«Ne serait-ce qu’en Île-de-France, s’il y avait plus de bornes de recharge, nous ferions beaucoup moins de business », ironise Antoine Roussel, PDG de Tankyou, cette start-up industrielle fondée en 2016 spécialisée dans l’accompagnement des flottes de véhicules d’entreprise dans leur transition énergétique. « Dans cette zone, il faudrait qu’il existe un point de recharge pour deux voitures électriques, contre un pour treize aujourd’hui. Au moins deux cents stations de gaz au lieu des quarante actuelles, et aussi multiplier par huit, minimum, les dix petites stations de recharge en hydrogène qui existent ! », poursuit l’entrepreneur de 42 ans.
Son concept ? Il est aussi génial que novateur. Car si les automobilistes ne peuvent pas aller jusqu’à l’énergie… c’est l’énergie qui doit aller à eux ! En livrant du diesel, du biodiesel, du gaz, du GNV (gaz naturel pour véhicules), de l’électricité, et peut-être de l’hydrogène prochainement, Tankyou se substitue ainsi astucieusement aux stations-service traditionnelles : « On les a miniaturisées et montées sur roues pour les rendre mobiles. Mais uniquement en B2B, soit pour les véhicules d’entreprise. »
Rétropédalage
Leader en France dans ce secteur, Antoine Roussel compte à ce jour près de 400 clients, et pas des moindres. Citons la Mairie de Paris, pour tous ses véhicules dédiés à la propreté, la RATP et ses bus dits « verts », mais aussi Sodexo, Elior et plusieurs entreprises du BTP, qui font appel chaque semaine à Tankyou, notamment pour être livrées en biogaz, cette précieuse substance qui promet un impact en CO₂ diminué de 80 %. Alors, puisque, depuis 2020, les entreprises sont tenues de composer leurs flottes avec au moins 20 % de véhicules non thermiques… jouent-elles vraiment le jeu ? Qu’elles fassent appel à des sociétés comme Tankyou ou non, la réponse est hélas négative : « Il y a un vrai retard, souligne Antoine Roussel, à cause de la pénurie de points de ravitaillement évoquée, mais aussi parce que le nombre de véhicules disponibles et les gammes étaient, au départ, loin d’être au rendez-vous. Il faudrait investir massivement dans les infrastructures, ce qui n’est pas encore le cas. »
En outre, si la transition énergétique était bien revenue au premier plan des préoccupations des entreprises après le Covid, on constate un important rétropédalage depuis le début de la guerre en Ukraine : « Pour le prix du gaz, on est alors passé de 80 centimes à 3,50 euros le kilo ! Beaucoup ont aussitôt privilégié leurs comptes et leurs résultats plutôt que leur bilan CO₂, car ces nouveaux véhicules coûtent cher, à tous points de vue… » La politique d’incitation, notamment liée aux subventions mises en place, est-elle insuffisante ? Poursuivant cette logique de « bonus écologique » mis en place par l’État depuis 2008, les entreprises bénéficient de nombreux avantages financiers : jusqu’à 1 500 euros pour l’achat d’une voiture 100 % électrique et 8 000 euros de prime à la conversion pour l’achat d’une camionnette neuve (en remplacement de l’ancienne). Par ailleurs, les sociétés bénéficient d’une exonération de taxes à l’utilisation (ex-TVS) pour les voitures électriques et hybrides rechargeables. Par essence, les flottes d’entreprise disposant de véhicules 100 % électriques s’affranchissent totalement de la taxe annuelle sur les émissions de CO₂.
« Mais, malgré toutes ces aides, qui sont en outre en baisse, on voit bien que ça ne fonctionne pas… Les objectifs sont trop ambitieux. Et les entreprises rechignent à acheter un véhicule électrique pour un salarié qui, souvent en parallèle, continuera encore d’utiliser l’ancien », déplore Antoine Roussel. Une donnée confirme ce constat inquiétant : fin septembre 2024, les véhicules 100 % électriques ne pesaient en effet qu’un peu plus de 11 % du mix énergétique des flottes automobiles d’entreprise. Qu’il s’agisse des sociétés concernées, des constructeurs automobiles ou des entreprises spécialisées en approvisionnement d’énergie, la plupart dénoncent des législations en mouvement constant, et qui manquent cruellement de clarté. « Regardez, rien que le 27 mars dernier, l’Assemblée nationale a voté la suppression des zones à faibles émissions en commission dans le cadre du projet de loi de simplification. Ce type de signaux est catastrophique. Il faudrait un cadre fixe qui ne bouge plus pendant les 5 à 10 prochaines années. C’est ce que réclame toute la filière. »
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L’objectif semble insensé
La question est sur toutes les lèvres : sachant que 2035 est censée marquer la fin des ventes de véhicules thermiques dans l’Union européenne au profit des véhicules électriques, le compte à rebours n’est-il pas un peu trop présomptueux ? Même si la France est censée en produire au moins 2 millions d’ici à 2030, l’objectif semble clairement insensé pour le PDG de Tankyou : « Pour les particuliers comme pour les entreprises, l’électrique finira par s’imposer de façon pérenne, certes. Mais posons la question différemment : est-ce que ce sera pour 2050, voire pour 2100 ? Mais ce ne sera a prioripas avant. »
En résumé, pour des questions de coût, d’infrastructures, mais aussi de cohérence gouvernementale, cette transition énergétique – au niveau des flottes d’entreprise – tant espérée risque d’être laborieuse. « C’est pour cela qu’une entreprise comme la nôtre, qui permet de contourner les problématiques évoquées, existe aujourd’hui. » Il y a néanmoins un signe encourageant : au cours du premier trimestre 2025, les mises en service de voitures électriques ont augmenté sur les canaux B2B. En mars, leur part de marché atteignait en effet 22,9 %, contre 13,3 % l’an dernier à la même époque (source AAA Data). Alors, même si la route est encore longue, chaque petit coup d’accélération compte, et comptera.
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