
Le cinéma ne sert pas qu’à divertir. Parfois il provoque, dérange, plonge le public dans un malaise profond pour l’amener à réfléchir, à se remettre en question, à bousculer ses convictions les plus intimes. Voici la promesse de La Jeune Femme à l’Aiguille de Magnus von Horn, qui a secoué il y a un an le Festival de Cannes. Sélectionné en compétition, il a récolté dans son sillage onze Polish Film Awards, l’équivalent polonais des César. À raison, tant le choc esthétique et narratif est immense. Installé à Varsovie mais né à Göteborg, en Suède, le réalisateur et scénariste de 41 ans s’intéresse à l’histoire de Dagmar Overbye (1887-1929), tueuse en série danoise coupable de 25 meurtres à Copenhague après la Première Guerre mondiale.
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Il dresse son portrait à travers le regard de l’héroïne (qui représente celui du spectateur) : Karoline, une jeune ouvrière en situation précaire, qu’elle recueille. Cette approche rend supportables les faits qui se sont déroulés il y a plus d’un siècle et qui scandalisèrent l’opinion. On suit donc le destin en 1918 de Karoline, couturière dans une usine et amoureuse de son patron fortuné avec qui elle entretient une liaison. Son mari, qu’elle croyait mort au front, rentre alors qu’elle est enceinte de son amant. Elle croise la route de Dagmar, quadragénaire charismatique qui la prend sous son aile et l’engage comme employée dans sa boutique. Une façade qui dissimule une agence d’adoption clandestine…
La Jeune Femme à l’aiguille frappe d’abord par sa photographie sublime, exploitant le noir et blanc pour effectuer un voyage dans le temps avec une reconstitution précise, documentée, opérer une mise à distance sécurisante (similaire à celle du conte de fées) et convoquer des références aussi géniales que les frères Lumière, l’expressionnisme allemand, avec M le Maudit (1931) de Fritz Lang, ou Freaks (1932) de Tod Browning, car le mari défiguré, « gueule cassée » de retour de l’enfer des tranchées, s’improvise monstre de cirque pour gagner de quoi survivre. « Pour déterminer la mise en scène et la direction artistique, je voulais utiliser des images qui ont marqué la conscience collective, note Magnus von Horn. Bien sûr, l’action se situe à Copenhague, mais on dirait l’Angleterre industrielle décrite par Charles Dickens dans ses romans. Je me suis abreuvé de photographies d’antan pour esquisser l’univers visuel. »
Un film d’horreur, amoral, cruel et impitoyable
En résulte un film d’horreur amoral, cruel et impitoyable, porté par Victoria Carmen Sonne et l’extraordinaire Trine Dyrholm, l’actrice fétiche de Thomas Vinterberg (Festen), dans le rôle très controversé de Dagmar Overbye. Le cinéaste replace les événements dans leur contexte pour évoquer le statut de la femme au début du XXe siècle, sans jamais porter de jugement. « Elle aidait les jeunes filles en détresse et leur proposait une alternative à l’avortement, alors illégal, en leur assurant de trouver une famille d’accueil pour leur bébé, qu’elles n’avaient pas désiré ou dont elles ne pouvaient pas s’occuper. » Beaucoup l’ont payée pour qu’elle les débarrasse de ce fardeau. « Sur la vingtaine qui l’ont sollicitée, une seule est revenue pour récupérer l’enfant. Toutes les autres ne se sont pas inquiétées de ce qui lui était arrivé. »
La jeune femme à l’aiguille ★★★ de Magnus von Horn, avec Victoria Carmen Sonne, Trine Dyrholm. 2 h 02. Sortie mercredi.
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