Le JDD. Que représente aujourd’hui la part des crèches privées dans le secteur de la garde d’enfants ?
Il y a à peu près 500 000 places de crèche en France, et 715 000 places chez des assistantes maternelles – qui demeurent le premier mode d’accueil, mais déclinent très rapidement. Sur l’ensemble, le privé représente à peu près 120 000 places. Et depuis 10 ans, c’était, et je parle au passé, le privé qui créait la majorité des places de crèche supplémentaires. Aujourd’hui, la petite enfance, globalement, est dans une situation extrêmement compliquée. Je vous ai parlé des assistantes maternelles qui partent à la retraite sans être remplacées, et concernant les crèches, leur situation financière d’abord est très compliquée. Du fait de l’inflation notamment, – énergie, alimentaire…- et de la charge de la dette.
Or, c’est un métier qui demande d’importants investissements. À cela s’ajoute une pénurie de personnel, comme dans tous les métiers du social. En 2022, la CNAF estimait qu’il manquait 10 000 professionnels de crèche. C’est probablement davantage aujourd’hui. Conséquence : la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC) estime qu’en 2024, il y avait à peu près 15 000 places qui étaient gelées dans le secteur, par manque de personnels. C’est-à-dire que le bâti existe, la crèche existe, la demande des familles aussi, mais 15 000 places n’ont pas pu être ouvertes à cause de cette pénurie. Sachant qu’il en manque aujourd’hui 250 000 en France.
Quel impact le livre Les Ogres (Flammarion) de Victor Castanet, qui traite du sujet de la maltraitance dans certaines crèches privées, a-t-il eu sur votre secteur ?
La crise, elle est beaucoup plus ancienne que la publication de ce livre. La pénurie de personnel s’est amorcée un peu avant le Covid, et s’est accentuée depuis. Pour en revenir au livre de Victor Castanet, il ciblait une entreprise en particulier (People and Baby), où il y avait des dérives avérées. Pour le reste, le secteur de la petite enfance est extrêmement contrôlé. Avant la sortie de cette enquête, en 2023, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la maltraitance en crèche avait déjà mis en lumière certains dysfonctionnements.
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Est-ce que vous constatez néanmoins une sorte de « crèche privée bashing » ? Comment l’éviter ?
C’est une obligation pour nous, en tant qu’acteur privé, d’établir un lien de confiance avec les parents et les autorités publiques, et d’être exemplaire dans notre gestion. J’insiste à nouveau sur le fait que nous sommes l’un des secteurs les plus contrôlés, ce à quoi je souscris. Je travaille main dans la main avec l’État. Sur nos 380 crèches, en 2024, nous avons eu 390 contrôles de la PMI (Protection maternelle et infantile), parfois plusieurs fois sur la même crèche.
« Il faut impérativement reconnaître les métiers de la petite enfance comme des emplois essentiels »
Qu’il y ait des craintes, je le conçois. Qu’il y ait un besoin de contrôle, c’est évident. La Maison Bleue a été le premier groupe de crèches privées à être inspecté l’année dernière par l’IGAS. Son rapport devrait sortir dans les prochaines semaines. J’appelle à sa publication afin de renforcer la relation de confiance qu’on doit établir avec les familles et toutes nos parties prenantes.
Quels contrôles mettez-vous en place en interne pour rassurer les parents ?
Nous avons un système qualité, au sens large, qui est mieux disant que la réglementation, notamment avec le support d’audits internes extrêmement nombreux. Nous en avons réalisé quasiment 2 000 en 2023. Nos crèches sont engagées dans un processus de certification par Bureau Veritas. C’est une certification externe avec 150 points de contrôle très exigeants.
J’ajoute que notre politique qualité repose sur la remontée systématique des incidents. Nous avons les premiers mis en place une ligne d’écoute « tous attentifs », qui remonte directement à notre référent éthique, anonyme et confidentiel, à destination des salariés, pour dénoncer tout cas de maltraitance ou tout événement anormal. Chaque incident indésirable est ainsi tracé, suivi de plan d’action et de sanctions si c’est nécessaire.
Pour les familles, ce qui est important, c’est de démultiplier à leur égard les canaux de communication. Dans toutes nos crèches, les coordonnées du supérieur de la directrice, de la PMI et de notre service client (disponible 24 heures sur 24) sont affichées. Nous savons que nous avons encore des progrès à faire en matière administrative, mais les chantiers sont lancés et en cours de déploiement. J’en rendrai compte.
Comment palier les problèmes de personnel ?
C’est un sujet de reconnaissance. Il faut enfin admettre que ce métier présente un intérêt fondamental pour la nation. C’est par ailleurs un sujet qui dépasse le simple cadre de la crèche : c’est fondamental pour la parité hommes-femmes, mais aussi pour soutenir la natalité. Dans son livre Les Balançoires vides, le piège de la dénatalité (L’Observatoire), Maxime Sbaihi établit que le manque de place de crèches est l’un des motifs principaux pour les familles de ne pas avoir d’enfant supplémentaire.
Il faut impérativement reconnaître les métiers de la petite enfance comme des emplois essentiels. Il faut également démultiplier les canaux de formation. Je salue d’ailleurs une décision de Catherine Vautrin de créer un diplôme de niveau bac qui n’existait pas. Aujourd’hui, on a seulement des CAP ou des diplômes de bac +1 à bac/3. Il était temps de créer un diplôme de niveau bac. Il y a enfin un sujet de revalorisation des rémunérations de ces emplois. On pourrait, par exemple, imaginer aussi que ces personnels soient prioritaires dans l’accès au logement social.
Est-ce plus cher de mettre son enfant dans une crèche privée ?
Non. Le secteur de la petite enfance repose sur un système de subventionnement par la Caisse d’allocations familiales (CAF) qui est le même dans les crèches publiques et dans la majorité des crèches privées. C’est-à-dire que c’est le même prix pour les familles en crèche privée et en crèche publique ou associative. Et malgré la situation économique difficile dans laquelle nous sommes aujourd’hui, je veux redire qu’au sein de notre groupe, il n’y a aucun rationnement sur l’alimentation ou sur les couches, et c’est d’ailleurs extrêmement contrôlé.
Que répondez-vous à ceux qui pourraient être choqués que des groupes privés puissent faire du business sur la petite enfance ?
Aujourd’hui nous ne faisons pas de marge, voire nous perdons de l’argent. Il n’y a jamais aucun dividende qui a été versé aux actionnaires. C’est important de le souligner parce qu’il y a beaucoup de fantasmes là-dessus.
Qu’est-ce qui incite des actionnaires financiers à investir, sachant que c’est un secteur qui demande beaucoup d’investissements financiers – 30 places de crèche à aménager coûtent un million d’euros avant subventions d’investissement ? C’est la croissance : vous intervenez à un instant T dans une entreprise, elle va croître, et vous revendez vos actions d’une entreprise plus grosse.
Vous êtes confiante pour l’avenir de votre secteur à court/moyen terme ?
Nous sommes en ordre de marche pour corriger tout ce qui doit l’être dans notre groupe. Il y a des améliorations à opérer, notamment d’un point de vue administratif. Beaucoup a été fait sur la qualité d’accueil depuis deux ans, et sur tous les « process qualité » que je vous ai présentés. Nous avons des plans d’action de transformation très exigeants. Je conclurai en disant que nous sommes un groupe honnête, engagé aux côtés de l’État pour délivrer une qualité d’accueil exigeante.
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