9 842 534 euros. C’est la contribution attribuée par le Conseil européen de la recherche – organisme créé par la Commission européenne et financé grâce au budget de l’UE – pour « Le Coran européen ». Un projet qui s’inscrit dans le programme de l’UE intitulé « Excellence scientifique », visant à… rattraper le « retard pris dans la course à la production scientifique de pointe et d’excellence » face aux États-Unis ! Depuis 2007, 17 000 projets ont été subventionnés, mais « Le Coran européen » fait partie des projets « scientifiques » les mieux dotés. En comparaison, un projet qui portait sur l’informatique quantique a reçu 15 millions d’euros en 2013.
Ce projet, également connu sous l’acronyme « EuQu », a débuté le 1er avril 2019 et s’achèvera le 31 mars 2026. Porté par une trentaine de chercheurs d’université espagnols, italiens, néerlandais, hongrois, danois et français (Nantes), il a pour objectif de « découvrir comment le Coran a influencé la culture et la religion en Europe, entre 1150 et 1850 ». Mais sur le site internet créé après l’obtention de la subvention, les responsables sont plus précis : « Notre projet repose sur la conviction que le Coran a joué un rôle important dans la formation de la diversité et de l’identité religieuses de l’Europe au Moyen Âge et au début des Temps modernes, et qu’il continue de le faire. » La volonté de « remettre en question les perceptions traditionnelles du texte coranique et les idées bien établies sur les identités religieuses et culturelles européennes » n’est pas cachée.
De quoi faire réagir toute la droite européenne. Pour Sarah Knafo (Reconquête), « on accepte de financer la recherche et l’innovation et on se retrouve à gaver d’argent public des filières de sciences sociales aberrantes », quand Nicolas Bay (IDL) dénonce une Commission qui « cumule l’aveuglement et l’idéologie consistant à soutenir tout ce qui contribue à remettre en cause la véritable identité de l’Europe ». Et si Fabrice Leggeri (RN) accable Bruxelles pour « financer la réécriture de notre histoire et ainsi ouvrir la voie à de futures revendications islamistes », Céline Imart (LR) remarque que ce projet « n’apporte rien au leadership scientifique européen et […] relève d’un prosélytisme identitaire en ferme opposition avec les valeurs et l’histoire européennes ».
« Mahomet l’Européen »
Rien de très étonnant. Dès la première présentation publique du projet, John Tolan, professeur d’histoire médiévale à l’université de Nantes – l’un des quatre codirecteurs et sans doute le plus actif – reconnaissait que « parler de Coran européen, c’est un peu une provocation ». Il parlait même de « récidive », après la publication de son livre Mahomet l’Européen, en 2018. Mais s’il est combattu par ce qu’il appelle alors « l’extrême droite », John Tolan est plébiscité par des sphères réputées proches des Frères musulmans.
En 2019, il est ainsi convié à donner une conférence sur le « Prophète dans la pensée européenne » par l’Institut européen des sciences humaines de Paris, organisme dont la création est attribuée par plusieurs chercheurs – dont Lorenzo Vidino et Sergio Altuna, de l’université George Washington – aux Frères musulmans. Lors de cette conférence, le doyen de l’institut était d’ailleurs le Tunisien Ahmed Jaballah, disciple du maître à penser des Frères musulmans européens Youssef al-Qaradâwî, ex-président de l’Union des organisations islamiques en France (UOIF) et expulsé de France en 2024…
La suite après cette publicité
Mais ce n’est pas tout : en 2019, 2020 et 2022, John Tolan a également participé à des événements organisés par l’association Musulmans de France, qualifiée par le chercheur du CNRS Haoues Seniguer de « tête de pont des néo-Frères musulmans en France », avant d’être reçu dans l’une des mosquées nantaises affiliées à l’organisation. En 2024 enfin, le professeur a directement reçu les honneurs de l’Union turco-islamique des affaires religieuses en France, émanation de la présidence des Affaires religieuses – c’est-à-dire une administration turque rattachée à… Recep Tayyip Erdogan.
Il faut dire qu’en 2022, ce spécialiste des contacts religieux entre les mondes arabes et latins donnait une interview à Euradio dans laquelle il identifiait deux types d’extrémismes, « l’extrême droite nationaliste […] et certains rigoristes […] qui veulent imposer une vision unique de ce qu’est l’islam ». Des exemples ? « Éric Zemmour et Daech. » À l’inverse, on peut lire dans son livre Nouvelle Histoire de l’islam que les fréristes ont pour leur part une conception de l’exercice du pouvoir « collective et consensuelle ».
Pedigree qu’il n’est pas inutile de connaître puisque, outre son volet « scientifique », le projet du « Coran européen » comporte également un ambitieux volet pédagogique. Deux expositions sont déjà en cours, l’une à Tunis et l’autre à Vienne, en Autriche. Cette dernière a pour objectif affiché de « montrer que l’islam a toujours fait partie intégrante de la culture européenne », explique Jan Loop, autre codirecteur du projet. Et pour le prouver, des conférenciers, parmi lesquels Amena Shakir. Or le très sérieux quotidien suisse Neue Zürcher Zeitung fait savoir qu’elle dirigeait une école islamique fermée en 2005 par le gouvernement de Haute-Bavière en raison de ses liens avec une association considérée comme l’antenne allemande des Frères musulmans égyptiens… dirigée par son frère Ibrahim el-Zayat, le premier président du Femyso, que l’anthropologue et chercheuse du CNRS Florence Bergeaud-Blackler décrit comme la section jeunesse des Frères musulmans en Europe.
« Montrer que l’islam a toujours fait partie intégrante de la culture européenne »
Et si le gouvernement français affiche sa détermination à lutter contre l’influence des Frères musulmans, d’autres expositions de ce « Coran européen » sont prévues à Nantes, Lyon, mais aussi à Budapest, Grenade, Rabat et même… au Vatican ! Celle de Nantes est programmée du 17 mai au 31 août, avec pour ambition de « montrer que l’islam et les musulmans sont présents en Europe depuis le VIIIe siècle ».
Comme si ces expositions ne suffisaient pas, une exposition virtuelle est également prévue ainsi que la sortie du livre Le Coran européen, destiné au grand public, sous la direction des mêmes John Tolan et Jan Loop… en compagnie de la chercheuse de l’université de Copenhague Naima Afif, traductrice des écrits du fondateur des Frères musulmans Hassan el-Banna, qui publie dans le cadre du projet un ouvrage, Le Coran européen juif. Même les plus jeunes sont visés puisqu’un docu-BD doit être publié le 23 avril aux éditions Petit à Petit, sous le titre Safar, l’histoire du Coran en Europe. Et comme l’abondance d’argent public le permet, des traductions en anglais et dans d’autres langues sont déjà envisagées.
Source : Lire Plus