Il y a quarante-cinq ans, le Breton d’Yffiniac gagnait en solitaire la doyenne des classiques. Son panache et le froid glacial qui s’abattit sur le peloton ont fait entrer cette édition 1980 dans l’histoire. Quelques mois plus tard, Bernard Hinault décrochait son unique titre de champion du monde, en Haute-Savoie. Cette semaine, il a ressorti le maillot arc-en-ciel pour gravir, à 70 ans, sur un vélo à assistance électrique, la Côte de Domancy (2,5 kilomètres de montée casse-pattes, avec des passages à 15 %), théâtre de ses exploits passés, à la sortie de Sallanches. La petite ville, dominée par le Mont-Blanc, accueillera de nouveau les mondiaux sur route dans deux ans (lire ci-dessous). Avec des réponses concises et franches, le dernier Français vainqueur du Tour (en 1985) se souvient sans nostalgie de cette année 1980 où il remporta aussi son premier Giro.
Le JDD. Pour la première fois depuis 1980, vous avez grimpé à vélo la côte de Domancy. Avez-vous ressenti de l’émotion ?
Bernard Hinault. Non, pas du tout… Il y avait tellement de monde dans cette montée que tu ne te rappelles pas tous les pourcentages. Tu te souviens simplement que tu avais un dérailleur [pour changer de vitesse, NDLR] et qu’il fallait que tu t’en serves parce que c’était difficile.
Lors de l’ultime tour de circuit, vous lâchez dans cette côte l’Italien Gianbattista Baronchelli (double vainqueur du Tour de Lombardie) devant une foule immense…
Même avant, la foule était considérable. Je crois qu’il y avait 40 000 Italiens. En 2027, ça ne va pas être triste non plus. Il faudra mettre de bonnes barrières le long de la route.
La suite après cette publicité
Quarante-cinq ans après, entendez-vous encore les encouragements du public ?
C’était plus un brouhaha parce que ça criait de tous les côtés. Tu es concentré sur la route, sur les gars, tu regardes à droite, à gauche, pour ne pas te faire surprendre. Je n’ai pas retrouvé l’endroit où j’ai largué Baronchelli. La seule chose dont je me suis rappelé, ce sont les deux derniers virages. Je me suis dit : c’est fini, on va descendre maintenant.
En 1980, la course dura 7 h 30 et seuls quinze coureurs rejoignirent l’arrivée. C’était du costaud. Ce sera le cas en 2027 ?
Ce sont les coureurs qui vont décider. Le parcours est quasiment identique. On verra s’il y a de la bagarre. Ce serait pas mal pour comparer les vieux par rapport aux jeunes d’aujourd’hui. (Sourire.)
Avant les Mondiaux de 2027, il y a Liège-Bastogne-Liège dans une semaine. Votre favori, c’est le tenant de titre, Tadej Pogacar ?
Tu ne peux pas faire autrement. Quand on voit son début de saison dans les classiques, tu es obligé de le mettre favori quand même, non ?
Vous pensez qu’il peut gagner toutes les grandes classiques, n’est-ce pas ?
Qu’est-ce qu’il a fait jusqu’à maintenant ?
Il lui manque Paris-Roubaix, qu’il a découvert il y a deux semaines, et Milan-San Remo…
Il ne lui manque pas grand-chose, non ? Il a 26 ans. Il lui reste encore au moins quatre belles années. Il a le temps de les gagner.
À 32 ans, Julian Alaphilippe, qui a déjà fait deuxième de Liège-Bastogne-Liège (en 2015 et 2021), peut-il revenir à son meilleur niveau ?
Pour l’instant, il est présent, il se bat, il essaye, mais il n’a pas les résultats escomptés. Il a aussi donné un coup de main à ses coéquipiers. Il est peut-être devenu un capitaine de route pour les jeunes de son équipe.
« Il y a la victoire au bout, donc tu y vas »
Il y a quarante-cinq ans, vous remportiez la doyenne des classiques dans des conditions hivernales…
Quand tu es échappé devant, tout seul, tu ne vas pas dire : « Je vais arrêter parce que j’ai mal. » Il y a la victoire au bout, donc tu y vas.
Pourtant, à un moment, n’aviez-vous pas envisagé de mettre pied à terre ?
C’est quand on est arrivé au ravitaillement, il me restait un équipier, Maurice Le Guilloux. Je lui ai dit : « P…, si jamais il continue à neiger, Guimard ira se faire voir. » Et puis, il ne neige plus. Cyrille Guimard [son directeur sportif] me dit : « Enlève l’imper. » Je lui réponds : « T’es con, il fait froid. » Il insiste. J’ai enlevé l’imper. Comme j’ai eu froid, j’ai attaqué pour me réchauffer !
Vous avez même mis de l’huile sur les jambes, craquelées par le froid…
Oui, mais de l’huile de voiture. Il n’y avait que ça. Allez hop, un petit coup sur les genoux. Il fallait que ça graisse !
Après la victoire, vous avez souffert d’engelures et deux doigts en portent encore les stigmates…
(Il montre sa main droite.) Ils sont hypersensibles. Mais bon, je n’étais pas obligé. J’aurais pu faire comme tous les autres, abandonner. Je ne me plains pas.
Source : Lire Plus





