« Un pas en avant vers un accord mutuellement satisfaisant ». Voilà le résumé des premiers échanges entre les délégations américaine (Steve Witkoff en tête) et iranienne qui se sont tenus à Oman, le week-end dernier. Les menaces récentes de Washington de frapper Téhéran ont replacé sur le dessus de la pile de Donald Trump le dossier iranien, un exemple de crise sans fin comme il les appelle et qu’il souhaite résoudre lors de son second mandat. En attendant que les dossiers gazaoui et ukrainien avancent.
Barack Obama avait obtenu le prix Nobel de la Paix en décembre 2009, alors devenu président des États-Unis depuis seulement une petite année, et sans avoir contribué à un seul accord de paix nulle part auparavant. Cela laisse des chances pour certains fans de Donald Trump, qui avaient suggéré que leur héros soit proposé dans la même catégorie du temps de son premier mandat en 2016, et qui n’en démordent pas aujourd’hui pour récompenser sa vision de la « Pax Americana ».
Évidemment, de retour aux affaires à la Maison-Blanche depuis trois mois, et au vu de ce que certains considèrent comme un chaos économique depuis quelques semaines qui a eu des conséquences sur toute la planète, on voit mal sur quel dossier Donald Trump pourrait être couronné de lauriers. Et pourtant, même si les dossiers de Gaza et de l’Ukraine traînent en longueur, dus à la complexité des situations et des parties en présence, le 47e président des États-Unis pourrait, avec le dossier iranien, faire un coup historique.
Alors que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, était à Washington, le 7 avril dernier, pour parler droits de douane et menace iranienne, Donald Trump a à nouveau surpris son monde en annonçant devant lui que les États-Unis avaient repris les discussions directes avec l’Iran pour tenter de parvenir à un accord. Alors que Téhéran est considéré depuis des années comme la menace numéro un pour l’État hébreu, Trump n’avait pas exclu il y a quelques semaines de frapper l’Iran, ce qui n’était pas pour déplaire à « Bibi », lui qui prêche pour des bombardements massifs du pays depuis au moins l’ère Obama.
Le 47e président des États-Unis pourrait, avec le dossier iranien, faire un coup historique
Jusqu’à maintenant, il n’était pas parvenu à ses fins. Pire : l’accord du JCPOA sur le nucléaire iranien signé en 2015 était un camouflet pour le Premier ministre israélien. Or, cet accord-cadre, qui avait pour but de contrôler le programme nucléaire iranien, avait été considéré comme trop souple par Trump sous son premier mandat et il l’avait déchiré dès son arrivée à la Maison-Blanche. Le retour de ce dernier le 20 janvier dernier était une bonne nouvelle pour Netanyahou ? après quatre ans d’errance démocrate avec le régime des mollahs.
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Mais Donald Trump, qui se vante d’être un véritable « deal maker », veut croire que ce soit possible aussi avec l’Iran. De toute façon, isoler l’Iran depuis des années n’a rien donné, et cela s’est fait au détriment des Iraniens qui rêvent de plus de liberté et d’ouverture. Ce serait un accord historique réintégrant Téhéran dans le concert des nations, dans un contexte d’effondrement de l’arc de résistance chiite (né après l’effondrement de l’Irak et le soutien iranien à la minorité chiite brimée pendant trente ans sous Saddam Hussein), et qui finirait d’étouffer la haine et l’agressivité du régime islamiste. Cela peut paraître inquiétant et dangereux de prime abord, mais dans l’histoire contemporaine du Moyen-Orient, ils sont nombreux à avoir toujours cru au rôle de l’Iran comme pivot stabilisateur, et pas uniquement comme une menace existentielle pour Israël et les sunnites en général. La haine appelant la haine, dégoupiller les bombes mentales du régime iranien pourrait être prometteur, à condition d’assurer une sécurité absolue à Israël.
Isoler l’Iran depuis des années n’a rien donné
Trump pourrait donc entrer dans l’histoire en dégonflant la baudruche d’un régime qui pourrait progressivement se transformer de l’intérieur, voire abandonner avec le temps les idéaux révolutionnaires et khomeynistes. Car pour le moment, il résiste dans la haine mondiale qui pèse sur le pays. Les États-Unis tireraient alors enfin les leçons de tous ces pays qu’ils ont mis sous sanctions et qui ne sont jamais tombés. Parmi eux, Cuba et la Corée du Nord, voire plus récemment le Venezuela.
En réalité, cette menace iranienne est le sujet le plus important du Moyen-Orient et depuis trop longtemps. Depuis 1953 et le coup de force anglo-saxon contre l’ancien Premier ministre Mohammad Mossadegh, pour placer le Chah d’Iran, à la solde de Washington, a quelque part empêché le pays de se développer. La révolution islamique de Khomeyni a surfé sur les frustrations de toute une population face à une caste au pouvoir pour renverser le régime. Depuis, les sanctions se sont abattues contre Téhéran. Mais toute la stratégie de nuisance de l’Iran a une seule cause : avoir empêché cette grande puissance régionale historique de jouer le rôle qui aurait dû être le sien et non pas celui d’un pion des États-Unis.
Si l’on parvient à normaliser les relations avec ce pays, ce serait le changement majeur du XXIe siècle. Des tentatives de dialogue, il y en a eu : le « dialogue critique » entre l’Europe et l’Iran lancé en 1992 et abandonné sous la pression du Président Bush ; deux tentatives plus récentes de rapprochement avec le roi Abdallah d’Arabie saoudite et avec la Chine. Les retombées politiques et économiques d’un bon accord seraient majeures pour la région. On pense au projet de réseau « Dolphin » lancé en 2004, qui visait à l’interconnexion gazière entre l’Iran, le Qatar, les Émirats et Oman. Sur le programme nucléaire iranien, il y a toujours eu un consensus chez les Iraniens. La population est nationaliste et tient à son autonomie. Les Iraniens voulaient leur droit au développement et à l’accès à l’énergie. On parle de source d’énergie, pas de nucléaire militaire, ce qui est un autre dossier. Enfin, il ne faut pas oublier l’immense richesse culturelle de l’Iran, qui aurait dû toujours avoir vocation à être un partenaire des Occidentaux, le chiisme ayant beaucoup d’éléments compatibles avec le christianisme (comme le platonisme, qui a largement influencé la philosophie iranienne jusqu’au XVIIIe siècle).
Les Iraniens sont attachés à leur droit au développement et à l’accès à l’énergie
Ces nouvelles discussions à Oman, le médiateur régional traditionnel avant le Qatar, sont prometteuses. On peut imaginer donc, comme beaucoup l’espèrent depuis longtemps, qu’un bon accord avec l’Iran apporte non seulement davantage de sécurité à Israël, mais également à la région et au CCG (Conseil de Coopération des Pays du Golfe). De facto, il fragiliserait l’alliance avec la Russie et la Chine, avec qui, au-delà du business, il sera difficile de conclure un accord politique « de paix ». Et la question palestinienne pourrait « peut-être » revenir en force à la faveur d’une sécurisation de l’État hébreu. Si Trump veut un « achievement » éclatant, ce sera sûrement l’Iran qui pourra le lui donner ! Et là, personne ne pourra définitivement nier qu’au-delà de son volontarisme, son souhait de mettre un terme aux crises sans fin soit non seulement une réalité, de l’intérêt des Américains certes, mais surtout aussi du monde entier. Donc nous !
*Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au CNAM Paris (Équipe Sécurité Défense), à l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée (IEGA Paris), au Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire Géostratégique de Genève (Suisse).
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