
On nous parle de liberté. De progrès. D’un « droit de mourir dans la dignité ». La formule est belle, moderne, rassurante. Elle a le parfum du XXIe siècle, celui des combats individuels, du respect de soi, du choix éclairé. Mais c’est une formule dangereuse, car elle fait croire que l’euthanasie est toujours une décision libre. C’est faux. La réalité, c’est que cette demande est souvent arrachée par la douleur, la solitude, ou la peur de peser.
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Ce qu’on ne veut pas voir, c’est que l’euthanasie n’arrive pas dans un monde idéal. Elle s’inscrit dans un système de santé à bout de souffle. Où les soins palliatifs sont l’exception, non la règle. Où les hôpitaux ferment des lits, où les aides-soignants partent, où l’on meurt trop souvent dans l’indifférence, le silence ou la précipitation. Et dans ce paysage-là, on voudrait proposer la mort comme une option ? Comme un service ? Comme une prestation ? L’hypocrisie est là. Elle consiste à appeler « autonomie » ce qui, dans bien des cas, n’est qu’un réflexe de survie sociale : ne pas gêner, ne pas déranger, ne pas coûter.
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Le glissement est insidieux. Légaliser l’euthanasie, ce n’est pas seulement inscrire un nouveau droit. C’est envoyer un message. Un sous-texte. Une invitation à ne pas trop s’attarder. À faire preuve de discrétion jusque dans l’agonie. À quitter la scène sans bruit, comme il se doit dans une société qui ne tolère plus ni la lenteur, ni la dépendance. Voilà une véritable rupture anthropologique.
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On nous promet une loi encadrée, stricte, humaine. Des critères soi-disant stricts, des protocoles rigoureux, des cas exceptionnels, bien balisés. Mais ces garde-fous, beaucoup ont déjà sauté – avant même le vote. Et ce discours, il n’est pas neuf : on l’a déjà entendu ailleurs.
En Belgique, ce qui devait être une exception réservée aux adultes atteints de maladies incurables concerne désormais aussi les mineurs « capables de discernement ». Aux Pays-Bas, l’euthanasie est autorisée dès 12 ans, élargie aux enfants plus jeunes dans certains cas, et même aux patients atteints de démence… sans consentement réitéré. Au Canada, elle s’applique déjà aux personnes handicapées, et pourrait bientôt être étendue aux troubles mentaux. En Suisse, la majorité des suicides assistés concernent des personnes non en fin de vie. Leur seule « pathologie » ? La solitude.
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Voilà où mènent les belles promesses, quand la fragilité devient une faille à corriger plutôt qu’un état à accompagner : un effacement rapide, une disparition validée, propre sur le papier… mais terrible dans ce qu’elle dit de nous.
Et si le vrai tabou, ce n’était pas la mort… mais la vulnérabilité ?
Et puis il y a cette autre tentation, plus cynique encore : celle du calcul. Oui, le grand âge coûte cher. La dépendance est budgétairement pesante. Une piqûre létale, en revanche, est bon marché. L’euthanasie devient alors l’outil de gestion d’une société fatiguée : rapide, propre, indolore – et rentable. Légaliser l’aide à mourir, ce n’est pas seulement répondre à la souffrance. C’est risquer de transformer l’exception en habitude, le droit en injonction, la compassion en procédure. Et confier à l’État, déjà incapable de garantir la santé pour tous, un pouvoir nouveau : celui d’organiser la mort.
Et si le vrai tabou, ce n’était pas la mort… mais la vulnérabilité ? C’est ici que tout bascule. Car ce débat n’est pas seulement médical ou juridique. Il est existentiel. Il nous dit quelque chose de notre époque : notre rapport à la vulnérabilité, à la lenteur, à la décrépitude. Nous ne savons plus attendre. Plus accompagner. Plus supporter. La fin de vie nous insupporte parce qu’elle nous renvoie à nos propres failles, à notre impuissance, à notre fragilité. Alors nous voulons hâter la fin. La liquider, au nom de la dignité.
Mais la dignité, ce n’est pas la mort décidée. C’est la main tendue, la main tenue. C’est la présence. C’est le temps accordé. Ce que demande la fin de vie, ce n’est pas un cadre légal pour mourir. C’est une société capable de rester là. Jusqu’au bout. Et cela, oui, coûte plus cher. Plus de personnel. Plus d’écoute. Plus d’efforts. Moins de confort moral. Moins de bonnes intentions à peu de frais.
L’euthanasie n’est pas un progrès. Elle se pare des habits de la liberté, mais elle cache un effondrement : celui de notre capacité collective à faire face à la souffrance et à la mort. Alors oui, la souffrance existe. Elle doit être soulagée. Mais pas supprimée avec celui qui la porte. La réponse politique ne doit pas être une ouverture. Elle doit être une digue. Une digue morale, philosophique, politique. Pas une loi pour hâter la mort. Une loi pour garantir la vie. Jusqu’à son terme. Et jusqu’à notre honneur.
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