Pas évident de se faire un nom dans un sport dont l’histoire récente s’est souvent résumée en France aux exploits de Martin Fourcade. À sa manière, « QFM » y est parvenu. Aux Jeux de Pékin en 2022, le natif de Champagnole, près de Lons-le-Saunier, a décroché deux titres olympiques en individuel et trois médailles d’argent. Avant lui, jamais un athlète tricolore, toutes disciplines confondues, n’était monté à cinq reprises sur un podium lors des mêmes JO d’hiver. Vainqueur dans la foulée de la Coupe du monde, Quentin Fillon Maillet connaît ensuite deux saisons compliquées. Celle qui s’achève l’a vu revenir aux avant-postes : à 32 ans, il a terminé cinquième du classement général de la Coupe du monde, remportée par le Norvégien Sturla Lægreid devant son compatriote et légende de la discipline Johannes Boe, désormais retraité.
Le jeune Savoyard Éric Perrot, 23 ans, complète le podium. « QFM » sera en Italie la semaine prochaine pour disputer la 72e édition du Tournoi international des douanes, administration à laquelle il est lié par un contrat de sportif de haut niveau. En attendant, il dresse un premier bilan de sa saison et se projette avec ambition sur les Jeux olympiques de Milan-Cortina, dans moins d’un an.
La saison 2024-2025
« Elle est un peu mitigée. Je sortais de deux saisons compliquées, j’avais donc vraiment à cœur de retrouver mon plein potentiel. Dès le début, j’ai senti que la forme sur les skis était bien meilleure, mais le tir toujours très fragile. Je suis resté positif tout au long de l’hiver. Les Mondiaux [organisés en Suisse au mois de février, NDLR] n’ont pas été excellents, même s’il y a eu quatre médailles [dont le titre en relais simple mixte]. Je me suis senti bien mieux en fin de saison. Ce qui me permet d’espérer ‘‘gros’’ l’année prochaine. »
Le Tournoi des douanes
« Notre sport est né avec les forces armées et les douanes. C’est pour ça qu’on a des contrats avec ces institutions. Aujourd’hui, on n’a plus à surveiller les frontières, un fusil dans le dos et avec les skis durant l’hiver, mais je trouve que la symbolique du Tournoi des douanes est intéressante. Il ramène à nos origines. Même si c’est une compétition, j’y vais avec plus de légèreté que sur la Coupe du monde. Je continue à faire un peu de sport jusque-là. Ensuite, je serai en vacances. »
Notre sport est né avec les forces armées et les douanes. C’est pour ça qu’on a des contrats avec ces institutions »
Les deux saisons compliquées
« Ça m’a rongé de l’intérieur. J’investis presque toute ma vie pour le biathlon. Au quotidien, je fais attention à ce que je mange, à ce que je bois, à la durée de mon sommeil, à l’énergie que je dépense en dehors de mon sport pour en garder le maximum pour les compétitions et les entraînements. J’attends beaucoup en retour de cet investissement. Quand je me retrouve en compétition et que ça ne marche pas, c’est dur pour moi. D’un autre côté, il faut relativiser. Ma compagne a eu un cancer en 2018, l’année des Jeux de PyeongChang. Quand elle a été guérie, j’ai pris du recul : ‘‘OK, je fais mon sport, mais la santé de mes proches est largement plus importante.’’ Après ma saison exceptionnelle en 2022 [deux titres olympiques et vainqueur du classement général de la Coupe du monde], je me suis mis à courir après les résultats. Je ne réussissais plus à prendre du recul. Ma compagne me l’a récemment rappelé et ça m’a fait réfléchir parce que c’est vrai que si je perds une Coupe du monde, je suis déçu, mes supporteurs aussi, mais on est loin d’une catastrophe. »
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Les Jeux de 2026
« Cela fait déjà un petit moment que j’y pense. J’ai un peu réfléchi aux points d’évolution pour la saison prochaine. Tout en étant dans l’instant présent, je suis déjà tourné vers 2026. Vais-je continuer jusqu’en 2030 ? Je ne sais pas. L’objectif désormais, c’est vraiment Cortina. Je pense que j’aurai toujours envie de continuer après, mais il faudra faire des adaptations pour ne pas tomber dans la lassitude. Je ne veux pas devenir mauvais conjoint, mauvais papa pourquoi pas, et mauvais sportif. Je ne veux pas être moyen un peu partout. Pour l’anecdote, les deux frangins Boe arrêtent pour des raisons familiales et non sportives. »
Le tir à la carabine, talon d’Achille ?
