JDNews. La Fondation Jérôme Lejeune est aujourd’hui en première ligne dans la lutte contre l’euthanasie. Pourquoi vous être lancé dans ce combat ?
Jean-Marie Le Méné. Pour deux raisons simples : la première remonte à un appel, celui du père de Vincent Lambert, grand handicapé, mort en 2019, après qu’on a décidé d’arrêter ses soins et son alimentation, alors qu’il ne souffrait pas et n’était pas en fin de vie. Nous nous sommes battus, aux côtés de sa famille jusqu’au bout. Quand il est décédé, ça a marqué un tournant.
La deuxième raison est liée à notre patientèle : à la Fondation, nous comptons 13 000 patients, de tous âges, porteurs d’un déficit mental. Le vieillissement du handicap, dû à l’allongement récent de l’espérance de vie des personnes handicapées et des progrès de la médecine, est encore trop méconnu. Face à une possible légalisation de l’euthanasie, parents et soignants sont nombreux à nous confesser leur crainte qu’à terme, l’euthanasie soit proposée comme solution aux personnes porteuses de handicap.
Dans la proposition de loi d’Olivier Falorni, l’euthanasie serait réservée exclusivement à des patients dotés d’un discernement total et d’une volonté libre et éclairée jusqu’au dernier moment. Les personnes porteuses de handicap mental ne rentrent pas pour la plupart dans cette catégorie. Pourquoi pensez-vous qu’elles sont menacées directement ?
D’abord parce que les signaux sont alarmants : nous avions suggéré un amendement pour exclure définitivement les personnes porteuses de handicap mental de la proposition de loi. Il a été rejeté. Or, dans le cas des personnes ayant une déficience mentale, leurs difficultés d’expression, de compréhension, leur dépendance affective, rendent possibles les abus de faiblesse. Ils seraient parmi les premiers à être victimes d’une pression sociale.
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« L’exemple de la PMA est inquiétant »
Prenez le Canada : le mois dernier, le comité des droits des personnes handicapées de l’Onu s’est dit « extrêmement préoccupé » par la situation canadienne, pays dans lequel l’euthanasie est désormais permise pour les personnes porteuses d’un handicap mental.
Mais craignez-vous que ces dérives arrivent en France ?
Si vous observez la trajectoire des lois sociétales depuis trente ans, le schéma est le même : elles finissent toujours par légaliser ce qui était illégal la veille. Les garanties ne sont que des cosmétiques. C’est un simple accompagnement pour que les gens, les parlementaires surtout, ne soient pas effrayés. Une fois qu’on a accepté la transgression première, il n’y a plus de véritables dérives.
Prenez l’exemple de la procréation médicalement assistée (PMA) : réservée à l’origine aux couples qui apportaient la preuve d’une stérilité médicalement constatée, elle est aujourd’hui ouverte à tous.
Que proposez-vous comme alternative à l’euthanasie ?
Je constate un paradoxe majeur : on veut arrêter la vie à une époque où la médecine n’a jamais eu autant de moyens de contrer la douleur. Même en cas de souffrances réfractaires, la médecine est capable d’apaiser, par la sédation profonde par exemple. Grâce aux soins palliatifs, il y a une prise en charge de la personne qui contribue à améliorer les conditions de la fin de vie de manière remarquable. Quand une personne est entourée, qu’elle peut encore aimer et être aimée, elle veut moins mourir de manière accélérée et abrupte.
Si cette loi sur la fin de vie passe, cela risque d’acter la destruction du métier de soignant, puisque leur lien de confiance avec les patients sera détruit. Il y a une forme de brutalité dans l’euthanasie. Naître prend du temps, mourir aussi, mais on l’oublie trop. Si on montrait qu’une mort peut être sereine, même lente, si on disait simplement « on s’occupe de vous, vous n’allez pas souffrir », les gens auraient sans doute moins peur de partir.
Avec la Fondation Lejeune, vous êtes engagé depuis trente ans dans tous les combats sociétaux. Quel lien établissez-vous entre eux ?
Nous sommes dans une société eugénique, portée par des valeurs comme le progrès de l’être humain, l’autonomie et la liberté totale. La médecine fait des progrès formidables, mais elle est aussi l’objet d’une instrumentalisation par la technique qui la dénature.
Le problème, c’est que cette société tend à terme vers l’élimination des plus faibles et des plus fragiles. L’idée générale, c’est « je suis l’architecte de moi-même ». Ce sont des valeurs révolutionnaires, progressistes et laïques, très portées par la gauche. À droite et au centre, en revanche, les politiques ne donnent plus de consigne de vote sur ces sujets.
Ces batailles n’ont pas empêché les dernières lois sociétales de passer, malgré des mobilisations importantes. Comment expliquer ces défaites ?
Nous arrivons au bout d’un système. Aujourd’hui, la société adopte une attitude extrêmement libérale sur toutes les questions morales. C’est aussi lié partiellement à une perte de certaines valeurs chrétiennes. Mais il existe encore une marge avec l’euthanasie, notamment parce qu’une grande partie du corps médical est résolument contre.
Quel est le sens de votre combat aujourd’hui ?
L’Institut Jérôme Lejeune reste un partenaire crucial du monde de la santé. Sur les évolutions bioéthiques, nous avons la meilleure expertise en France depuis trente ans. Nous sommes l’un des derniers bastions qui résiste sur les sujets dont personne ne veut parler, et surtout, nous constatons un impact direct sur les patients et leurs familles. Nous avons encore un rôle à jouer !
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