
Rappelons brièvement la situation actuelle. Le scrutin municipal en France est bicéphale. Dans les communes de plus de 1 000 habitants, il s’agit d’un scrutin de liste. C’est-à-dire que les candidats ne peuvent pas se présenter personnellement, mais seulement par le biais d’une liste de candidats qui doit respecter la parité et l’alternance hommes-femmes. Si la liste n’est pas complète, aucun candidat ne peut se présenter. Le nombre d’habitants conséquent permet en général d’éviter ce tracas. Pourtant, il arrive malheureusement régulièrement qu’aucune liste ne soit présente dans certaines petites villes.
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Au contraire, dans les communes de moins de 1 000 habitants, les candidatures sont nominales : chaque candidat se soumet personnellement au vote des électeurs. Par corollaire, aucune obligation de parité n’est imposée.
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Et voilà l’angle d’attaque pernicieux de la réforme en question. Car derrière le vernis de la parité, dont il n’est pas question ici de contester le principe mais d’interroger la pertinence de son application mécanique, se dessine en réalité un projet autrement structurant — et plus inquiétant : la mise en difficulté organisée de nos petites communes, jusqu’à les pousser à des regroupements forcés sous couvert d’efficience administrative, ou à défaut à leur mise sous tutelle par la préfecture.
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Jusqu’à présent, le scrutin plurinominal permettait d’éviter le carcan d’une liste et l’impératif des alliances politiques, nécessaire dans les grandes villes. Ce mode de scrutin respectait la sociologie de nos petites communes rurales, où les engagements reposent avant tout sur des considérations locales, personnelles, et sur la confiance directe entre les administrés et leurs élus. Il autorisait aussi la constitution de conseils municipaux dans des territoires où l’appétence pour la vie politique organisée est faible, mais où demeure un profond attachement à la gestion locale, pragmatique et détachée des contingences partisanes.
Le passage au scrutin de liste suppose non seulement la présentation d’un nombre prédéfini de candidats, mais aussi le respect strict de la parité alternée. Dans des communes où il est déjà difficile de convaincre quelques volontaires de se présenter, cette exigence de composition équilibrée entre hommes et femmes risque d’aggraver la pénurie de candidatures. Non parce que les femmes seraient moins à même d’exercer des mandats locaux, mais parce qu’ajouter de la contrainte à la contrainte semble relever au mieux d’une démagogie navrante, au pire d’une hypocrisie malsaine. La conséquence est prévisible : incapables de constituer des listes complètes, de nombreuses petites communes seront privées de conseil municipal et placées sous l’administration provisoire de représentants de l’État.
Ces fusions effacent les identités communales et éloignent les habitants ruraux de la décision publique
Loin d’être un accident de parcours, cette situation semble correspondre à un projet plus vaste : accélérer les regroupements de communes sous prétexte de rationaliser la gouvernance locale. Mais ces fusions, opérées souvent sans réel consentement des habitants, brisent des équilibres territoriaux patiemment construits, effacent des identités communales et éloignent la décision publique des citoyens. Pire encore, elles relèguent au second plan le principe fondamental de libre administration des collectivités territoriales, pourtant garanti par l’article 72 de la Constitution.
Aucun système électif n’est parfait, mais l’équilibre actuel, avec ses défauts, permettait néanmoins de tenir compte des spécificités de ces nombreuses communes qui maillent notre territoire et lui donnent sa cohérence si particulière.
Pour tenter de rafistoler un dispositif devenu bancal par leur fait, et l’ajuster tant bien que mal aux réalités locales de ces communes, les députés de l’arc républicain officiel se sont livrés à quelques contorsions législatives assez maladroites.
Premièrement, les listes incomplètes sont tolérées, à condition de ne pas excéder deux sièges vacants. Pourquoi deux ? Nul ne sait. Ensuite, lorsque survient une vacance trop importante au sein du conseil, les élections organisées sont dites complémentaires, comme c’est déjà le cas. On ne renouvelle pas la totalité de l’assemblée comme ailleurs, mais seulement les sièges laissés vides. Curieusement, ces élections demeurent toutefois soumises au scrutin de liste, bien que la complétude des listes ne soit plus exigée. Étrange.
Ce n’est pas tout : la règle de la parité, quant à elle, reste de mise pour ces élections partielles. Dès lors, si cinq conseillères démissionnent, les sièges vacants devront être pourvus par un savant dosage — trois hommes et deux femmes, ou l’inverse — pour préserver l’illusion d’un respect des équilibres entre les sexes. Une parité de façade, en somme, que la réalité concrète des petites communes balaie bien vite.
Cette réforme témoigne d’une vision technocratique de la gouvernance locale
En fin de compte, cette réforme témoigne d’une vision technocratique de la gouvernance locale, qui méconnaît la réalité du terrain et les dynamiques humaines qui animent nos petites communes. Au nom d’une ambition égalitaire dévoyée, on fragilise la démocratie locale et l’on confisque aux citoyens la faculté d’écrire eux-mêmes l’avenir de leur commune.
*Barthélémy Martin est délégué départemental UDR en Charente et spécialiste en droit électoral, la réforme du scrutin municipal.
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