Le JDD. Trois ans après le scandale Orpea, qui avait révélé des cas de maltraitances et de malversations financières, quels changements ont été opérés au sein de votre groupe ?
Laurent Guillot. Le groupe a énormément changé. Les pratiques dénoncées ne sont plus d’actualité. Il y a encore un travail très important à faire. Je rappelle nos priorités : prendre soin de nos équipes qui doivent pouvoir travailler dans les meilleures conditions ; améliorer toujours l’accompagnement de nos résidents et de nos patients. Cela se traduit par la mise en place de référents éthiques et de bientraitance dans nos établissements, mais aussi d’un dispositif externe de médiation entre les familles et les équipes. Troisième priorité : poursuivre le redressement économique de l’entreprise, avec une nouvelle amélioration des résultats cette année.
Depuis la publication de l’enquête, la quasi-totalité des 7 500 Ehpad, en France, ont été contrôlés. Parmi eux, 777 ont reçu au moins une injonction liée à un dysfonctionnement grave. Êtes-vous concerné ?
Il est possible que certains de nos établissements ayant rencontré une difficulté se soient retrouvés dans cette liste. Notre objectif est de les identifier le plus vite possible et de mettre tous les moyens en place pour résoudre les dysfonctionnements ponctuels. Nous menons beaucoup de contrôles internes avec les équipes, et les expertises externes sont positives : la note moyenne de nos établissements, lors des contrôles de la certification par la Haute Autorité de santé (HAS), est de 3,9 sur 4. Je crois à toujours plus de transparence dans notre secteur. Cela permet de se comparer aux autres et de s’améliorer continuellement, de rassurer les familles et de rétablir la confiance.
Le secteur du grand âge fait également face à une crise de recrutement. Comment rendre le travail des aides-soignants plus attractif ?
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Nos équipes font un métier difficile et elles le font très bien, avec un engagement formidable. Mais le secteur a encore un gros travail d’attractivité à accomplir, qui passe prioritairement par la santé et la sécurité au travail. Le secteur du soin est celui qui connaît le plus d’accidents professionnels, trois fois plus que dans le BTP ! Nous devons aussi redonner du sens au travail de nos équipes : continuer à améliorer la qualité des soins en mettant en place une véritable culture de la déclaration et en apprenant de nos erreurs. Nous devons aussi accélérer la digitalisation afin de redonner du temps aux soignants, pour qu’ils puissent davantage s’occuper des résidents.
« La demande est croissante. Il faut former plus de soignants »
La ministre déléguée à l’Autonomie a annoncé 50 000 recrutements d’aides-soignants, à temps plein, d’ici 2030. Est-ce suffisant ?
C’est un engagement d’Emmanuel Macron et c’est une très bonne chose. Chez Emeis, nous ne connaissons pas de pénurie structurelle. Notre taux d’encadrement est 10 à 15 % supérieur à la moyenne du secteur. À l’inverse et plus généralement, le secteur du soin souffre clairement d’un manque de personnel alors que la demande ne cesse d’augmenter. La génération des baby-boomers va bientôt atteindre l’âge de l’arrivée en maison de retraite. Il faut donc former plus de soignants. Nous n’y arriverons pas sans une part d’immigration choisie. C’est le cas, par exemple, de certains de nos établissements en Autriche, dans lesquels des soignants extra-européens sont formés pour pallier le manque de personnel. Tout cela est encadré et se fait avec l’aide du gouvernement.
Pourquoi ne pas former du personnel en France alors que le chômage repart à la hausse ?
Il faut bien évidemment former plus en France. Et nous le faisons chez Emeis avec près de 5 500 formations diplômantes et certifiantes en 2024. Mais comme dans tous les pays d’Europe, les besoins en personnel soignant seront énormes pour les dix ans qui viennent : plus de 120 000 infirmières et infirmiers, plus de 50 000 médecins. Il faut actionner tous les leviers pour faire face à la transition démographique qui s’annonce ; comme la formation initiale et la formation tout au long de la vie, évidemment. D’ailleurs, j’invite tous ceux qui veulent faire ces métiers à nous rejoindre. Mais cela ne suffira pas. Il faudra aussi aller chercher les compétences ailleurs.
Environ un tiers de vos effectifs est payé à un niveau de salaire à peine 15 % au-dessus du Smic. La revalorisation ne serait-elle pas une réponse plus adaptée à ce manque d’attractivité ?
Nous avons conscience que dans le secteur du soin, certains métiers ne sont pas bien payés. C’est pour cela que nous avons voulu restaurer un dialogue social de qualité et engager des négociations annuelles obligatoires, avec des augmentations plus importantes en fonction de l’ancienneté. Notre but est d’éviter le plus possible la rotation du personnel, qui entraîne des conséquences sur la formation, mais également sur la qualité de service pour nos résidents.
« Le secteur est en crise parce que les taux d’occupation ont fortement baissé après la crise du Covid »
Vous venez aussi d’instaurer un programme intitulé « Emeis et moi », à destination du personnel du groupe. Concrètement, de quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’un programme social et solidaire qui prend en charge les difficultés quotidiennes que peuvent connaître nos équipes à l’extérieur de l’entreprise. Nous souhaitons aider ceux qui en ont besoin, pour leur santé, mais aussi pour leurs proches, leur budget ou leur logement. Il est déjà arrivé que certains de nos professionnels dorment dans leur voiture. C’est inacceptable ! Et c’est par exemple le cas quand certaines de nos collaboratrices sont victimes de violences conjugales. Le dispositif de « toit garanti » permet d’obtenir un logement d’urgence le soir même et pour une période de dix jours, puis d’obtenir de l’aide pour trouver un logement stable. Cela s’inscrit dans le passage en juin 2025 de notre groupe en société à mission, qui concilie l’intérêt immédiat de l’entreprise avec un projet sociétal.
Près de 85 % des Ehpad, tous secteurs confondus, sont aujourd’hui déficitaires. Comment l’expliquez-vous ?
Le secteur est en crise parce que les taux d’occupation ont fortement baissé après la crise du Covid. La vague inflationniste a aussi fait augmenter les coûts de l’énergie, de l’alimentation, donc les salaires. Or les dotations publiques n’ont pas suivi. Chez Emeis, elles couvrent près de la moitié de nos dépenses. Le secteur a besoin de visibilité et de planification même si ce mot n’est pas très à la mode. Pour recruter des soignants, pour construire de nouveaux établissements, il faut l’organiser et aussi donner de nouveaux moyens financiers.
Emeis, ce sont aussi des cliniques de soins psychiatriques. Diriez-vous que la santé mentale reste le parent pauvre du secteur du soin, comme on l’entend souvent ?
Oui, car les structures d’accueil sont extrêmement peu nombreuses par rapport aux besoins croissants. L’addiction ou le burn-out sont en pleine explosion en France. Or certaines de nos cliniques permettent à de jeunes patients de continuer à suivre leur parcours scolaire. C’est important ! On aimerait pouvoir multiplier ces initiatives dans la France entière.
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