Rien ne va plus entre les professionnels de la pêche et la puissante ONG Bloom, dédiée à la défense de la mer. Cette dernière vient de mettre au point une liste rouge de 4 500 chalutiers – dont plusieurs centaines en France – accusés d’être des « destructeurs ». En effet, l’ONG leur reproche de racler les fonds marins avec leurs grands filets de pêche, notamment dans 565 aires marines protégées en mer d’Iroise, dans le golfe du Lion, le bassin d’Arcachon ou le cap Corse, mais aussi en mer de Corail, au large de la Nouvelle-Calédonie.
Chaque année, indique le communiqué de l’équipe de Claire Nouvian, la directrice générale de Bloom qui a refusé de répondre aux sollicitations du JDNews, ces bateaux « détruisent 670 000 km² d’écosystèmes marins en France ». Bloom demande donc aux « enseignes de la grande distribution de s’engager pour la protection de l’océan » et de ne pas s’approvisionner auprès de ces armements.
Jusqu’à présent, aucun distributeur n’a vraiment répondu favorablement à ces injonctions. E. Leclerc, Carrefour ou Intermarché continuent de proposer sur leurs étals des poissons sauvages, quelle que soit leur provenance. Mais cette annonce a en revanche mis le feu aux pontons et sur les réseaux sociaux : de très nombreux marins-pêcheurs se sont indignés d’être pointés du doigt alors qu’ils ne pêchent pas de poissons dans les aires marines protégées. « Dénigrer nos pêcheurs, écrit l’un d’entre eux, c’est condamner un savoir-faire et toute une filière qui travaille pour nourrir les Français. » « Il faut se révolter », renchérit un autre sur WhatsApp.
Secrétaire général de l’Union française des pêcheurs-artisans – 200 armements adhérents, représentant 600 marins –, Jean-Vincent Chantreau n’y va pas par quatre chemins. Il estime que la volonté de Bloom, comme d’autres ONG telles que Greenpeace France, est d’« arriver, à terme, à totalement interdire la pêche au chalut, non pas seulement dans les aires maritimes protégées, mais partout en mer. On voudrait détruire la filière qu’on ne s’y prendrait pas autrement… », conclut-il.
Prudence au gouvernement
Conscient du danger que représenterait la fin du chalutage, l’État français joue la prudence. En effet, plus d’un tiers des 4 000 navires actifs en France pratiquent cette méthode de capture des poissons grâce à des vastes filets en forme d’entonnoir, fermés au bout et tirés par un bateau. Agnès Pannier-Runacher, la ministre de l’Écologie et de la Pêche, indique que les interdictions de chalutage dans les aires maritimes protégées se feront « au cas par cas » et non de façon systématique comme le réclament les ONG.
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La ministre aura l’occasion de préciser la position française du 9 au 13 juin prochain, à Nice, dans le cadre de la conférence des Nations unies sur l’océan, dont le thème principal portera sur son « utilisation durable ». Car de son côté, l’Europe souhaiterait interdire toute forme de pêche de fonds dans les zones protégées d’ici 2030.
Comme pour l’agriculture, les pays d’importation ne suivent pas les mêmes règles que nos pêcheurs
Fabrice Loher, ministre de la Pêche au sein du gouvernement Barnier, se veut toutefois encourageant pour la filière : « Il faut que notre pêche vive pour que nos professionnels vivent de leur métier et pour défendre notre souveraineté alimentaire. » Cette dernière étant déjà bien mise à mal : la France importe 80 % des produits de la mer consommés, des saumons aux crevettes en passant par les gambas ou le thon. Et comme dans les débats qui concernent l’agriculture, les pays d’importation, hors UE, sont loin de respecter les règles strictes que suivent nos pêcheurs.
Le chalut en première ligne
Mais les pêcheurs eux aussi tiennent à protéger leur environnement de travail qu’est la mer. Et veulent préciser qu’ils sont déjà très encadrés et n’ont absolument pas la liberté de jeter leurs filets n’importe où dans les eaux territoriales et européennes.
En effet, la France et les autres pays de l’UE dépendent des décisions de la Commission qui fixe chaque année, en janvier, en harmonie avec les ministres concernés, des quotas pour pas moins de 200 espèces différentes. Les volumes par pays sont attribués en fonction de l’avancée de l’état des stocks de poissons. En France, ils sont étudiés de près par les scientifiques de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer).
Les pêcheurs sont également tenus de prendre en compte les espaces protégés autour des parcs éoliens marins, les câbles sous-marins, mais également le dérèglement climatique. Les bancs de maquereaux, par exemple, remontent vers le nord, là où les eaux sont plus froides. Résultat, les pêcheurs situés dans la Manche voient leurs quotas de capture diminuer cette année de 33 %, ce qui représente un manque à gagner de l’ordre de 10 000 euros par bateau.
Pour justifier la fin du chalutage, Bloom a fait appel à des scientifiques de l’Institut Agro et du musée national d’Histoire naturelle pour qui « en France, 85 % des volumes de poissons capturés par les chaluts de fond pourraient être pêchés par des techniques moins impactantes », c’est-à-dire les techniques des arts dormants : casiers, filets et ligneurs qui ne raclent pas les fonds. « Attention, le chalutage est la colonne vertébrale de la pêche française », tonne David Le Quintrec, marin depuis trois décennies et propriétaire de l’Izel Vor II, un bateau de 12 mètres. Tous sont prêts à faire – et font déjà – les efforts nécessaires pour une pêche plus vertueuse, mais précisent que leur avenir est aussi en jeu.
215 000 signatures
Car l’angoisse est réelle, la plupart des experts précisant qu’il semble compliqué de transformer un chalutier en fileyeur, qui déposerait ses engins sur le fond avant de venir les relever plus tard. « Le modèle économique est différent d’un mode de pêche à un autre », ajoute Maxime Duchatel, le directeur du Comité régional des pêches de Normandie. L’exemple de la sole est probant. Elle se capture à partir de fileyeurs.
« Imaginons que les chalutiers revoient leurs méthodes de fonctionnement, qu’en sera-t-il si tous ces professionnels se précipitent sur ce type de poisson dont les volumes ont été divisés par deux en dix ans ? Ce sera la faillite », continue David Le Quintrec. Sensible aux critiques, il met en exergue les nombreuses améliorations des techniques du chalutage. À commencer par l’élargissement du maillage, qui laisse désormais partir les juvéniles. « Avec le centre de recherche Ifremer, un travail est mené sur de nouveaux types de chaluts plus légers dans l’eau, et moins abrasifs pour le fond des mers », insiste le marin.
Mais rien n’y fait, et la réconciliation semble inaccessible. Bloom vient d’ouvrir une pétition contre le chalutage, qui a déjà réuni plus de 215 000 signatures. Ils sont, à juste titre, tous soucieux de mieux protéger les océans. Quels qu’en soient les dommages pour la filière… et ceux qui en vivent.
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