Le JDD. Comment qualifiez l’offensive commerciale de Donald Trump sur les droits de douane ?
Marc Touati. C’est une stratégie déconcertante. À l’origine, il était cohérent de coupler hausses de droits de douane et baisse d’impôts pour rapatrier certaines entreprises américaines installées à l’étranger et inciter les entreprises étrangères à s’installer aux États-Unis. Mais deux éléments m’ont paru choquant dans un deuxième temps. D’abord un quasi-délit d’initié lorsque quelques heures avant de suspendre les droits de douane, il a annoncé sur son réseau social, « c’est le moment d’acheter ». Jouer avec les marchés boursiers ce n’est pas le rôle d’un président et c’est dangereux. Deuxième élément troublant, sa volonté de faire baisser le dollar. À court terme cela peut soutenir les exportations, mais à moyen terme cela met en danger les États-Unis en incitant les investisseurs à réduire leurs achats en dollars. Il faut bien comprendre que ce qui fait la force de ce pays depuis des décennies, c’est le fait que le dollar est la réserve de change mondiale et qu’il permet ainsi de financer sa dette publique sans aucune difficulté.
L’Europe est-elle en mesure de gagner ce bras de fer avec Trump ?
Non, le match est déjà perdu pour nous. Sur les 30 dernières années, le PIB américain a augmenté de 110 %, hors inflation, alors que sur la même période, en France, il n’a progressé que de 55 %, et dans la zone euro de 53 %. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs les Américains peuvent se permettre de prendre le risque d’un bras de fer aussi radical. Ils sont indépendants énergétiquement, ce qui n’est pas notre cas, et ils bénéficient d’une croissance structurelle qui bien supérieure à la nôtre.
Quels risques court notre économie ?
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Il y a trois grands risques. Le premier est déjà en cours, c’est le ralentissement du commerce mondial couplé à une désorganisation des processus de production. Aujourd’hui, la plupart des produits sont fabriqués avec des composantes qui viennent du monde entier. Le ralentissement des échanges diminue mécaniquement la production et donc la croissance mondiale. Deuxième risque pour les Européens : des obstacles à l’exportation. Or notre continent est excédentaire, notamment vis-à-vis des États-Unis. Donc, ceux qui ont le plus à perdre dans l’augmentation des droits de douane, ce sont les Européens, pas les Américains qui ont quasiment 1 000 milliards de dollars de déficit commercial sur douze mois. Troisième risque : l’inflation du fait de la désorganisation de la production qui va nous coûter plus cher à payer. Ajoutons à cela le risque de voir le géant chinois inonder nos marchés, on le mesure déjà sur le marché automobile mondial et notamment européen. Conséquence directe : l’entrée en récession. Les Américains, parlent de 3 % de croissance, vous enlevez un point, il en reste encore deux. Nous sommes autour de 0,5, vous nous enlevez un point, on est à -0,5. est un petit peu dramatique, c’est que le coût relatif est plus élevé pour nous que pour les Américains.
« Nous sommes incapables de produire de la croissance »
Comment vous interprétez la sortie de Bernard Arnault qui met la pression sur Bruxelles en disant : si vous n’arrivez pas à nous sortir de cette panade, je produirai davantage aux États-Unis ?
Ce n’est pas une charge, c’est du réalisme, voire du pragmatisme. Cela fait trente ans que nous sommes incapables de produire de la croissance. C’était pourtant la raison d’être de la zone euro. Elle a fait exactement l’inverse. L’Europe a été très forte pour produire des règles, se montrer rigoureuse sur certaines réglementations, inventive pour créer des frais administratifs… Mais tout cela ne fait pas de croissance, mais plombe plutôt l’activité économique.
Le drame supplémentaire, pour nous Français, c’est qu’alors que tous les pays du monde baissent les impôts, y compris nos voisins européens, nous continuons de les augmenter. Cela confine au suicide. On comprend très bien compte tenu de cette situation : hausse des droits de douane et hausse des impôts, Bernard Arnault envisage de produire davantage aux États-Unis qui est un marché incontournable.
François Bayrou a annoncé que tout le monde devrait faire des efforts pour réduire le déficit. Il a raison ?
Il faut arrêter de demander aux Français de se serrer la ceinture. Cela fait trente ans, au moins, qu’on leur demande des efforts. Aujourd’hui, ce qui pose problème, ce ne sont pas les Français, ce sont les dépenses publiques et plus précisément la puissance publique qui, elle, ne se serre pas assez la ceinture. Les chiffres de l’Insee sont sans appel : depuis 2021, Les dépenses de fonctionnement ont augmenté de 97 milliards d’euros. C’est-à-dire une augmentation de quasiment 22 %, alors que sur la même période, les dépenses sociales ont augmenté de 11,5 %. C’est du simple au double. Voilà le problème. Quand une entreprise va mal, quand un ménage va mal, même quand un État va mal dans le monde, qu’est-ce qu’il fait ? Il s’attaque prioritairement à réduire les dépenses de fonctionnement. On va réduire les notes de frais, on va aller moins au restaurant, les États vont réduire certaines dépenses, etc. Tout le monde fait ça dans le monde, sauf l’État français qui, lui, augmente ses dépenses de fonctionnement plus rapidement que les autres dépenses publiques. C’est complètement fou.
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