Cédric Benoist hausse le ton, et pas seulement pour couvrir le bruit de son tracteur, en plein semis des tournesols. Le secrétaire général adjoint de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB) s’inquiète des conséquences des secousses géopolitiques : « Le cours du blé est en train de dégringoler… Depuis deux ou trois semaines, on observe une volatilité assez vertigineuse… » Les céréaliers français, déjà marqués par deux années noires, craignent désormais les droits de douane brandis par Donald Trump et leurs retombées indirectes, « par exemple, du colza canadien qui ne serait plus vendu aux États-Unis mais sur des marchés qui sont aujourd’hui les nôtres… »
Les autres filières exportatrices s’émeuvent aussi des « tarifs » annoncés, à commencer par les vins et spiritueux, mais aussi le porc ou le lait… « On revit de façon plus large le précédent de 2019 », rappelle François-Xavier Huard, président de la Fédération nationale de l’industrie laitière (Fnil). Fromages, yaourts, beurre… les produits laitiers français exportés aux États-Unis forment un marché de 350 millions d’euros, qui a doublé en quinze ans.
La production française exportée est aussi dans le viseur de la Chine (un marché de 600 millions), elle est nulle en Algérie depuis septembre 2024… « Au total, ce sont 10 % des exportations françaises qui sont bloquées ou en passe de l’être », note le PDG de la Fnil. Inquiet, le secteur espère « une réponse très forte des autorités nationales et européennes. Le réarmement passe par la souveraineté industrielle et alimentaire ! Il faut être ferme face à Donald Trump, sans surréagir. Mais la véritable riposte attendue, c’est la compétitivité, pour ancrer nos entreprises dans un marché mondial qui n’attend pas que la Commission européenne sorte une nouvelle norme… »
Pour les céréaliers s’ajoute la préoccupation des sanctions qui visent les engrais russes depuis janvier, impulsées par la Commission et actuellement discutées au Parlement européen. L’agriculture n’est plus sanctuarisée et voilà les producteurs pris en tenaille : « D’un côté, nos prix baissent, de l’autre, nos coûts de production risquent d’exploser », alerte Cédric Benoist. Les importations françaises de fertilisants russes – ultra-compétitifs grâce au gaz très bon marché – ont bondi de 80 % en deux ans, comme l’avait révélé le JDD.
10 % des exportations sont bloquées ou en passe de l’être
Se rabattre d’un coup sur les trop rares fabricants européens, « c’est se faire laminer sur les prix à coup sûr », dénonce l’AGPB. « Alors que l’on parle d’économie de guerre, c’est se tirer une balle dans le pied ! », clame Éric Thirouin, son président. Les producteurs de blé espèrent obtenir un report des sanctions graduelles à juillet 2026, et a minima, une abrogation des droits de douane et des taxes antidumping sur les autres pays pour diversifier la provenance des engrais. « Aucune étude d’impact n’a été conduite », déplore un acteur important du secteur, remonté contre cette « mise en danger de toute la filière » et l’incapacité du gouvernement français à s’imposer contre ces sanctions qui ont surgi à contretemps.
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« L’agenda de la Commission est impénétrable », souffle Céline Imart, députée (LR-PPE) au Parlement européen et agricultrice elle-même, qui tente d’infléchir ces sanctions par des amendements : « Les Russes ont organisé notre dépendance. Je soutiens la volonté de ne pas financer leur effort de guerre, mais pas en faisant exploser les coûts de production de nos agriculteurs qui n’ont pas besoin de ça ! » La version finale devrait être scellée avant l’été, période où les agriculteurs achètent leurs engrais pour le printemps suivant… Et la riposte européenne au protectionnisme américain ? « Elle devrait être plus rapide, estime Céline Imart. Le défi est d’être unis : tout le monde a peur de flinguer ses propres secteurs… »
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