Le portail grince à peine. À peine le pied posé sur le bitume de la prison de Toulon, Gérald Darmanin lève les yeux : la façade porte encore les stigmates de l’attaque. Quinze impacts de kalachnikov, dont l’un a transpercé la première porte de sécurité pour venir heurter la vitre de la salle de garde. À l’intérieur, l’agente de permanence est encore sous le choc. « C’était interminable », souffle-t-elle, les traits tirés, la voix encore vacillante.
Quelques heures plus tôt, un pressentiment l’a sauvée. Elle observe, intriguée, une voiture qui rôde lentement dans la rue. Elle note la plaque. Quelques secondes plus tard, un homme descend, épaulant une kalachnikov. Les tirs claquent, les éclats fusent. Elle se jette au sol, se faufile à couvert. Il n’y a pas de bouton d’alarme à cet endroit. Le silence assourdissant, le sifflement des balles, les images tournent encore dans sa tête. « Vous êtes suffisamment accompagnée ? », lui demande Darmanin. Elle acquiesce. Le ministre insiste : « L’administration est derrière vous. »
À ses côtés, un gradé de nuit d’une trentaine d’années prend le relais du récit. Employé ici depuis 2019, il raconte avec sang-froid les minutes de tension. Avant l’arrivée des gendarmes, il déploie ses équipes sur les miradors, allume les projecteurs, scrute les buissons et les arbres alentour. Rien ne bouge. « Pourquoi cette attaque ? », relance un surveillant. Et de répondre sans détour : « Parce qu’on gêne leur trafic. Mais on ne lâchera pas. Ce n’est pas à eux de faire la loi. » Preuve de l’état d’esprit qui règne ici : plusieurs agents se sont portés volontaires pour assurer le service de nuit suivant.
« Je ne suis pas un ministre de bureau. Maintenant que je suis à la Justice, c’est pour faire bouger les lignes »
Toulon n’est pas une prison sinistrée, mais elle affronte les mêmes fléaux que tant d’autres : livraisons de drogue par drones, violences en détention, pression des réseaux. C’est Gérald Darmanin lui-même qui a décidé, dès les premières heures de la matinée, de se rendre sur place, sans attendre. Depuis l’intérieur de la prison, face à une cinquantaine de surveillants rassemblés, costume noir impeccable, le Garde des Sceaux déroule un message clair : « Je suis là. Je ne suis pas un ministre de bureau. J’ai été quatre ans à l’Intérieur. Maintenant que je suis à la Justice, c’est pour faire bouger les lignes. » Les élus locaux sont également présents, signe de la gravité de l’événement. Parmi eux, la députée du RN Laure Lavalette, venue apporter son soutien aux agents pénitentiaires.
Le ministre enchaîne : il a demandé à son successeur place Beauvau, Bruno Retailleau, de mobiliser les préfets pour renforcer la sécurité des parkings et des domiciles des agents. Il ne commente pas l’enquête en cours, mais lâche quelques éléments : des interpellations ont eu lieu, le véhicule utilisé — volé — a été retrouvé sans même avoir été brûlé. Un détail qui en dit long, croit-on comprendre : il ne s’agirait pas de professionnels du crime, mais de jeunes exécutants, recrutés à la va-vite, payés pour appuyer sur la gâchette.
La suite après cette publicité
Gérald Darmanin connaît le sujet par cœur. Pour lui, la prison est l’un des nœuds du trafic mondial : ceux qui organisent les réseaux depuis l’étranger – en Thaïlande, à Dubaï ou au Maghreb – ont bien souvent des relais, des lieutenants, ou même des cellules de commandement dans les établissements pénitentiaires français. « Il y en a 17 000 », glisse-t-il en privé, chiffres à l’appui. Une manière de rappeler que la guerre contre la drogue se joue aussi derrière les murs.
Il parle sans notes, sans fard. Il rappelle d’où il vient : Tourcoing, la banlieue, une mère femme de ménage. Et il promet de ne pas être un ministre de plus, qui s’excuse ou se défausse. « Je ne suis pas un grand penseur. Pas un énarque. Je ne suis pas technocrate. Mais je sais aller à Bercy chercher des moyens. Et je suis capable de démissionner si je ne les obtiens pas. » Une manière de dire qu’il n’a peut-être pas toutes les solutions, mais qu’il se battra avec les moyens de la politique, et un peu de son passé, pour les aider.
Direction la préfecture du Var. Le ministre réunit en visio les directeurs des établissements visés en visioconférence. Il dresse un état des lieux glaçant : voitures brûlées, tags menaçants, tirs de kalachnikov. Il souligne que les services avaient repéré des signaux faibles à Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil, les deux prisons où il a décidé de placer les narcotrafiquants les plus dangereux. Il annonce l’envoi d’un télégramme commun aux préfets et aux directeurs de l’administration pénitentiaire.
Le directeur de l’administration, Sébastien Cauwel, reprend les mots de son ministre : « La politique que nous menons dérange les trafiquants, les criminels, et même ceux qui refusent l’idée même de la prison. » Les consignes sont précises : renforcer la sécurité, y compris de nuit, rappeler aux agents d’éviter de s’afficher en uniforme, d’effacer toute trace identifiable sur les réseaux sociaux, de rentrer les véhicules dans l’enceinte. Darmanin se veut à la fois ferme et pédagogique : « Faites remonter tout comportement suspect. On ne peut plus se permettre de l’approximation. »
Prochaines étapes : faire avancer le chantier des 3 000 cellules préfabriquées annoncées récemment, poursuivre les visites de terrain, et préparer un déplacement en mai au Brésil et en Guyane. Objectif : confronter les modèles et ramener des solutions. D’ici là, à Toulon comme ailleurs, les murs vibrent encore du vacarme des armes automatiques. Et les surveillants, eux, tiennent la ligne.
Source : Lire Plus