Situé en fond de cour d’un bel immeuble parisien, l’appartement de Serge, 90 ans, et Beate, 86 ans, Klarsfeld, ne ressemble pas à celui de paisibles retraités. Du sol au plafond, des milliers de livres, des dossiers et des magazines éparpillés dans un studieux désordre, démontrent toute l’activité intellectuelle du couple sur lequel veille leur fils Arno, qui habite au cinquième étage.
Le JDNews. Dès le début des années 1970, vous êtes allés traquer Klaus Barbie en Bolivie. Il n’aura finalement été extradé qu’en 1983. Quand le procès débute à Lyon, en 1987, comment vous sentez-vous ?
Beate Klarsfeld : Soulagés. Je suis allée plusieurs fois en Bolivie, c’était une véritable expédition : à l’époque, il fallait changer d’avion plusieurs fois, les moyens de communication n’étaient pas les mêmes… On a aussi beaucoup investi et on a été victimes de tentatives d’attentat ; on a reçu des colis piégés. Mais une fois au procès, nous n’avions aucun doute sur l’issue.
Avez-vous connu des phases de découragement ?
Serge Klarsfeld : Oui, car plusieurs tentatives pour ramener Barbie en France ont échoué. Au début des années 1970, une amie allemande à laquelle nous avions payé une robe et de belles chaussures s’est infiltrée au Cercle allemand. Elle est arrivée le mardi à La Paz, le samedi soir elle dînait avec Barbie. En 1972, j’ai monté une opération avec des militaires pour enlever Barbie. Mais la voiture que nous avions achetée a eu un accident sur la route : elle a rencontré un lama. Il a fallu attendre la chute de la dictature bolivienne qui le protégeait pour qu’il soit enfin extradé.
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Vous vous êtes rencontrés en 1960 à Paris. Comment avez-vous décidé un jour d’unir vos forces pour vous lancer dans la traque aux nazis ?
S. K. : On s’est mariés pour être heureux, pas pour mener un combat. Nous avions une vie normale jusqu’à ce que Beate soit renvoyée de l’Office franco-allemand de la jeunesse.
« Après la guerre, les Allemands ne se sentaient même pas coupables »
B. K. : Mon père a été envoyé au front par la Wehrmacht. Après la guerre, les Allemands ne se sentaient même pas coupables. Au contraire, ils rouspétaient d’avoir perdu la guerre, d’avoir vécu sous les bombardements et de ne plus rien avoir à manger. J’ai eu une prise de conscience en rencontrant Serge et ma future belle-mère qui m’a raconté la déportation de son mari, cela m’a bouleversée.
S. K. : En 1965, je suis allé à Auschwitz [où son père est décédé, NDLR]. J’ai compris la nécessité de défendre la mémoire juive ainsi qu’Israël. Nous sommes toujours restés sur cette ligne-là. Nos enfants, Arno et Lida, ont été confrontés très jeunes à l’antisémitisme : quand notre voiture a explosé, toutes celles du quartier ont sauté avec !
Le combat n’est pas fini. Les actes antisémites se multiplient en France. Comment l’expliquez-vous ?
S. K. : Israël ne montre pas vraiment ce qui s’est passé le 7 octobre, excepté à ceux qui se rendent sur place. Alors que, tous les jours, à la télévision, on nous montre les bombardements à Gaza. Les jeunes sont sensibilisés à ce problème mais ils ne comprennent pas les arrière-plans historiques. Ils voient Israël comme un bourreau, un colonisateur impitoyable, ils ne retiennent que la souffrance des Palestiniens.
B. K. : Au lendemain du 7 octobre, l’opinion aurait dû se rendre compte du danger que représentait cet attentat. Or, les marches dans Paris contre l’antisémitisme n’ont pas rassemblé tant de monde que cela. Emmanuel Macron n’était même pas là, contrairement au Rassemblement National…
Est-ce pour cela que vous vous êtes rapprochés du RN ?
S. K. : L’extrême gauche a pris la place de l’extrême droite, elle diffuse l’antisémitisme. Entre les islamistes et le parti de Mélenchon, il y a une alliance, une complicité, alors que le RN a manifesté des positions pro-juives et pro-israéliennes. Nous ne sommes pas sectaires. Les gens peuvent changer, les partis aussi !
Au point de voter RN ?
S. K. : Nous votons au centre. Mais si, au second tour d’une élection, nous avons à choisir entre le parti de Mélenchon et celui de Marine Le Pen, il est logique que nous votions, comme l’ensemble des juifs, pour celui qui nous défend, plutôt que pour celui qui souhaite la disparition d’Israël.
« En prenant position pour Marine Le Pen, nous sommes potentiellement menacés »
Quelles garanties vous donne Marine Le Pen ?
S. K. : Elle a reconnu la loi Gayssot [première loi mémorielle promulguée en 1990, NDLR]. Quant à Jordan Bardella, il a affirmé, en Israël, qu’attaquer le sionisme est une marque d’antisémitisme. On avance. Je souhaite qu’en juillet, le RN reconnaisse le discours de Jacques Chirac [de 2005, sur la responsabilité de Vichy dans la déportation, NDLR]. Marine Le Pen a aussi éliminé les cadres antisémites de son parti. Lors des cérémonies du 16 juillet, elle a dit ce que représentait pour elle la rafle du Vel’ d’Hiv. On l’a rencontrée, on a donc aussi un jugement humain. On la croit sincère. La direction des grandes organisations juives suspecte le contraire. On sera départagés par les événements.
Que pensez-vous de la volonté du président américain Donald Trump qui veut transformer Gaza en Riviera ?
B. K. : Cela nous fait sourire car c’est tout simplement irréalisable.
S. K. : Donald Trump veut la paix. Mais elle me semble impossible tant que les pays musulmans du Proche-Orient n’acceptent pas l’existence de l’État d’Israël.
Avec le conflit russo-ukrainien, on évoque une possible troisième guerre mondiale. Vous qui avez connu la seconde, cela vous effraie-t-il ?
S. K. : Non, nous ignorons tout des négociations entre Trump et Poutine mais il semble évident que chacun veut avoir sa zone d’influence en évitant d’entrer en conflit.
Vous sentez-vous menacés comme l’affirmait récemment Arno ?
B. K. : Je ne sais pas. Il y a quelque temps, on a eu des appels anonymes, on avait même des gardes du corps, puis ça s’est calmé.
S. K. : En prenant position pour Marine Le Pen, nous sommes potentiellement menacés.
À regarder : « Le procès de Klaus Barbie », mardi 8 avril, 21h10 sur France 2 .
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