe se retrouve dans le choix des fils tissés : « Stéphanie avait l’habitude de sourcer les plus belles matières dans son ancienne maison. Cela nous a conduits à choisir la laine de Mongolie. »
Les usines de fabrication sont situées en Chine et dans une région de l’Himalaya – d’où la référence « Kujten » pour la griffe, du nom d’un des monts de la chaîne de montagne : « C’est la terre du savoir-faire du cachemire. Très peu de pays au monde maîtrisent cet art », souligne Stéphanie Eriksson. La créatrice se rend sur place trois fois par an pour conclure l’achat en direct du produit final. Chaque usine est certifiée et engagée sur le bien-être animal et le respect des peuples nomades. Les fils sélectionnés par Kujten sont de grade A : la meilleure qualité de fil au monde, ce qui confère à la marque le titre d’« expert du cachemire ».
Les usines de fabrication sont situées en Chine et dans une région de l’Himalaya
C’est à Paris, dans le studio créatif, qu’une douzaine de personnes dessinent, imaginent et conceptualisent les modèles : t-shirts, shorts, débardeurs… le choix est large. Leur spécialité : l’imprimé bandana, « indémodable, comme le motif léopard ». Dans ses magasins, la marque consent d’importants investissements et table sur une expérience client haut de gamme. Chaque vendeur suit une formation particulière car « l’accueil en magasin est tout aussi important que le produit lui-même », selon la fondatrice. Pari réussi puisque la majorité du chiffre d’affaires de Kujten est réalisée en boutique. « Tout le monde enterrait le réseau physique ces dernières années, alors qu’au contraire, les femmes ont retrouvé le goût d’aller en boutique, explique Carole Benaroya, surtout après le confinement. L’expérience client, le conseil, le toucher de la matière restent un vrai plaisir pour la consommatrice. »
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Un constat partagé par les grandes marques du secteur, à l’image de Sézane, qui avait fait le pari de la vente en ligne. Malgré une conjoncture économique dégradée, Carole Benaroya se félicite d’une croissance à deux chiffres, jusque-là jamais démentie. Sur l’exercice 2023-2024, Kujten a enregistré 35 % de croissance, pour amener le chiffre d’affaires à 63 millions.
Les raisons de ce succès ? « Je pense qu’on peut l’expliquer par le fait que nos produits sont intemporels : une mère de famille peut s’offrir une belle jupe en cachemire et sait qu’elle pourra la porter d’année en année et qu’elle la léguera plus tard à sa fille. On séduit la femme de 7 à 77 ans. D’ailleurs, les clientes viennent parfois en famille », explique la fondatrice. Autre atout : la sobriété, tout « à l’opposé de marques qui affichent un logo ». Le luxe s’accommodant bien d’une « forme d’humilité ».
« Nous le voyons sur notre site en ligne : notre marque française plaît aux Américains »
Depuis 2012, la marque a ouvert 60 boutiques, dont 45 en France, les autres se répartissant entre l’Angleterre, la Belgique, la Suisse et l’Espagne. Avant les États-Unis ? « C’était notre gros sujet de développement cette année… et cela le reste, même avec l’actualité et les frais de douane. Nous allons seulement revoir certains calculs », assure la dirigeante qui se refuse à écarter la moindre possibilité d’expansion. « Nous le voyons sur notre site en ligne : notre marque française plaît aux Américains. » Carole Benaroya parie sur un retour à la normale « d’ici un an ». L’agilité et la liberté de la société familiale devraient faire le reste.
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