Le JDD. La taxe supplémentaire de 25 % sur les voitures étrangères voulue par Donald Trump a été annoncée jeudi. Quelle est votre réaction ?
Vincent Salimon. Le libre-échange et la coopération sont des moteurs essentiels de croissance. On devrait parler de réduction des barrières douanières, pas de leur création ! L’Union européenne et les États-Unis sont les deux plus grands partenaires commerciaux mondiaux. Un conflit entre ces deux blocs ne profiterait à personne. Notre responsabilité est de rapidement trouver un accord.
BMW produit aux États-Unis. Dans quelle mesure allez-vous être affectés ?
Spartanburg est notre plus grande usine dans le monde. Elle exporte chaque année près de 225 000 véhicules pour une valeur de plus de dix milliards de dollars. Depuis 2014, BMW a exporté plus de 2,7 millions de véhicules, soit environ les deux tiers de sa production totale, pour une valeur d’exportation de 104 milliards de dollars, ce qui fait de nous le premier exportateur automobile en valeur depuis les États-Unis. Évidemment, on observe de près cette situation, mais cette implantation locale est un atout dans un monde instable. Le gouvernement américain a tout intérêt à regarder ce qu’on fait aux États-Unis, parce que cela représente beaucoup d’emplois.
Le contexte est morose pour le secteur avec l’annonce cette semaine d’une baisse de 14 % des immatriculations sur les voitures neuves de moins sur un an, BMW est-il touché ?
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Le marché est tendu, en effet. En 2024, BMW Group a livré 2,45 millions de véhicules BMW, Mini et Rolls-Royce à ses clients dans le monde entier. Cela représente une légère baisse de 4 % par rapport à l’année précédente, mais on souffre moins que d’autres constructeurs grâce à notre présence sur les trois principaux continents, et à notre avance sur l’électrique. En France, nous avons même battu des records avec 13 % de croissance sur un marché global en repli de 3 %. Soit la meilleure part de marché pour une marque premium autour de 4 %.
Comment l’expliquez-vous ?
Notre gamme correspond exactement aux besoins des consommateurs, et notamment des consommateurs français. Chez BMW, nous proposons toutes les technologies sur un même modèle. On ne choisit donc pas une voiture en fonction de sa motorisation, on choisit d’abord un modèle, puis le type de motorisation qui correspond à ses besoins. C’est une souplesse précieuse dans un contexte d’incertitude réglementaire. En 2024, 25 % de nos ventes étaient 100 % en électrique, 26 % en hybride rechargeable et 49 % en thermique.
Un quart des ventes de voitures électriques : c’est une part bien supérieure à celle de vos concurrents. Pourquoi un tel écart ?
Parce qu’on a dix ans d’avance ! Nous avons lancé notre première voiture 100 % électrique, la BMW i3, en 2013. Cette expérience nous permet d’avoir aujourd’hui un réseau de partenaires bien formés et des valeurs résiduelles très solides, donc des loyers compétitifs. Le client qui choisit l’électrique ne doit pas être pénalisé par rapport au coût. L’année dernière, un X1 (notre best-seller), revenait à 490 euros par mois, qu’il soit électrique ou thermique. Mais nous avons encore renforcé notre offre avec un X1 électrique à 390 euros mensuels, et un Countryman électrique à 360 euros, avec plus de 450 kilomètres d’autonomie. Cela nous permet d’être très compétitifs sur le segment des compacts, qui représente 90 % du marché français.
Vous ne craignez donc pas la concurrence chinoise ?
Il y a trente ans, c’était la peur des Japonais. Il y a vingt ans, des Coréens. Aujourd’hui, ce sont des Chinois. À chaque fois, nous avons progressé. L’arrivée de nouveaux acteurs pousse à innover. Notre force est d’investir sur le long terme. Nous préparons déjà l’arrivée de notre premier modèle à hydrogène en 2028. Ne pas subir le marché, l’anticiper. C’est notre créneau.
« Ce qui compte, c’est l’objectif de neutralité carbone »
Faites-vous partie des constructeurs qui demandent un report des objectifs européens de réduction de CO2 ?
Sur 2025, nous n’avons jamais demandé de report. BMW a investi très tôt dans l’électrification, ce qui nous permet d’être prêts pour respecter les objectifs de réduction des émissions de CO₂ dès cette échéance. En revanche, pour 2035, la fin des moteurs thermiques en Europe, nous demandons une clause de revoyure. Parce qu’il ne faut pas imposer une seule technologie. Ce qui compte, c’est l’objectif de neutralité carbone, pas le moyen unique d’y parvenir. N’écartons pas l’hydrogène, les carburants décarbonés ou d’autres innovations.
Il existe une pression réglementaire européenne et surtout française, sur les constructeurs. Cela vous inquiète-t-il ?
Ce qui nous freine, ce n’est pas tant la réglementation en elle-même, que l’instabilité et le manque de visibilité. La multiplication des normes, parfois rétroactives, freine l’investissement et crée de la confusion chez les consommateurs. La réglementation française est la première réglementation à pénaliser les véhicules 100 % électriques dans le monde. Prenez l’exemple de la Mini Cooper électrique – véhicule le plus vertueux de notre gamme. Elle est pénalisée en France parce qu’elle est produite en Chine, alors même que nos usines utilisent une énergie totalement décarbonée. C’est absurde. La stabilité réglementaire est la condition pour relancer durablement le marché.
« Il faut arrêter de punir, et recommencer à inciter pour relancer le marché »
En France, les voitures électriques vont aussi subir un malus au poids à partir de 2026. N’est-ce pas paradoxal ?
C’est une erreur bien sûr ! Une batterie de 70 à 80 kWh pèse 800 kilos. Si on veut que le véhicule électrique soit la première voiture du foyer, il faut lui donner de l’autonomie. Il est impératif de ne pas pénaliser les voitures lourdes uniquement sur ce critère. Car cela fait hésiter les utilisateurs. Conséquence : le marché, au lieu d’être à 2,1 millions de voitures, est à 1,7 million. Un parc qui vieillit, c’est un parc dont les émissions de CO₂ ne baissent pas assez vite. Il faut arrêter de punir, et recommencer à inciter pour relancer le marché.
Vous avez été auditionné au Sénat cette semaine sur ces points. Quelles actions préconisez-vous ?
Les pouvoirs publics, les start-up, les énergéticiens, les constructeurs automobiles et les chercheurs doivent se réunir et chercher des solutions. Par exemple, pourquoi ne pas ouvrir les voies de covoiturage aux véhicules 100 % électriques ? En Norvège, c’est ce qui a aidé à développer le marché, et ça ne coûte rien à l’État. Deuxième exemple, il faut un moratoire sur les taxes : malus, taxe au poids, avantage en nature, taxe sur les véhicules de société… Tout cela nuit à la lisibilité. Chaque année, nous perdons 400 000 ventes. Si on les récupérait, ce serait 2 milliards d’euros de recettes de TVA en plus pour l’État.
Faut-il interdire les véhicules polluants dans les zones à faibles émissions (ZFE) ?
Le fait d’avoir un marché du véhicule neuf qui est en train de baisser chaque année fait qu’il manque 400 000 voitures aujourd’hui. Cela signifie que l’on va manquer de véhicules d’occasion à l’avenir. Et vous avez une part importante de la population qui n’achète que des véhicules d’occasion parce qu’elle n’a pas les moyens d’en acheter des neufs. Ces Français n’auront plus la possibilité de rentrer en ville pour aller y travailler ou juste y passer pour se rendre en banlieue. C’est une bombe sociale !
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