À l’inverse des nombreux thrillers aux couleurs froides et aux ambiances nocturnes, cette mini-série déploie sa sombre histoire de crimes sous le soleil du Midi. Non dans un Sud si souvent visité par la fiction, qu’il soit purement rural ou urbain, mais dans l’un de ces territoires de l’entre-deux faits de zones industrielles, commerciales et pavillonnaires. Cette France périphérique s’incarne ici via l’imaginaire Peranne, inspirée des villes-dortoirs Gardanne, Marignane et Vitrolles qui entourent l’étang de Berre, à l’ouest de Marseille. Un paysage contrasté où pins d’Alep et garrigue surplombent les usines et les friches. Où les espoirs des classes moyennes ont été plombés par la désindustrialisation. Où le Front national a fait son trou dès la fin du siècle dernier.
Écrite par le jeune Thibault Vanhulle d’après une idée conjointement développée avec l’expérimenté Thomas Bidegain (coscénariste notamment de Jacques Audiard), Cimetière indien greffe ces sujets sociaux et sociétaux à une intrigue captivante qui entrecroise deux temporalités et deux affaires : les scalpations d’un imam de Peranne en 1995, puis, de nos jours, du maire de l’époque.
Près de trente ans après avoir résolu la première en étant cornaqué par Jean Benefro, un ancien lieutenant de la gendarmerie locale hanté par ses souvenirs d’ancien soldat en Algérie, Lidia Achour, ex-enquêtrice de l’antiterrorisme à la brillante carrière, revient dans la région pour enquêter sur la seconde, cette fois auprès d’un autre lieutenant. Depuis longtemps retraité, Jean a quant à lui disparu mystérieusement. L’homme mis sous les verrous dans les années 1990 était-il coupable ? Les deux crimes sont-ils en fait l’œuvre d’un seul et même tueur ? Pourquoi un mode opératoire aussi barbare ?
Avec son va-et-vient temporel, Cimetière indien brouille les pistes comme le veut le genre qu’il épouse, non sans regarder du côté de la première saison de True Detective (2014), influence revendiquée ; mais plus que l’identité du tueur qui se dessine avant sa conclusion, ce sont les motivations et les raisons l’ayant conduit à le devenir qui font son sel : le poids de son histoire personnelle ainsi que celle de l’histoire de France avec un grand H, en l’occurrence la guerre d’Algérie et ses stigmates ; la haine que le temps n’a pas dissipée et ses conséquences. D’où son titre évoquant une malédiction née des fautes du passé. « Le cimetière indien symbolise le retour du refoulé, développe Thibault Vanhulle. Les fantômes qu’on a voulu conjurer et qui reviennent hanter les vivants. »
Le thriller caniculaire ajoute celle de l’envelopper d’une atmosphère étrange et inquiétante, loin du naturalisme
Avec l’idée d’ancrer le moteur du drame et du crime dans quelque chose qui nous concerne collectivement. « La série participe à ce que notre société continue à regarder dans le rétroviseur, à s’interroger sur notre identité contemporaine à l’aune de notre histoire récente, et si elle amène les plus jeunes à le faire aussi, j’en serais très heureux. »
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Tirant profit des décors, westerniens pour certains, les réalisateurs successifs, Stéphane Demoustier (La Fille au Bracelet, Borgo) et Farid Bentoumi (Good Luck Algeria, Rouge), optent pour une approche organique et immersive. La manière est aussi soignée que la matière est riche, puisant dans la réalité d’un territoire. Le thriller caniculaire ajoute celle de l’envelopper d’une atmosphère étrange et inquiétante, loin du naturalisme.
Sous un soleil de plomb évoluent des personnages complexes incarnés par une distribution solide : Mouna Soualem (Oussekine) aussi convaincante en jeune recrue ambitieuse qu’en haute fonctionnaire au parcours pas si exemplaire, Olivier Rabourdin (Eastern Boys) impeccable en gendarme désabusé, et Idir Azougli (Diamant brut), ici trouble et plein d’enfance à la fois. Des acteurs non professionnels ou peu expérimentés issus de la région, Marina Dol et Robin Mannella, apportent un surplus de vérité à l’ensemble. On les suit au fil de cet audacieux thriller qui entrelace brillamment ces deux décennies comme les nombreux sujets qu’il convoque.
Cimetière indien ★★★, de Thibault Vanhulle et Thomas Bidegain, avec Mouna Soualem, Olivier Rabourdin. Huit épisodes de 52 minutes. Demain à 21h05.
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