Mettre fin au « tir aux pigeons ». Voilà l’un des objectifs du texte qui entrera en vigueur aux prochaines élections municipales. Il étendra le mode de scrutin de liste paritaire hommes-femmes aux 25 000 petites communes rurales de moins de 1 000 habitants en remplacement du système actuel majoritaire plurinominal à deux tours. Exit donc le fameux panachage permettant aux électeurs de rayer des noms qui ne leur convenaient pas sur une liste. Une pratique qui favorisait les règlements de compte personnels sur les bases de conflits familiaux ou de voisinage. Les villes et villages de France seront maintenant logés à la même enseigne.
Mais l’adoption au Parlement n’a pas été un long fleuve tranquille. Il a fallu plusieurs interruptions de séance pour entériner la proposition de loi, ce lundi 7 avril à l’Assemblée nationale. Les députés de droite ont même cru s’en être débarrassés après le vote d’un amendement à 142 voix contre 141 grâce à l’appui des communistes. La demande du gouvernement d’une deuxième délibération pour finalement revenir au texte initial a provoqué de vives réactions dans l’Hémicycle. Son passage au Sénat à la mi-mars avait déjà suscité de profondes divisions avant d’être voté par 192 voix contre 111.
« Le reflet d’une idéologie et non d’une volonté de défendre les petites communes »
« Obliger les communes rurales à mettre en place des listes paritaires, c’est oublier les tout petits villages pour qui ça sera impossible par manque de candidates », déplore au JDD le sénateur LR Étienne Blanc. Selon l’ancien maire de Divonne-les-Bains (Ain), c’est un moyen insidieux de supprimer les petites communes : « Ça fait des années qu’on est dans une logique de fusion au profit d’intercommunalités. Ce texte est le meilleur subterfuge pour en provoquer de nombreuses en dépit de l’histoire de notre pays ».
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Au Palais-Bourbon, outre les Républicains, le Rassemblement national était également contre cette proposition de loi. « Elle est le reflet d’une idéologie et non d’une volonté de défendre les communes rurales », a lancé le député lepéniste Julien Limongi. « Je tiens à défendre le panachage qui permet l’élection des candidats indépendants et garantit que les élections puissent se tenir dans les communes où le nombre de candidats est limité », a-t-il poursuivi. Avant d’ajouter à l’adresse du bloc central : « Il garantit aussi la liberté des électeurs de rayer un certain nombre de noms. Une liberté que vous avez du mal à défendre quand ça ne vous concerne pas ».
En substance, les communes de moins de 100 habitants devront maintenant présenter au moins 2 femmes sur une liste d’une dizaine de conseillers. Celles de moins de 500 habitants, 4 femmes minimum sur une douzaine de conseillers. Et pour les villes de moins de 1 000 habitants, il faudra au moins 6 femmes sur 15. Pendant les débats parlementaires, les chiffres ont régulièrement été rappelés : 80 % des maires sont des hommes et les femmes ne représentent que 37,6 % des conseillers municipaux dans les communes de moins de 1 000 habitants, contre près de 50 % dans les villes plus densément peuplées. « Les députés et sénateurs ont toutefois défendu une parité sans contraintes pour ne pas pénaliser les communes qui n’arrivent pas à tenir l’objectif », souligne au JDD l’analyste d’opinion Paul Cébille.
Cette réforme était défendue par les associations d’élus locaux depuis de nombreuses années. « Notre position est similaire depuis plus de 10 ans. Lorsque le même texte avait été voté pour les communes de 3 500 à 1 000 habitants en 2013, on entendait les mêmes procès en déconnexion. Finalement, tout s’est très bien passé », assure au JDD le vice-président de l’Association des Maires de France (AMF) Guy Geoffroy. « On aurait préféré que cette loi arrive plus tôt mais son adoption est une excellente nouvelle », se réjouit auprès du JDD le directeur de l’Association des maires ruraux Cédric Szabo. « Il y a un vivier de femmes dans le monde associatif rural qui laisse penser que l’incitation à s’engager dans la politique locale se réalisera », prédit-il.
« Cette loi va me handicaper… car je vais devoir trouver des hommes »
Si de nombreux maires craignent de manquer de candidates, dans certaines communes, c’est tout le contraire. « Cette loi va me handicaper car je vais devoir trouver des hommes. Je suis maire depuis 1995 dans un village de 900 habitants et j’ai toujours eu une majorité de femmes sur mes listes », lance avec fierté l’édile de Cléden-Cap-Sizun (Finistère). « Il était temps que les législateurs franchissent le pas. Les femmes sont majoritaires en France, c’est donc normal qu’elles soient représentées dans les instances institutionnelles », ajoute-t-elle auprès du JDD. « L’incitation à la parité hommes-femmes est une tendance qui a sans doute son utilité mais n’a provoqué aucune amélioration de la place des femmes dans le monde politique. Il n’y a aucune différence par rapport aux pays qui n’ont pas légiféré à ce sujet », précise de son côté le rédacteur en chef d’Hexagone Paul Cébille.
D’autres déplorent le sens des priorités des parlementaires, alors que depuis 2020, 2 400 maires ont démissionné et 57 000 sièges de conseillers municipaux sont vacants. Dans ce sens, le texte autorise le dépôt de listes incomplètes tout en fixant un seuil minimum de candidats par liste : 5 dans les communes de moins de 100 habitants, 9 dans celles de 100 à 499 et 13 dans les villes de 500 à 999. Sûrement pas de quoi réconcilier les deux camps opposés au texte.
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