« Je ne peux pas donner tous mes secrets pour l’améliorer. J’espère que les Norvégiens ne lisent pas la presse française [sourire]. C’est compliqué de vulgariser. Sur le principe, le tir est très simple. Il faut viser la cible. La difficulté, c’est qu’on est émoussé, fatigué. Les émotions, le stress, le public viennent complexifier le tir. Aujourd’hui, le problème vient surtout du tir couché. Je bouge beaucoup. C’est lié à mon rythme cardiaque que je ressens au bout de la carabine. Je dois trouver des solutions pour réduire les battements de l’artère qui passe dans le bras gauche et qui me font bouger. »
Le travail des techniciens
« Imaginez, c’est comme si, en radio, du jour au lendemain, on vous disait : ‘‘Le micro n’existe pas, trouvez un autre moyen de retranscrire les sons.’’ C’était à peu près pareil quand ils ont interdit le fluor, qui est un système ultra-performant, mais polluant [les fédérations internationales de biathlon et de ski ont proscrit depuis deux ans l’utilisation de ce produit nocif utilisé pour le ‘‘fartage’’, qui permet d’améliorer la glisse]. La saison dernière, on avait encore peu de connaissances sur les nouveaux produits. Il y a eu des courses exceptionnelles et d’autres catastrophiques. Cette année, avec l’expérience, les techniciens, et je veux les remercier, ont trouvé des méthodes qui marchent vraiment bien. Je ne pourrais pas les expliquer. Le fartage des skis est tellement compliqué. C’est une combinaison de plusieurs facteurs. C’est un vrai casse-tête. »
« Éric a vraiment de beaux jours devant lui. Ça ne m’a pas blessé qu’il termine devant moi »
L’avènement d’Éric Perrot
« C’est à la fois un coéquipier sur les relais et un adversaire sur les courses individuelles. J’ai senti son gros potentiel dès son arrivée [en équipe de France], il est intelligent et vraiment très mature. Éric a vraiment de beaux jours devant lui. Ça ne m’a pas blessé qu’il termine devant moi [au classement de la Coupe du monde]. Franchement, gros respect à lui. Je n’ai pas d’animosité, on échange bien, et je préfère qu’il y ait un Français devant que d’autres nationalités. C’est sûr que pour les années à venir, il sera un sacré rival. Mais c’est cool d’avoir cette rivalité, elle permet de se surpasser. »
32 ans, l’âge de la retraite ?
« Je deviens un vieillard du biathlon. J’en rigole parce que, dès que tu entres dans la trentaine, on te compare à un vétéran du biathlon et on commence à te demander : ‘‘Que vas-tu faire après ? Quand arrêtes-tu ?’’ Je ne me préoccupe pas trop de mon âge. Je me sens toujours jeune. Ce ne sont pas des questions qui me passent par la tête. C’est vrai qu’après mes deux saisons compliquées, je me suis demandé si j’avais toujours le potentiel physique pour être parmi les meilleurs. L’année que je viens de faire montre que je suis toujours très bon. Il faut jouer aussi avec son ancienneté. Elle amène une certaine expérience. Surtout, je prends toujours du plaisir. C’est l’une de mes forces de caractère, cette volonté de s’entraîner dur, de continuer à perfectionner mon sport, mon art. »
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