Sommes-nous prêts à proposer la mort à des personnes qui ne sont pas en fin de vie ? C’est la question que pose, en creux, la proposition de loi relative à la fin de vie qui vise à légaliser l’euthanasie. Derrière l’apparente rigueur de ses conditions d’accès, le texte repose sur des notions floues, non définies scientifiquement, et donc sujettes à interprétation. Alors qu’il est censé proposer, comme l’indique son préambule, un « ultime recours », il ouvre en réalité l’euthanasie à un très grand nombre de cas. Ce qui devait être une réponse à des situations exceptionnelles de fins de vie intolérables pourrait, en l’état, s’appliquer à des centaines de milliers de personnes, y compris à certaines qui leurs restent plusieurs années à vivre.
Prenons quelques cas hypothétiques concrets : Sabine, 38 ans, vit avec une dépression sévère depuis plus de vingt ans. De multiples traitements (antidépresseurs, psychothérapies, hospitalisations) ont échoué. Elle a fait plusieurs tentatives de suicide, connaît d’importantes difficultés financières, de logement, et dit vivre dans une souffrance psychique permanente. Son état est jugé « chronique et incurable ». Elle refuse tout traitement supplémentaire.
Claire, 34 ans, est dialysée trois fois par semaine pour une insuffisance rénale en phase terminale. Épuisée par les contraintes du traitement et considérant qu’elle est une charge pour ses parents pourvus de très faibles moyens matériels, elle considère que vivre ainsi n’est plus supportable.
Ancien sportif, Jean, 62 ans, est malade de Parkinson, qui gêne sa marche. Il supporte mal les effets secondaires de ses traitements et envisage de les arrêter. Il dit vivre avec une grande souffrance psychologique depuis qu’il ne peut plus faire ses dix kilomètres quotidiens. Il n’est pas en fin de vie, mais se dit « usé ».
Marie, 42 ans, souffre d’un cancer du sein (HER 2 positif et récepteurs hormonaux à 80 %) à un stade avancé avec des métastases osseuses. L’oncologue a débuté un traitement associant chimiothérapie, thérapie ciblée et hormonale, dont l’efficacité permet d’espérer quelques années encore en bonne santé. Mais la fatigue et les nausées induites par la chimiothérapie lui sont insupportables.
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Parmi ces cas, qui disposent tous de plusieurs années à vivre, lesquels seraient éligibles à l’euthanasie et au suicide assisté si la loi était adoptée ? Tous.
Tous réunissent les critères de l’article 4 de la loi : ils ont plus de 18 ans, souffrent d’« une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale » et présentent « une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsqu’elle a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement ».
Les critères « grave », « incurable », « phase avancée » sont vagues, subjectifs et scientifiquement discutables.
Ainsi l’« affection grave et incurable », qui est un terme à la portée apparemment dramatique, mais en réalité très large. Près de 14 millions de personnes en France vivent avec une affection de longue durée (ALD) qui sont toutes des maladies chroniques considérées comme graves, évolutives, et souvent incurables.
Le terme « incurable » ne dit rien du pronostic vital, ni du niveau de souffrance, ni de l’espérance de vie. Il ne dit pas non plus si des traitements efficaces existent ni si la qualité de vie peut être maintenue. Il désigne seulement une maladie que l’on ne peut pas faire disparaître. Ce flou sémantique transforme un critère qui devrait être d’exception en un filet à très larges mailles.
Une loi sur la mort ne peut reposer sur des notions floues et des critères subjectifs
Ajoutons à cela l’absence de définition de la « phase avancée », qui ne correspond à aucune classification clinique précise, et l’invocation d’une « souffrance insupportable » laissée à la seule appréciation du patient puisque le simple refus de traitement suffit à déclencher l’éligibilité.
Au-delà du flou des critères, les conditions de la procédure, expéditive et sans collégialité, inquiètent. Très concrètement, un médecin seul pourra valider la procédure, le recueil d’autres avis étant facultatif (notamment ceux de médecins qui suivent le patient depuis des années, celui d’un psychiatre ou du tuteur ou du curateur). Le médecin devra statuer dans un délai très bref, allant de zéro à quinze jours, très inférieur à ceux de nos voisins (trois mois en Autriche, un mois en Belgique).
Le flou des critères ouvre la voie à des décisions solitaires puisque l’intéressé définit lui-même si sa souffrance psychologique est « insupportable ». Rien n’interdit donc que cette souffrance soit influencée par un contexte économique et social difficile, des pressions extérieures ou des émotions.
Une loi sur la mort ne peut reposer sur des notions floues et des critères subjectifs. Elle exige rigueur, clarté, limites et contrôle. Or, dans sa rédaction actuelle, le texte, n’érige aucun rempart contre les abus et s’éloigne de l’objectif de faire de l’euthanasie et du suicide assisté un « ultime recours ». Il ouvre la porte à de multiples interprétations et présente le risque de prendre le chemin d’une pente glissante menant à une société dans laquelle on invite les gens au suicide. Voulons-nous vivre dans cette société ?
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