Au risque de vous surprendre, j’ai aimé la semaine qui s’achève. Rome envoie des cartes postales. Le ciel est bleu. Les touristes passent leur chemin. Le rouge et le blanc habillent les princes de l’Église. Ils bénissent le corps de François. Ci-gît Jorge Mario Bergoglio, né le 17 décembre 1936 à Buenos Aires, mort le 21 avril 2025 au Vatican. Je regarde ces images. Elles ont deux mille ans. L’Occident résiste. La chrétienté écrit les livres d’histoire ; elle remplit les albums des familles. Baptêmes, communions, mariages. Chez mes grands-parents, une photo ne quittait jamais le rebord de la cheminée. On y voit un jeune garçon qui pose en veste sombre, culotte courte et cravate claire. Il porte le brassard des communiants, ce large nœud de soie blanche que les enfants nés avant-guerre attachaient au bras gauche. Quel âge-a-t-il ? Dix ans ? Onze ans ? Mon père célébrait sa communion solennelle, comme on disait à l’époque. Il regarde l’objectif et esquisse un sourire. J’écris ces lignes ; la photo en noir et blanc a jauni ; elle est placée sur mon bureau.
L’Église de Rome tient debout depuis la nuit des temps. Il est là, le miracle. Donald Trump sait l’influence du Vatican sur les âmes américaines. Il a annoncé dès lundi sa présence à Rome. « Nous sommes impatients d’y être », a-t-il écrit sur son réseau Truth Social. Plus de 70 millions d’Américains professent leur foi catholique. Trump pense à eux quand il traverse l’Atlantique. Et qui sait s’il n’imagine pas un cardinal américain sur le trône de saint Pierre ? Hypothèse improbable pour les vaticanistes – experts trop souvent désœuvrés – tant l’hostilité à l’Amérique existe au sein du Sacré Collège.
Pape jusqu’au bout
Des dizaines de chefs d’État ont rejoint Rome. Des milliers de fidèles sont arrivés. Lundi, le cardinal camerlingue Kevin Farrell ébranle des milliards d’hommes et de femmes : « Ce matin, à 7 h 35, l’évêque de Rome, François, est retourné à la maison du Père. » Le pape est mort. « Le pope est mart », avait lancé sur les ondes de Radio Luxembourg le journaliste Jacques Alba en juin 1963, quand Jean XXIII avait rendu son dernier souffle. Il avait poursuivi : « Oui, le Sainte-Mère est port. » Les lapsus ne sont jamais innocents. La mort d’un pape affole les neurones.
L’Occident résiste. La chrétienté écrit les livres d’histoire
Il y a huit jours, de la Loggia delle Benedizioni, François apparaît place Saint-Pierre. Il a le teint pâle, le visage glacé. La papamobile circule parmi les fidèles. Un petit tour, un dernier et puis s’en va. Quand le soleil pâlit dans le ciel romain, François rejoint la résidence Sainte-Marthe. Au petit matin, il ferme les yeux. Pour toujours.
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On prête à François Mitterrand ces paroles : « Mort ratée, vie ratée. » François réussit son adieu. Avant de mourir, il fallait achever sa mission, conscient que l’éternité patienterait quelques heures. Célébrer Pâques quoi qu’il advienne. Rappeler sous la croix papale qu’il y a deux mille ans, Jésus est ressuscité. François meurt quand le Christ renaît. Le hasard serait-il l’autre nom de Dieu ? Le hasard est son ombre.
Le pontificat a suscité des éloges ; il a allumé des réticences. La mort de François, ce jour-là, à cette heure-là, sublime le règne. François ne s’agenouille que devant Dieu ; il ne se couche que pour mourir.
Pape des pauvres
Nombre de voix à gauche ont salué le pape François. Qu’il ait choisi Lampedusa, entre la Sicile et la Tunisie, pour son premier voyage de pontificat en juillet 2013, suffisait à placer François dans le camp du bien. Le pape évoqua la « mondialisation de l’indifférence ». Il garda cette ligne au fil des ans. Il dénonça l’égoïsme des uns envers les autres. Il condamna la culture du déchet. François était-il progressiste ? François était catholique. Il prônait l’ouverture, il chérissait la tolérance, il encourageait l’immigration. Hélas ! La doctrine conduit au suicide quand un islam conquérant combat un catholicisme pacifique. Devrions-nous tendre l’autre joue aux islamistes ? François pose cette énigme à nos consciences : comment associer les valeurs chrétiennes à la submersion migratoire ?
Si le christianisme gagne des fidèles en Afrique et en Amérique du Sud, il a paru fragilisé en Occident ces dernières décennies. « Il est la religion de la sortie de la religion », analyse Marcel Gauchet, historien des idées et spécialiste du fait religieux. De fait, le christianisme – il est unique en cela – a créé les conditions de son autocritique. Célibat des prêtres, accueil des migrants, place des homosexuels, fin de vie, avortement sont des sujets que ni François ni aucun catholique n’éludent. Les avis diffèrent selon les paroisses. Mille nuances de chrétienté forgent une religion qui préfère le sur-mesure au prêt-à-porter. « Qui suis-je pour juger ? » devient une règle de vie. Des jeunes gens apprécient ces accommodements avec le dogme. Ils retrouvent le chemin de l’Église. Les catéchumènes sont baptisés durant la veillée pascale. L’espoir renaît.
Élever les âmes
En douze ans de pontificat, jamais le pape François ne prit une journée de vacances. Aux fidèles qui venaient le voir, il demandait : « Peu de mots, s’il vous plaît. Je préfère vous embrasser un à un. » Il abhorrait le carriérisme, la mondanité, le commérage, les plaies de la curie vaticane. Si le style, c’est l’homme, restera de François un pasteur sans protocole, un pontificat sans vanité, un pape sans complaisance. « Il m’a rendu un homme meilleur », disait sur CNews Paolo Celi, ami du Saint-Père et président de l’amitié France Italie.
L’époque réclame spiritualité et transcendance
À l’heure du conclave, le rôle d’un pape, son objectif, son ambassade, son pouvoir interrogent. Rome est le gardien de la doctrine. Le pape n’est pas un commentateur, un observateur, un éditorialiste. Transmettre la foi est sa mission. Le pape élève les âmes. L’époque réclame spiritualité et transcendance. François recommande cette excellence quand il avertit : « La culture du bien-être, qui nous amène à penser à nous-même, nous rend insensible aux cris des autres, nous fait vivre dans des bulles de savon, qui sont belles, mais ne sont rien ; elles sont l’illusion du futile, du provisoire, illusion qui porte à l’indifférence envers les autres. »
François est inhumé dans la basilique Sainte-Marie-Majeure, non dans les grottes du Vatican. « Franciscus » est la seule inscription de la pierre tombale. Le testament du pape résume son être. Ni bilan, ni leçons, ni conseils. Quelques mots pour des funérailles. Qu’elles soient simples. Comme sa vie.
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