La vidéo a été très largement partagée sur les réseaux sociaux. On y voit une longue file d’attente de femmes, sous la pluie, presque toutes revêtues d’un hidjab. Elles sont venues découvrir, fin mars, la dernière collection de prêt-à-porter de Nada Merrachi, nouvelle icône proclamée de la « mode pudique » qui impose aux fidèles de couvrir leur awra, terme désignant dans l’islam les différentes parties du corps à ne pas montrer. La scène se passe fin mars dans une rue pavée du quartier parisien du Marais. La boutique éphémère de la jeune femme néerlandaise d’origine marocaine s’y est installée pendant le ramadan.
Quelques jours plus tôt, un compte promotionnel de la marque a publié une vidéo annonçant son avènement. L’animation, cumulant 3,8 millions de vues, affiche la tour Eiffel drapée d’un voile islamique. Avec ce message provocant : « Le gouvernement français déteste voir Merrachi arriver. » Et ce commentaire : « Tu te souviens quand ils ont interdit le hidjab ? » Derrière ces mots, les observateurs avertis ont vu la manifestation du double discours frériste qui place le débat sous l’angle de la liberté individuelle et le droit de la femme à s’habiller comme bon lui semble, sous couvert d’imposer en réalité l’observation des règles vestimentaires dictées par l’islam.
Codes vestimentaires
Depuis plusieurs mois, le diplomate Pascal Gouyette et le préfet François Courtade se sont penchés sur l’organisation des Frères musulmans. Leur objectif ? Étendre la Dar al-Islam, la terre de l’islam, à travers le monde et imposer à terme la charia en France, selon le renseignement français. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, entend déclassifier leur rapport afin de créer un électrochoc dans la société. Pour tenter de cartographier les lieux d’implantation de cette organisation sur le territoire national, la place Beauvau leur a ouvert ses archives ainsi que les précieuses notes des services. Des listes de mosquées, d’écoles coraniques, de clubs de sport, d’avocats ou encore d’influenceurs proches des Frères musulmans ont été établies. Les analystes ont aussi exploré les phénomènes immatériels : entrisme à l’université, au sein des organisations professionnelles, en politique, dans la culture ou encore l’art.
La mode ne fait pas exception et apparaît comme un levier puissant de la banalisation des normes islamiques. Lors de la dernière décennie, les tenues fondamentalistes étaient essentiellement portées par une minorité de pratiquants rigoristes. Mais leur visibilité s’est largement développée dans l’espace public après le Printemps arabe et l’expansion de l’organisation frériste. « Le port du vêtement religieux tend à devenir la norme pour les femmes musulmanes et plus particulièrement chez les jeunes filles », constate le renseignement territorial dans une de ses nombreuses notes consacrées à ce sujet.
La pudeur, « un choix à la mode »
Les spécialistes de la captation des signaux faibles ont dressé une typologie assez précise des influenceuses islamistes et entrepreneuses musulmanes actives sur les réseaux sociaux qui « travaillent à la redéfinition des codes vestimentaires dans le respect d’une lecture rigoriste de l’islam ». D’abord, les « sœurs ». Proches des thèses fondamentalistes, elles se masquent intégralement le visage sur les réseaux sociaux. Surtout, elles revendiquent une pudeur poussée à l’extrême et « se placent dans une position de supériorité morale face au cadre législatif français qui interdit, par exemple, de paraître dans l’espace public avec le visage dissimulé », écrit le renseignement territorial dans une note que le JDNews a consultée.
La suite après cette publicité
D’autres, « les influenceuses rigoristes », prosélytes « adoptent les codes vestimentaires rigoristes » tout en faisant « prospérer leur commerce, en proposant des produits souvent bon marché » lors de ventes en ligne. Enfin, les « hidjabistas » mêlent l’esthétique orientaliste aux codes de l’industrie du luxe. Plutôt haut de gamme, leurs produits entendent célébrer le « beau ». En clair, à travers elles, les jeunes musulmanes démocratisent à grande échelle les signes extérieurs d’adhésion à l’islam fondamentaliste.
La mode apparaît comme un levier puissant de banalisation des normes islamiques
Le phénomène est soutenu par un marché en pleine croissance. Selon le Data Bridge Market Research, un cabinet d’études et de conseil, le marché mondial des vêtements islamiques était estimé, en 2023, à 76 milliards d’euros, avec une prévision à 118 milliards d’euros en 2031, soit une croissance annuelle de 5,7 %. Parmi les raisons de cette expansion, le cabinet avance un « changement notable dans l’industrie de la mode, qui tend à faire prendre conscience et accepter la mode pudique, non seulement parmi les consommateurs musulmans, mais aussi parmi les non-musulmans. […] La pudeur est de plus en plus considérée comme un choix à la mode et inclusif pour tous, ce qui stimule la croissance du marché », écrivent les analystes.
« Depuis deux ans, l’Aïd est devenu une fête de la mode, un événement au même titre que peut l’être Noël ou le Nouvel An chinois », témoigne un créateur parisien qui travaille pour plusieurs maisons de haute couture. Mais pas question aujourd’hui de détourner ostensiblement les signes religieux que sont le voile, l’abaya ou le hidjab. « Quand la création aborde la question de la nudité, les designers ont recours à des vêtements de couleur chair au niveau des bras et des jambes », remarque-il. Bien loin de la collection Between du styliste turc Hussein Chalayan qui, en 1998, avait présenté 6 modèles de burka, le plus long couvrant l’intégralité du corps, le plus court la bouche, laissant le mannequin dénudé. Pour sa mise en la lumière de la condition des femmes musulmanes, il recevait le prix du designer britannique de l’année.
Source : Lire Plus