Une panière de Carambar, des spéculoos et du coca zéro, pas sûr que ce soit l’idéal pour montrer l’exemple devant des professeurs des écoles, mais pour se faire des copains dans la cour de récré… On trouve tout cela dans le bureau d’Élisabeth Borne : des sucreries enfantines qui contrastent avec son image techno-austère.
Au lendemain d’un week-end de meeting de campagne présidentielle autour de Gabriel Attal, la ministre de l’Éducation reçoit le JDD pour un échange informel. Ministre lors du premier quinquennat, Première ministre un an et sept mois lors du second, elle prétendait légitimement à prendre la tête du parti Renaissance à l’automne, avant de s’effacer pour laisser le champ libre à Gabriel Attal en échange de la direction du conseil national du mouvement, afin de travailler sur le fond du programme pour 2027. « C’est encore une femme qui se sacrifie, ras-le-bol ! » s’était alors exclamée Roselyne Bachelot. Effacée ? « J’assume de dire que mon parcours fait que j’ai une vision, des idées sur les sujets – d’éducation, de laïcité, sur le travail, la santé… –, que j’entends faire avancer de manière collective, et donc je continuerai à m’exprimer », prévient-elle.
Ainsi lors d’un meeting dimanche dernier, alors que le parti n’avait plus tenu de réunion publique depuis le week-end tragique du 7 octobre 2023, et qu’il « eût été plus enthousiasmant de mettre en avant le collectif et la richesse des profils de notre famille politique », Élisabeth Borne a insisté pour prendre la parole. Certains ont grogné dans l’entourage de Gabriel Attal. « Elle n’imprime pas », « autant Yaël (Braun-Pivet) plaît aux militants, autant Borne est détestée », grincent en off les proches du patron. Des critiques qui se dissipent avec les vapotages de la ministre, fataliste sur l’hyper-masculinisation de la compétition. « Il y a une différence d’approche entre ceux qui déclarent d’abord “Je suis candidat !” et le projet viendra ensuite, et ceux qui réfléchissent d’abord au projet qui permettra de convaincre les Français », décrypte Élisabeth Borne.
Une démarche collective
Là où l’ambiance est à la mise en rang derrière l’ambition d’un homme – ou d’une femme – providentiel, étouffant les débats, Borne revendique d’autres expériences. Conseillère auprès de Lionel Jospin à Matignon, elle se souvient « avoir assisté à des réunions dans lesquelles DSK, Martine Aubry, Dominique Voynet ou Jean-Claude Gayssot challengeaient leurs idées, c’était pas mal je vous assure… »
Hors des lignes dans son parti et au sein du gouvernement, la ministre de l’Éducation, même si ce n’est pas toujours bien perçu, continue de faire entendre sa petite musique. Comme au moment de la polémique sur le port du voile dans les compétitions sportives. « On peut s’attaquer à des symboles en laissant penser que cela règle le problème du communautarisme ou de l’entrisme, mais c’est aux ressorts profonds qu’il faut s’attaquer, en se questionnant sur le fonctionnement des réseaux des frères musulmans. » Opposer la complexité, même si cela fait moins recette, aux réponses simplistes. Lucide sur les manquements de l’ère Macron, elle est l’une des seules grandes voix à déjà exercer le droit d’inventaire. Notamment lorsqu’elle pousse l’idée d’un élargissement de Renaissance au Modem. « En 2017, Renaissance était majoritaire, largement, cela nous a dispensés de travailler à faire émerger une gauche sociale-démocrate et d’aller chercher des Républicains progressistes. Vouloir pulvériser les LR était contreproductif, comme laisser le PS partir dans les délires mélenchonistes. »
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La ministre continue de faire entendre sa petite musique
Élisabeth Borne croit fermement à l’idée d’un bloc central, à condition qu’il ne soit pas hégémonique entre les deux extrêmes. Lorsqu’elle était à Matignon, en majorité relative, elle s’est enorgueillie d’être allée chercher des majorités alternativement avec la droite et la gauche, pour faire passer finalement une soixantaine de textes de loi.
Pendant que les sondeurs prennent le pouls des hommes du socle commun au premier tour de la présidentielle, Borne continue à se saisir des sujets qui préoccupent les Français, le régalien notamment, « qui était quasiment absent du programme de 2017 ». En faisant travailler les députés, surtout ceux qui lui sont proches, à l’image de Guillaume Gouffier Valente qui salue sa démarche. « La présidentielle a un côté compétition viriliste qui fait le jeu des candidatures masculines. Borne veut bousculer cette méthode imposée par la déclaration de candidature et le jeu des sondages, balance le député du Val-de-Marne. Elle défend une démarche collective au milieu d’une bande de garçons qui se bousculent au portillon. C’est salutaire ! »
Quant à la polémique sur un éclat de rire après le passage d’un ouragan, ou sur le futur métier des enfants de maternelle… Cela fait sourire la ministre, « des petits buzz dérisoires »… Elle range son stylo dans sa trousse. C’est l’heure de la cantine.
Yaël Braun-Pivet et si c’était elle ?
Inconnue avant 2017, Yaël Braun-Pivet occupe désormais une place centrale dans la vie politique. Une ascension éclair sur laquelle elle revient dans une autobiographie, À ma place, publiée jeudi. « Je ne doute pas que sa vie soit passionnante, mais tout de même, une autobiographie, il fallait oser », persifle un pilier du groupe EPR. N’empêche : « sa place », cette ex-avocate de 54 ans ne l’a pas volée. En 2017, à peine élue députée, elle accède à la présidence de la Commission des lois à l’Assemblée nationale. Puis au perchoir en 2022 après un passage éphémère au ministère des outre-mer. En 2024, malgré la dissolution, elle rempile, à la surprise générale.
« Elle restera dans l’histoire comme la première femme à accéder au perchoir », note, admiratif, le député Sylvain Maillard. « Oui, enfin, il ne faut pas le répéter, sa tête ne va plus passer les portes », ironise un président de groupe. Si nombre de députés saluent son sens de l’équité, ils dépeignent également une personnalité grisée par son statut, en quête permanente d’attention. Loi PLM, fin de vie, débat sur l’identité nationale, tout est prétexte à faire entendre une voix dissonante. « On appelle ça être libre et indépendant, des qualités conseillées quand on exerce les plus hautes fonctions », fait valoir le proche précité. On lui fait observer que cette formule est d’ordinaire réservée à l’élection suprême. Il sourit. Yaël Braun-Pivet y songe-t-elle en se peignant le matin ?
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