LE JDD. Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre sur l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ?
Claude Ardid. J’ai écrit un livre sur la brigade des mineurs, et j’y ai souvent rencontré des gamins qui venaient de foyers d’accueil de l’ASE, agresseurs ou victimes… Et puis, au fil de mes dédicaces, ce sont une, deux, trois, vingt personnes qui sont venues me parler de l’ASE, du manque de budget, de vocations, des drames qui s’y nouent et des motivations qui s’y effritent… Puis, un jour, j’ai entendu parler de la mort de Malakaï, un petit garçon suivi depuis l’âge de 3 ans, mort sous les coups de son beau-père… Les signalements s’additionnaient, les éducateurs s’enchaînaient, le juge a évité le placement en comptant sur une mère elle-même martyrisée… J’ai voulu comprendre, d’autant que j’ai réalisé très vite que d’autres enfants vivaient le même drame.
Est-il possible de dresser un portrait de ces enfants abandonnés de tous ?
Souvent des enfants cabossés, harcelés, battus, maltraités ou souffrant tout simplement d’une absence d’affection élémentaire… Certains sont eux-mêmes les enfants d’anciens gamins de l’ASE. Il y a urgence à briser cette spirale. Ces gamins sont censés être protégés et ils n’ont plus aucun repère. On finit par voir une gamine se prostituer en répondant à sa mère que c’est toujours mieux que de se faire taper dessus… Ce relativisme a de quoi glacer le sang.
Votre livre retrace de nombreuses enfances martyres, de la prostitution aux coups en passant par la maltraitance et le suicide…
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La société doit s’en préoccuper, car ces enfants sont une partie significative de son avenir, ils sont presque un demi-million ! Je ne voulais pas rester dans les chiffres, les statistiques et les rapports…
Justement, un rapport parlementaire alarmant a encore été publié lundi dernier, qui appelle à un sursaut urgent. Comment l’avez-vous accueilli ?
Je m’attarde sur le cas de Marina, morte à 9 ans après avoir été martyrisée par ses parents pendant des années. Elle aussi était accompagnée par l’ASE, mais ses parents déménageaient d’un département à l’autre et le suivi n’était pas assuré. Là encore, il y a le témoignage des éducateurs, les rapports de la gendarmerie ; des signalements de voisins, de profs… Tout le monde a dit : plus jamais ça. Comme toujours… Je crains que ce rapport finisse comme les autres. Parce que, trois ans après la mort de Marina, un rapport faisait aussi de nombreuses préconisations… Depuis, d’autres sont morts.
« Les éducatrices sont débordées par le nombre d’enfants, le manque de moyens…»
Vous racontez aussi, dans votre livre, le dévouement sans limite de certains éducateurs, parents, psys, juges, avocats…
J’ai vu des éducatrices fondre en larmes en évoquant le suicide d’une petite prise entre les griffes d’un proxénète dont elle était tombée amoureuse, des psys continuer leurs auditions au beau milieu de la nuit sans même être payés, des juges défier les centaines de dossiers accumulés, des avocats se battre, des mères désespérer de réussir à sauver leurs enfants placés… La France regorge de bonnes volontés, mais elles sont débordées par le nombre d’enfants, le manque de moyens… Et les vocations se tarissent alors que les placements augmentent !
Quelle est la conséquence de cela ?
Le recrutement d’intérimaires qui coûtent beaucoup plus cher, qui changent sans cesse et ne peuvent suivre correctement des enfants déjà très fragilisés… J’ai vu, dans une pouponnière, où l’on s’occupe des enfants de 0 à 12 mois, des puéricultrices manquantes être remplacées par des femmes de ménage. Ce n’est pas méprisant de reconnaître que ce sont là deux métiers vraiment différents…
Vous décrivez également dans votre livre une fuite des responsabilités assez incroyable…
Au procès de Châteauroux, pendant lequel d’anciens enfants placés défilaient à la barre pour raconter les sévices subis dans des familles d’accueil non homologuées, recrutées par un homme condamné pour pédophilie, nous avons tous cherché l’ASE sur les bancs du tribunal. Personne. Ces enfants souffrent le martyre et personne n’est responsable, ni dans l’ASE ni dans les conseils départementaux. Nulle part. À l’inverse, on continue, on demande toujours plus l’impossible, avec des foyers, des centres, des hébergements et des éducateurs totalement dépassés… Et on ajoute les mineurs non accompagnés qui sont de plus en plus nombreux…
Vous allez même plus loindans le livre, puisque beaucoup vous parlent d’omerta…
J’ai passé mon temps à étudier des affaires dans lesquelles « on » savait ce qu’il se passait. Mais personne ne parle, tout le monde a peur. On réduit ces drames à des faits divers. Ce fatalisme fait partie de l’irresponsabilité.
Vous évoquez aussi le sujet de la prostitution des mineurs dans les foyers, auquel vous consacrez par ailleurs un ouvrage à part entière…
C’est monstrueux. Les chiffres augmentent à une vitesse terrifiante. Je suis récemment passé à la brigade Proxo, et ils m’ont précisé que les dossiers de prostitution qui concernent des mineurs représentent désormais deux tiers de leurs affaires.
Comment votre livre a-t-ilété accueilli par ceux que vous avez rencontrés ?
Beaucoup m’ont remercié, me précisant toutefois que j’étais encore loin de la réalité…
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