Dans le petit milieu hautement concurrentiel de l’humour, ces cinq-là sont en train de faire leur trou avec des premiers ou deuxièmes spectacles très réussis où ils s’amusent autant qu’ils nous amusent, souvent avec une impertinence bienvenue. La relève du rire semble assurée, on s’en réjouit au regard de la morosité ambiante. Coup de projecteur sur des trentenaires encore méconnus du grand public mais pétris de talent.
« Get up, stand up… » La chanson de Bob Marley ouvrant le spectacle de Matthieu Nina donne le la. Lui restera assis sur une chaise après une arrivée sur scène claudicante. « Comme vous le remarquez, je suis handicapé depuis l’âge de 10 ans, confirme-t-il. Mais j’ai un métier utile : je suis mannequin de crash test pour les voitures. Non c’est pas vrai, ils n’utilisent pas d’êtres humains, ils prennent des trisomiques. » Vainqueur de la dernière édition de « La France a un incroyable talent », le trentenaire tombé d’une échelle lors de son enfance à Tours a pris le parti de rire de sa situation deux décennies plus tard pour changer le regard sur le handicap.
Et il est vrai qu’il n’en manque pas, de talent, avec son humour noir et son sens de l’autodérision dont le public se repaîtra tout au long de son premier seul-en-scène écrit avec le concours de Pierre-Emmanuel Barré et Arsen. Au programme : le récit de son accident, parce que les spectateurs, « bande de voyeurs », l’attendent ; ses deux arrêts cardiaques sur la table d’opération lui ayant permis de ressusciter « une fois de plus que Jésus » ; sa longue rééducation dans un centre en banlieue afin qu’« on ne distingue pas les handicapés des autres habitants » ; les moqueries des camarades du collège. Ou encore l’inaccessibilité pour les handicapés aux transports en commun parisiens, parce qu’il est « bien gentil de nous aménager des places au ciné et des chiottes cinq fois plus grandes que les autres dans les musées, mais si on peut pas y aller… ». Son En bas de l’échelle se conclura par une ola orchestrée par lui-même (pour les réseaux sociaux), mais amplement méritée.
Au Point Virgule (Paris 4e). Tous les dimanches à 17 h 15. Jusqu’au 17 avril. Puis en tournée.
2. Amandine Lourdel, subtilement trash

Il y a du Blanche Gardin chez elle. C’est d’ailleurs l’un des spectacles de celle-ci qui l’a amenée à monter sur scène. On l’en remercie car, avec son débit mitraillette, la Troyenne de 36 ans livre un premier opus désopilant où elle manie avec la même adresse l’autodérision et l’humour trash, ce qui n’empêche pas la subtilité. Il faut l’entendre évoquer son « voyage en terre inconnue chez les babos » lors d’un festival alternatif, son célibat de « femme indépendante mais indépendamment de sa volonté », les mycoses vaginales l’amenant à se demander si « elle est une femme ou un sous-bois ».
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Heureusement que l’humour est sans danger pour la santé, sinon le spectateur succomberait à une crise de rire tant ce Renversée ne laisse aucun répit aux zygomatiques. Même quand celle qu’on aurait surnommée « Vomi Schneider » pendant ses études de théâtre aborde son rapport à la boisson. « L’argent que je dépensais dans l’alcool, je le dépense maintenant chez un addictologue, et il n’y a pas d’happy hour chez ces gens-là », dit-elle avant de faire apprécier son joli brin de voix avec une chanson aux notes plus graves.
À la Comédie de Paris (Paris 9e). Tous les mardis à 21 h. Jusqu’au 29 avril. Puis en tournée.
3. Marion Mezadorian : le paradis, c’est les autres

