L’histoire se répète et les journalistes qui ont le nez dessus répètent leurs erreurs. Cette semaine marque un triple anniversaire. Liban, Cambodge, Haïti : le début de la descente aux enfers de trois pays qui aiment la France d’un amour sans espoir et qu’elle n’a pas sauvés du malheur. Au contraire, elle les y a précipités par son aveuglement.
Le 19 avril 1975, les Khmers rouges entrent dans Phnom Penh. Lâché par les Américains déstabilisés par le scandale du Watergate, le gouvernement du général Lon Nol dépose les armes. L’Angkar prend la place. Ce communisme primitif va faire 1 à 2 millions de morts à coups de gourdins, par asphyxie avec des sacs en plastique, par la faim, la maladie, la torture. C’est le début d’un génocide. La presse parisienne n’a aucun reporter sur place. Mais Le Monde écrit : « La ville est libérée […] L’enthousiasme populaire est évident. » Libération titre « Le drapeau de la résistance flotte sur Phnom Penh ». Et le journal poursuit : « La protection des civils est apparue comme la préoccupation principale des forces de libération […] Le bain de sang annoncé ne s’est pas produit. » Annoncé par qui ? Par ceux qui discernent dans le maoïsme un totalitarisme. Qui n’ont pas d’œillères idéologiques et connaissent l’Asie.
Les opposants en exil à Paris n’intéressent toujours pas la presse progressiste
Cinquante ans après, Hun Sen, ancien responsable khmer rouge, est toujours à la tête du parti unique. Record mondial de longévité. Son fils aîné est Premier ministre. Son cadet vice-Premier ministre. Le benjamin, chef des services secrets. Les opposants en exil à Paris n’intéressent toujours pas la presse progressiste.
Notre tendre mère
Autre nation incapable de se relever et dont on détourne les yeux, le Liban. Le 13 avril 1975, une fusillade déclenche la guerre civile. S’est-elle jamais terminée ? La Suisse du Moyen-Orient devient le champ clos des affrontements entre puissances régionales, le laboratoire inventif de tous les terrorismes. Et le terrain d’apprentissage de plusieurs générations de reporters. Les confrères français ont une faiblesse coupable pour ceux qu’ils appellent les « Palestino-progressistes ».
L’OLP, le FPLP, le FDLP et leurs alliés des milices sunnites, druzes, chiites. Le maronite est suspect, toujours. Sa ressemblance avec le Français moyen est le ressort du mépris dont on l’accable. Il parle français et reste le principal vecteur de la francophonie dans la région. Il souscrit aussi à l’idéal de laïcité car il se sait minoritaire au milieu d’un Moyen-Orient en voie de réislamisation rapide. Mais ce chrétien libanais qui soupire après « notre tendre mère la France » aura vu passer une kyrielle de ministres en quête de gloriole, toujours prêts à donner des gages aux islamistes, aux corrompus du sérail, aux capitales voisines, au nom d’une politique arabe évanescente. Sûrs de se faire applaudir par la presse parisienne.
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La rançon du malheur haïtien
Le pire anniversaire a 200 ans. Le 17 avril 1825, le gouvernement du roi Charles X solde l’indépendance d’Haïti. Il impose à la « première république noire » un dédommagement de 150 millions de francs-or, l’équivalent de 525 millions d’euros. À régler en cinq traites annuelles, obligeant l’ancienne colonie à emprunter aux banques françaises. Par la spirale de l’endettement, la rançon payée pendant un siècle équivaut au minimum à 20 milliards d’euros ! Autant d’argent jamais investi sur place. Ce qui explique en partie qu’Haïti soit aujourd’hui le pays le plus corrompu, le plus misérable et le plus failli de l’hémisphère nord.
Plutôt que battre sa coulpe en repentance stérile, il y a une leçon à tirer de ces trois anniversaires. Elle est implacable : l’aveuglement idéologique, la faiblesse de l’État et la dette se paient toujours. Les pays qui descendent aux enfers n’en sortent plus.
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