«Tout mandat présidentiel français commence à Alger et finit à Rabat. » Cette formule, bien connue au Quai d’Orsay, résume l’impossibilité chronique pour la France d’entretenir des relations équilibrées avec les deux pays. Les dirigeants politiques sont donc contraints, tôt ou tard, de choisir leur camp. « Le moindre rapprochement avec l’un des deux engendre automatiquement un éloignement avec l’autre », résume un diplomate français au JDD.
Chez les héritiers de Jean Jaurès comme de Jean-Paul Sartre, il subsiste une loyauté affective envers l’Algérie. Celle des combats anticolonialistes, des réseaux de soutien clandestins au FLN, des plaies encore béantes de la guerre d’indépendance. Depuis 1954, la position de la gauche française est restée globalement inchangée. Récemment encore, la députée insoumise Rima Hassan qualifiait l’Algérie de « Mecque des révolutionnaires et des libertés ». Une vision nourrie par des figures tutélaires – Benjamin Stora, Frantz Fanon, Kateb Yacine – et reprise par une partie de l’intelligentsia de gauche.
À cela s’ajoute un facteur incontournable : la diaspora. Avec la stratégie électorale incarnée par Terra Nova, la gauche s’est peu à peu alignée sur une vision algérienne du monde. Un paternalisme inversé, fondé sur l’idée que la France doit « réparer » son passé colonial en intégrant mieux les enfants de l’immigration. Jean-Luc Mélenchon en est sans doute l’exemple le plus emblématique.
Macron, d’Alger à Rabat
Même à l’Élysée, cette inclination ne s’est pas démentie. François Hollande a multiplié les gestes envers Alger, reconnaissant les « souffrances » de la colonisation, le massacre de Sétif, ou encore l’usage de la torture – une première pour un président français. Résultat : ses relations avec le Maroc se sont dégradées, jusqu’au gel quasi total des échanges diplomatiques. Ce scénario n’est pas du goût de son ancien conseiller Gaspard Gantzer, qui nuance : « La droite a de mauvaises relations avec l’Algérie et de bonnes relations avec le Maroc, alors que la gauche cherche à maintenir des relations équilibrées entre les deux pays. »
« La gauche a l’Algérie dans le sang, la droite a le Maroc dans la poche »
La présidence d’Emmanuel Macron incarne à elle seule l’incompatibilité de ces deux relations. Issu du Parti socialiste, il déclarait en 2017 : « La colonisation est un crime contre l’humanité. » Une sortie saluée à Alger, perçue comme le fruit d’un long travail d’influence du régime algérien auprès de la gauche française. Mais la réaction de Rabat fut immédiate. « Il s’est rapidement brouillé avec le Maroc, et l’affaire Pegasus en 2018 a été le point de rupture », analyse l’ancien ambassadeur Xavier Driencourt.
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Depuis, les lignes ont bougé. Sur le plan intérieur, Macron a durci son discours pour séduire un électorat plus conservateur. Sa diplomatie a suivi : reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, bras de fer ouvert avec Alger sur les expulsions d’étrangers en situation irrégulière. « La gauche a l’Algérie dans le sang, la droite a le Maroc dans la poche », résume un diplomate. Et Macron, en pragmatique, a tranché selon l’air du temps.
Un tropisme marocain assumé
L’absence de guerre d’indépendance avec la France facilite les relations avec le Maroc, mais ne suffit pas à expliquer cette convergence. Pour la droite française, les Marocains incarnent un peuple respectueux de l’ordre, de l’autorité et des valeurs traditionnelles portées par la monarchie. Un modèle que certains imaginent transposable aux quartiers populaires en France.
Surtout, le Maroc a su cultiver une image de stabilité. Un partenaire fiable dans la lutte antiterroriste, un État fort, un marché en croissance pour les grandes entreprises. « Le royaume a mené une politique habile et ouverte auprès des élus de droite », insiste Xavier Driencourt. Chirac, Sarkozy, et bien d’autres ont été reçus en grande pompe à Rabat, que ce soit pour des visites officielles ou des séjours plus privés. Depuis sa défaite en 2012, la droite a recentré sa politique migratoire sur l’Algérie, au prix d’un dialogue souvent conflictuel.
La diplomatie française continue de s’écrire à l’encre postcoloniale
Les trente dernières années ont ainsi vu la droite française raffermir son lien avec le Maroc, tandis que la gauche continuait de regarder Alger avec des yeux embués de mémoire. Par-delà la Méditerranée, la France continue de voir ses anciennes colonies à travers les prismes de ses propres divisions : à gauche, l’Algérie, bastion de la résistance anticoloniale ; à droite, le Maroc, monarchie stable et partenaire stratégique. Entre nostalgie et intérêts géopolitiques, la diplomatie française continue de s’écrire à l’encre postcoloniale — avec, en filigrane, de très contemporaines lignes de fracture nationales.
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