À rebours de nombreux humoristes qui ne jurent que par le stand-up, Marion Mezadorian a choisi de se décentrer pour incarner des personnages, comme dans son précédent opus Pépites, Prix SACD Fonds humour 2016. La trentenaire originaire des Bouches-du-Rhône aime les gens dans tous leurs états. Elle tire de cette source d’inspiration inépuisable un nouveau spectacle très réussi, Craquage, où seize hommes et femmes pètent les plombs chacun à leur façon, souvent dans un élan drôlement cathartique. Une instit qui n’a plus qu’un poil sur le caillou demande un arrêt maladie à son médecin, une future retraitée balance sur ses collègues ou ses supérieurs lors de son pot de départ, un quasi-quadra misogyne sera bientôt père malgré lui, le patron d’un bistrot a tout vu, en vingt-cinq ans de métier, des clients commandant un tartare « bien cuit » ou une tartiflette « sans lardons », et se dit que « s’il est vrai qu’on est tous le con de quelqu’un, il y en a aussi qui sont les cons de plusieurs ». Un échantillon d’humanité prélevé de ses rencontres ou d’histoires racontées, en grossissant le trait, forcément.
La fluidité avec laquelle l’humoriste passe d’un personnage à l’autre (pas une mince affaire au regard de leur disparité) fait qu’on ne voit pas le temps passer, même si on en préfère certains à d’autres. Elle aborde aussi l’inceste via la confession, un soir de Noël, d’une femme abusée durant son enfance par son père, au risque de gâcher la fête, et le génocide arménien à travers le parcours de ses aïeux. Ce nouveau spectacle-mosaïque se révèle drôle et touchant à la fois.
Au Studio des Champs-Élysées (Paris 8e). Tous les jeudis, vendredis, samedis à 19 h. Jusqu’au 26 avril. Puis en tournée.
4. Umut Köker : Quoi, ma gueule ?

Si l’on considère que les humoristes doivent forcément avoir une bille de clown, ce stand-upper à la barbe épaisse comme un buisson n’a guère celle de l’emploi : là réside son Paradoxe, le titre d’un premier spectacle écrit avec la complicité de Waly Dia dont l’affiche le présente tenant une barbe à papa en guise de micro. « J’ai des doutes marketing sur ma tête, annonce-t-il d’emblée. À chaque fois qu’on voit quelqu’un qui me ressemble à la télé, c’est jamais pour les bonnes raisons. » Ce trentenaire d’origine turque par son père et kurde par sa mère y tord le cou aux préjugés, lui que certains prennent pour un Arabe.
Dans ce seul-en-scène plein d’autodérision, Umut Köker s’amuse bien sûr de ses origines culturelles, de l’élégance de rigueur chez les enfants par exemple, son père l’envoyant à l’école primaire habillé en costume « au cas où il trouve un travail », et des clichés les entourant, des toilettes dites turques, alors qu’elles ont été inventées par un Belge, au fameux kebab. Et comme il n’est pas à un paradoxe près, il reviendra aussi sur son mariage à seulement 22 ans et sur sa « double personnalité » née de sa jeunesse passée entre la cité et Paris où il a fait des études de conception graphique.
Au théâtre Le Métropole (Paris 2e). Tous les jeudis à 20 h 10. Jusqu’au 5 juin. Puis en tournée.
5. Caroline Estremo, en justes noces

Si elle devait résumer son histoire en un mot, ou plutôt un jingle, ce serait celui de Netflix. Car, comme elle le prétend au début de ce deuxième seul-en-scène baptisé Normalement, elle est digne d’une série. Après son passé d’infirmière aux urgences dans le précédent J’aime les gens, la Toulousaine raconte cette fois son drôle de parcours amoureux, elle qui, tenez-vous bien, a quitté son conjoint au bout de six mois de mariage au profit de sa meilleure amie, elle-même unie au meilleur ami du cocu en question. Une série, disait-elle. À moins que ce ne soit un vaudeville contemporain. Cette décision reçue tel « un missile » par sa famille, et « une bombe atomique » par celle de sa dulcinée, sert de point de départ à un show enthousiasmant.
Elle y rit de sa jeunesse de garçon manqué encouragé par un frère qui l’appelait « Jack »et la « formait à la bagarre », du déni dans lequel elle s’est longtemps réfugiée, des avantages et des inconvénients de vivre avec une femme (un double dressing, les règles en même temps) ou de sa place de « maman ascendant papa » dans leur couple. Drôle, dotée d’une belle énergie et d’une bonne humeur communicative, l’humoriste interagit beaucoup avec un public particulièrement réceptif et volontiers participatif.
Au théâtre du Marais (Paris 3e). Tous les lundis à 21 h. Jusqu’au 30 juin. Puis en tournée.
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