L’essentiel
- Agathe, 28 ans, est portée disparue depuis quatre jours. Cette jeune femme de 28 ans était partie faire de la course à pied dans la Vienne jeudi dernier. Elle n’est jamais rentrée. Le parquet de Poitiers a ouvert ce lundi une information judiciaire contre X pour « enlèvement et séquestration ».
- Onze joggeuses ont été tuées en France, entre 2005 et 2017. Des faits qui ont souvent eu lieu dans des zones isolées.
- « Une femme qui part faire son jogging dans un milieu rural sera une proie plus facile. Cela va rendre moins difficile le passage à l’acte de l’auteur », analyse Mickaël Morlet-Rivelli, psychologue et expert judiciaire.
Une disparition aussi mystérieuse qu’inquiétante. Agathe, 28 ans, s’est volatilisée il y a désormais quatre jours. Les gendarmes tentent toujours ce lundi soir de retrouver la trace de la jeune femme qui était partie courir jeudi matin dans les environs de Vivone, une commune de la Vienne située à une vingtaine de kilomètres au sud de Poitiers. Suicide, disparition volontaire, accident ou mauvaise rencontre… Si les enquêteurs ne privilégient aucune piste, celle impliquant l’intervention d’un tiers semble, le temps passant, de moins en moins exclue. Il faut dire que, dans le passé, d’autres joggeuses ont été victimes d’agressions, voire de meurtres. Entre 2005 et 2017, onze d’entre elles ont été tuées.
Le mobile peut être crapuleux. En juin 2005, Nelly Crémel, 49 ans, est tuée par deux hommes qui lui ont volé ses bijoux, sa montre et son baladeur. Mais dans l’immense majorité des cas, les auteurs s’attaquent à ces femmes pour les agresser sexuellement ou les violer avant de les tuer. C’est le cas pour Martine Jung, 49 ans, dont le corps a été découvert en août 2007 dans le Bas-Rhin. Pour Marie-Christine Hodeau, 42 ans, étranglée après avoir été abusée par Manuel Da Cruz en septembre 2009 à Milly-la-Forêt, dans l’Essonne. Ou de Catherine Gardère, 51 ans, battue à mort puis violée par Jérémy Tiberghien en octobre 2014 en Charente-Maritime.
De nombreuses « situations problématiques »
Ces affaires ont, à l’époque, fait la une de la presse et suscité une vague d’émotions dans un pays qui compte environ 12 millions d’adeptes de la course à pied. Parmi eux, 4 millions de femmes qui courent très régulièrement. « Il y a un phénomène d’identification. C’est plus facile de se projeter à travers un processus identificatoire dans une activité proche de celle que l’on pratique. Plus l’environnement est ressemblant, plus on développe une empathie assez spontanée au sort de la victime », explique Mickaël Morlet-Rivelli, psychologue et expert judiciaire.
Les affaires qui finissent tragiquement restent rares. Mais comme l’a montré une enquête très fouillée du journal L’Equipe, les agressions subies par des joggeuses sont très fréquentes. Selon une étude réalisée par l’Union Sport & Cycle publiée le 11 avril dernier et révélée par France Info, 15 % des femmes qui font de la course à pied se sentent « vulnérables ». Un chiffre qui monte à 27 % chez les 18-24 ans. 56 % des joggeuses interrogées ont été confrontées à des situations problématiques, comme des regards ou des remarques sexistes. Plus grave, 17 % d’entre elles déclarent avoir déjà été suivies, 7 % avoir été victimes de gestes déplacés, et 3 % de menaces ou d’agressions.
« Une proie plus facile »
Le phénomène ne concerne pas que la France. Un autre sondage, réalisé en mars 2023 dans neuf pays pour Adidas, révèle que 92 % des femmes ne se sentent pas en sécurité lorsqu’elles font leur jogging. 51 % des coureuses interrogées redoutent une agression physique et 38 % d’entre elles ont déjà été victimes de harcèlement physique ou verbal.
Comment expliquer que ces femmes soient particulièrement ciblées par des agresseurs lorsqu’elles pratiquent cette activité physique ? « Etre une femme est un facteur de vulnérabilité. Etre seule et se trouver dans un environnement social qui n’est pas développé – des champs, une forêt – aussi, car il y a moins de monde pour porter secours. Une femme qui part faire son jogging dans un milieu rural sera donc une proie plus facile. Cela va rendre moins difficile le passage à l’acte de l’auteur », analyse Mickaël Morlet-Rivelli.
Stratégies d’évitement
Le choix de s’attaquer à des joggeuses « ne dit rien de l’auteur car en matière de violences sexuelles, il n’y a pas de profil type », poursuit cet expert. L’agresseur « peut être n’importe qui. Il profite d’une opportunité, créée par la vulnérabilité de la victime qui est isolée et qui est associée à des moyens de défense ou d’alerte bien plus réduits que si elle était en milieu urbain. Un passage à l’acte, c’est un comportement opportun. C’est la combinaison d’un ensemble de facteurs conjugués dans un même espace-temps », souligne-t-il.
Confrontées à ce climat d’insécurité croissant, une part importante des joggeuses adoptent des « stratégies d’évitement », notent les auteurs de l’étude réalisée par l’Union Sport & Cycle. 57 % des femmes interrogées déclarent adapter leur parcours, 53 % évitent de courir à des heures tardives, 52 % préviennent un proche, 35 % utilisent une application de géolocalisation, 30 % changent régulièrement de parcours. Pour se rassurer, elles sont aussi de plus en plus nombreuses à exercer leur activité physique en groupe. Une démarche plus facile à réaliser en ville, où les pratiquantes et les associations sont nombreuses, qu’à la campagne.