Le JDD. Europol s’inquiète du changement d’ADN du crime organisé en Europe. C’est-à-dire ?
Jean-Philippe Lecouffe. Nous observons la façon dont le crime est facilité et augmenté par l’intelligence artificielle, la manière dont il se déporte sur l’espace numérique et sa capacité à déstabiliser nos sociétés.
L’IA décuple-t-elle vraiment l’action du crime organisé ?
L’IA permet une massification du crime organisé, elle lui donne des outils de sophistication très supérieurs à ce qui existait jusqu’alors. Et ce, avec une certaine facilité, puisque les grands outils d’intelligence artificielle ne requièrent pas nécessairement des compétences de développeur informatique.
L’IA offre par exemple aux dealers de s’adresser à des dizaines de milliers de clients dans toutes les langues possibles. Elle donne la possibilité de créer des faux documents extrêmement crédibles en quelques clics. D’une certaine manière, l’intelligence artificielle facilite le travail des criminels.
La suite après cette publicité
Quels secteurs du crime organisé sont le plus concernés par l’IA ?
Tous le sont, mais certains plus que les autres. La pédocriminalité, par exemple, est particulièrement touchée. Nous constatons l’émergence du phénomène de sextortion, qui consiste à coller les visages de jeunes adolescentes sur le corps d’actrices pornographiques en train de tourner un film, grâce au deepfake.
Les criminels envoient ensuite ces vidéos à leurs victimes et les menacent de les publier sur Internet. Ils leur demandent en échange de se filmer nues et d’envoyer les images, qui se retrouvent ensuite monnayées sur les réseaux… Il existe en fait toute une mécanique du « faux » générée par IA. Faux emails, fausses voix qui imitent vos proches et vous demandent de l’argent, faux virements bancaires…
Et quid du terrorisme ?
En matière de terrorisme, l’IA permet de construire une propagande djihadiste efficace en détectant les individus les plus susceptibles de se radicaliser en ligne, et de leur adresser le matériel de propagande le plus approprié. Nous sommes aussi préoccupés par l’usage terroriste des drones, et l’IA peut jouer un rôle dans le pilotage automatique de ceux-ci.
« Il existe toute une mécanique du “faux” générée par IA »
Appelez-vous les citoyens à faire preuve d’une plus grande vigilance face à la menace ?
Europol s’adresse plus aux responsables politiques et sécuritaires nationaux et européens qu’au grand public. Mais oui, évidemment, l’heure doit être à la prudence, à la vigilance et à l’hygiène numérique.
Sur le sujet de l’IA, les criminels ont-ils pris de l’avance sur les policiers ?
Partout en Europe, des mesures sont prises par les États membres. À Europol, nous utilisons l’intelligence artificielle sans complexe, dans un cadre juridique clair et respectueux des données personnelles. Nous ne laisserons pas le fossé se creuser entre les criminels et nous, et nous regardons des choses comme le metaverse, la blockchain et les cryptomonnaies, afin de comprendre quels en sont les possibles usages par les criminels, mais aussi par nos services et les services des États membres. L’IA peut et va nous aider pour nos enquêtes, car notre objectif est clair : nous ne devons laisser aucun sanctuaire aux criminels.
Source : Lire Plus